Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
F

fer (suite)

L’apparition des fers laminés va cependant fournir aux constructeurs de ponts une variété de solutions considérable à partir du principe de la poutre creuse : pont tubulaire réalisé en 1846-1850 par Robert Sephenson (1803-1859) sur le détroit de Menai (Britannia Bridge). Une meilleure connaissance des propriétés d’une telle poutre amènera à en alléger les parois pour obtenir un treillis, puis à abandonner le profil rectiligne pour celui dit « d’égale résistance ». On en arrive même à combiner les divers systèmes, à établir des arches traitées en poutres rigides, articulées en deux ou trois points ; ou bien, partant d’un tout autre principe, à développer les appuis par encorbellement, de façon à obtenir des sortes de demi-arcs équilibrés « en balancier » (on dit généralement « en cantilever »). Des réalisations aussi spectaculaires que le viaduc du Viaur par Paul Bodin (1847-1926), les ponts Mirabeau et Alexandre-III à Paris par Louis Jean Résal (1854-1919) montrent à quelle maîtrise étaient parvenus les ingénieurs français à la fin du siècle.

Comme on passe de l’arc à la voûte et de la poutre au plancher, le passage de la solution linéaire formée par le pont à celle, superficielle, d’une couverture peut sembler évident ; en fait, il n’en est rien. L’attachement des charpentiers en bois aux techniques traditionnelles rendait inefficace l’intérêt que pouvaient avoir les architectes pour le métal ; il fallait trouver ailleurs le champ d’expériences nécessaire.

Grâce à sa production de fonte et à ses fabricants de machines, l’Angleterre possédait les conditions les plus favorables à une telle mutation. La part du métal était, dès le tout début du xixe s., prépondérante dans les usines textiles, où les machines à bâti de fonte étaient actionnées à la vapeur ; seul le bâtiment, dans son enveloppe de brique, restait en charpente. Pour des raisons de place et de sécurité, la fonte va remplacer le bois pour les poteaux, et bientôt pour les solives, soutenant des voûtains de brique, voire de béton avec sous-face en tôle (comme dans certaines solutions actuelles de béton armé).

Le rôle des fabricants de machines ou des industriels du chemin de fer est à souligner. Un William Fairbairn (1789-1874) recherche la section la mieux adaptée au travail en flexion et adopte le profil en I. Le fer succède à la fonte dès que son prix baisse et que le laminage autorise une production suffisante.


Les applications architecturales

En France, la grève des charpentiers de 1845 va favoriser le remplacement du bois par le fer dans les planchers ; c’est le début d’une substitution qui affectera toute l’ossature interne des immeubles, et jusqu’aux façades, quand l’emploi de poitrails en fer favorisera l’élargissement des baies et surtout des vitrines de magasins. Certains rêvent déjà de la disparition totale des murs, à leur remplacement par des parois de verre teinté... En réalité, le poids des habitudes est encore trop lourd dans le bâtiment pour aboutir à des solutions aussi radicales ; et la substitution progressive du fer aux matériaux traditionnels pose alors de difficiles problèmes de jonction, de corrosion, de sécurité, sans pour autant résoudre ceux d’une isolation meilleure.


Gares et rotondes

De semblables difficultés se sont présentées dans les chemins de fer ; mais ici l’ingénieur était maître, et le métal pouvait seul répondre aux conditions particulières de mise en œuvre. Très vite, les simples hangars de bois ont fait place à de vastes halls, ventilés et partiellement vitrés. Parmi les systèmes alors conçus pour libérer le sol, celui qui est dû à Camille Polonceau (1813-1859) est remarquable. Parti de l’analyse d’une ferme en bois, il aboutit à un véritable « organisme » où la décomposition des forces s’opère, pour la compression, par des bielles de fonte, et pour la traction par de simples tiges de fer rond. Ses arbalétriers, en bois, puis en fer laminé, feront place à des poutres en treillis, rectilignes ou arquées, donnant à chaque gare sa physionomie particulière. Les treillis en arc permettent à l’architecte François Alexandre Duquesney (1790-1849) d’atteindre à la gare de l’Est (Paris, 1847-1852) une portée de 30 m et de fixer, grâce à l’expression de son berceau en façade, le type de la gare terminus. La combinaison de fermes Polonceau et d’ingénieux supports de fonte, en consoles, donne à Hittorff la possibilité de couvrir son grand hall de la gare du Nord (Paris, 1863) en supprimant les poussées. Le parti architectural de ce chef-d’œuvre du fer s’oppose, par sa diversité, au volume unifié des gares nordiques, où les fermes triangulées font généralement place à une technique dérivée de celle des ponts. Ainsi, à Saint Pancras de Londres (1863-1876), dû à l’ingénieur W. H. Barlow (1812-1902), le hall est un immense berceau dont les arcs en treillis reposent directement sur le sol. En Allemagne et en Amérique, l’emploi de fermes articulées va permettre des performances encore plus démesurées, pour aboutir en France, en 1889, aux 115 m de portée de la galerie des Machines de l’Exposition universelle de Paris, par Ferdinand Dutert (1845-1906) et Victor Contamin (1840-1893).

La couverture d’un espace circulaire a de tout temps hanté les constructeurs. La coupole du Panthéon romain atteignait déjà à la limite de résistance du matériau ; il en fut de même pour les dômes byzantins et ceux de la Renaissance italienne. Leur portée ne fut pas dépassée par Bélanger* à la halle au blé de Paris (1809-1811) ; mais l’emploi de la fonte permit à cet architecte de ménager de grands fuseaux vitrés au pourtour. Le Panorama des Champs-Élysées, en 1838, n’est pas plus vaste ; néanmoins, Hittorff y adopte un parti audacieusement moderne, une charpente supportée par des câbles fixés à des bielles articulées. Cette réalisation, aujourd’hui détruite, et le projet de James Bogardus pour la foire de New York (1853) montrent une tendance précoce à substituer des structures légères, tendues — à l’exemple des tentes de nomades et des chapiteaux de cirques — aux constructions statiques, pondéreuses, des maçons et des charpentiers.