Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
F

fer (suite)

Des serres aux Halles centrales

Le problème de l’enveloppe n’en était pas pour autant résolu. Des bâtiments de maçonnerie enserraient les halls de gares ou ceux des expositions (le Palais de l’Industrie, à Paris, en 1855 ; le Grand Palais encore, en 1900). Les toitures étaient le moins vitrées possible, afin d’éviter le rayonnement solaire, l’« effet de serre », qui sera reproché à la galerie des Machines (c’est un phénomène connu de longue date, permettant d’obtenir dans un espace clos, mais le moins différencié possible de son environnement, le microclimat nécessaire à une végétation spéciale). À ce titre, les serres représentent un des programmes les plus remarquables du xixe s. Leur diffusion a été favorisée par la vogue de l’exotisme qui, depuis longtemps, avait fait établir dans les parcs des constructions et un mobilier de style rustique ou oriental, en bois, puis en fonte. N’a-t-on pas été jusqu’à élever des palais « hindous », tel cet étonnant Royal Pavilion (1815-1823) de Brighton, en fonte, dû à John Nash* ? Les grands domaines, les jardins botaniques ont leurs serres. Celles du Muséum de Paris sont construites par Charles Rohault de Fleury (1801-1875) dès 1832-1834. Toute résidence aisée a la sienne, mais aussi son jardin d’hiver, sorte de salon entièrement vitré, où souvent court un ruisselet ; et l’avatar miniature en sera, à la fin du siècle, le bow-window, en attendant la réinsertion, par Wright* et ses contemporains, de ce morceau de nature à l’intérieur de l’espace construit.

Le premier pavillon d’exposition universelle, le Crystal Palace de Londres (1851), va être, lui aussi, une immense serre. Les délais d’exécution n’ont pas permis de retenir les projets d’ingénieurs ou d’architectes ; c’est l’expérience d’un jardinier, Joseph Paxton (1801-1865), qui l’emporte sur des structures plus audacieuses par la simplicité et la rapidité d’exécution d’une trame modulaire réduite à un système de piles de fonte entretoisées.

En dépit de la différence de fonction, et par conséquent du système de couverture, les mêmes principes se retrouvent dans un autre chef-d’œuvre du fer, les Halles centrales de Paris (1851-1857). Ici encore, la solution statique imaginée par Victor Baltard (1805-1874) se révélait, des expériences postérieures l’ont prouvé, la plus économique.


Bibliothèques et grands magasins

Si le fer devait s’imposer sans problèmes dans les programmes précédents, il ne pouvait en être ainsi quand la multiplicité des fonctions rendait nécessaire la mise en relation du matériau industrialisé avec d’autres plus traditionnels. Une mise en œuvre délicate, des résultats souvent décevants motivent la prudence d’architectes plus habitués à modeler des surfaces qu’à donner vie à des treillages de cornières rivetées ; ils expliquent aussi la longue persistance de la fonte moulée, permettant de satisfaire les goûts éclectiques du temps en matière de décor.

Pour permettre des innovations, il fallait des cas particuliers, comme celui des bibliothèques ; l’œuvre d’Henri Labrouste (1801-1875) est, à cet égard, caractéristique. Sa grande salle de la bibliothèque Sainte-Geneviève à Paris (1843-1850) est divisée en deux nefs par une file de colonnes de fonte soulageant la charpente ; celle-ci est dissimulée par deux « berceaux » de plâtre armé ; seuls apparaissent les doubleaux, en fonte ajourée. À la Bibliothèque nationale, plus élaborée, la salle de travail des imprimés (1862-1868) forme un carré subdivisé par des colonnes de fonte ; neuf « coupoles » de faïence masquent la charpente et ménagent un éclairage zénithal. L’habile gradation de la lumière, des reliefs et de la polychromie permet l’intégration du fer dans cette œuvre sans précédent. Au magasin central qui fait suite à cette salle, Labrouste éclaire les cinq étages grâce à un jeu de passerelles comme dans les machineries navales. Il s’agit cette fois d’une construction à plusieurs niveaux ; la solution adoptée va faire école, dans les banques, dans les grands magasins surtout, où le fer trouvera son expression la plus magique par la réalisation d’espaces emboîtés, à la fois unifiés et divers. Encore concentrée au cœur du Bon Marché (1872) par Boileau père et fils (v. éclectisme), cette féerie gagne tout le Printemps (1889) de Paul Sédille (1836-1900) pour devenir transparence à la Samaritaine (1905), œuvre de Frantz Jourdain (1847-1935), le défenseur de l’Art* nouveau.


Vers de nouvelles structures : le béton armé et l’acier

Au terme du « siècle du fer », ce dernier édifice porte témoignage du combat mené par Viollet-le-Duc* et ses disciples en faveur des matériaux industrialisés. Le chef des rationalistes avait proposé des pans de fer à remplissage céramique, comme le montre en 1871 l’usine de Noisiel réalisée par Jules Saulnier (1828-1900) à la façon d’une poutre creuse. Mais, par la richesse d’un enseignement dépassant largement un structuralisme desséché, le grand théoricien avait ouvert la voie au renouveau artistique de la fin du siècle. À sa suite, un Victor Horta (1861-1947) en Belgique, un Hector Guimard (1867-1942) en France préconisent encore le métal ; et cela peut sembler téméraire à l’heure où le béton* armé est en train de triompher. En fait, l’adoption du béton armé ne marquait pas, comme on pourrait le croire, l’abandon pur et simple des structures métalliques ; mais plutôt la suppression des difficultés d’assemblage pour les architectes et les maçons. La tradition de la charpente en fer ne pouvait pour autant se perdre, tout au plus pouvait-elle se restreindre à certains programmes, tel celui des gratte-ciel* américains, à partir de l’expérience acquise par l’école de Chicago*. Et cela devait permettre le regain de faveur que l’on constate depuis le milieu du xxe s.

Entre-temps, de grands progrès techniques ont été réalisés : aciers à haute résistance, assemblages nouveaux. La soudure a détrôné le rivetage ; les problèmes d’enveloppe semblent résolus par l’emploi de murs-rideaux. Le calcul, dépassant les limites d’une analyse planaire, permet de projeter non plus des poutres, mais des nappes tridimensionnelles, remarquablement légères, planes ou courbes (coupoles géodésiques de Richard Buckminster Fuller [né en 1895]). Les résultats les plus spectaculaires ont été obtenus dans le domaine des structures tendues, à l’aide soit de caténaires planes, soit de nappes de câbles rendues rigides par une double courbure en paraboloïde-hyperbolique : c’est la « selle de cheval », employée à la halle de Raleigh (États-Unis) dès 1953, et depuis à Bruxelles, au pavillon français de l’Exposition de 1958.

Aux dimensions autorisées par de telles structures, il devient possible de couvrir une ville. Resterait alors à établir, dans cette gigantesque serre, ce qui demeure l’objet essentiel de la construction* ; des organes fonctionnels à la mesure de l’homme.

H. P.