Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Empire colonial français (suite)

Un empire en expansion continue

Avec la prise d’Alger commence une autre grande période de la colonisation française, au cours de laquelle va s’édifier, en un siècle, le second empire du monde, et cela en trois étapes, séparées par les dates de 1870 et de 1900.


La phase de préparation (1830-1870)

Les origines de l’expansion sont complexes. De fortes personnalités comme Bugeaud* ou Faidherbe* joueront un rôle important, et, dans certains cas, les militaires mettront le gouvernement devant le fait accompli. Mais, si les hommes d’État ne donnent pas toujours l’impulsion, on n’en trouve guère qui, responsables de la politique française, fassent vraiment obstacle aux progrès de l’implantation outre-mer. C’est qu’ils doivent tenir compte des groupes de pression, dont l’action varie suivant les époques et les régions : les négociants et les financiers pèsent sur la politique africaine du second Empire ; les militaires tendent à considérer les colonies comme un domaine réservé, en particulier l’Algérie et la Cochinchine ; sous la monarchie de Juillet et encore davantage sous le second Empire, les missions se tournent naturellement vers le gouvernement ; invoquant l’œuvre de civilisation ou l’action économique et sociale, les représentants des grands mouvements d’idées sont favorables à la colonisation, qu’il s’agisse des saint-simoniens, des fouriéristes, des antiesclavagistes ou des francs-maçons.

Alors s’achève la conquête de l’Algérie* avec la reddition d’Abd el-Kader* en 1847 et l’occupation de la Kabylie en 1857 ; désormais, l’ancienne Régence sera le banc d’essai de la colonisation française. Le Sahara est entamé. En Afrique noire, l’œuvre la plus connue est celle de Faidherbe (1854-1861 et 1863-1865), qui ouvre au commerce les régions du Sénégal et entreprend la pénétration vers le Soudan ; plus au sud, sur les côtes, divers comptoirs sont établis après signature de traités avec les chefs indigènes et, en 1859, ils constituent les « Établissements français de la Côte-de-l’Or et du Gabon ». Dans l’océan Indien et le Pacifique, les résultats ne répondent pas toujours aux efforts accomplis : à cause de l’opposition de l’Angleterre, il faut se contenter à Madagascar de quelques avantages commerciaux ; en 1862, on achète Obock, au débouché de la mer Rouge ; dans l’océan Pacifique, l’autorité française est établie sur Tahiti (1842-1847) et la Nouvelle-Calédonie, annexée (1853). Les bases de la future Indochine française sont jetées avec l’installation à Saigon (1859), l’occupation de la Cochinchine (1862-1867), l’établissement du protectorat sur le Cambodge (1863) et l’expédition du Mékong (1866-1868), qui, sous le commandement d’Ernest Doudart de Lagrée (1823-1868), puis sous celui de Francis Garnier (1839-1873), montre que la véritable voie de pénétration vers la Chine ne peut être que le fleuve Rouge et part donc du Tonkin.

Parallèlement à l’expansion s’organisait une nouvelle administration coloniale. Seule la IIe République pratiqua une politique d’assimilation et décida que les colonies enverraient des représentants à l’Assemblée de Paris. Les autres régimes firent un sort particulier aux territoires d’outremer, en distinguant d’ailleurs entre eux : d’après le sénatus-consulte du 3 mai 1854 (reprenant une distinction établie en 1833), la Martinique, la Guadeloupe et la Réunion formaient un ensemble particulier soumis à la loi pour les droits politiques, la propriété et la justice, tandis que les autres colonies étaient régies uniquement par décrets. Quant à l’exclusif, il se maintint jusqu’en 1861, disparaissant alors sous la poussée des doctrines favorables au libre-échange.


La grande période de l’impérialisme (1870-1900)

C’est à cette époque que prennent leur essor les forces d’expansion qu’on qualifiera plus tard de colonialistes. On parle d’un « parti colonial » (qui n’exista jamais réellement en tant que parti) soutenu par les militaires, les fonctionnaires coloniaux, certains milieux d’affaires, les missions religieuses et les Européens établis aux colonies. Ce parti se manifeste par l’existence d’un groupe colonial à la Chambre et d’un autre au Sénat. Dans le pays, il agit par le « Comité de l’Afrique française », qui s’attache à faire connaître l’œuvre coloniale, et par l’« Union coloniale française » (1893), qui se présente comme un « syndicat des principales maisons françaises ayant des intérêts aux colonies ». Les forces anticolonialistes, d’abord virulentes, à cause des craintes nationalistes pour la frontière de l’Est, s’estomperont lorsque ce même nationalisme verra dans les conquêtes d’outre-mer une compensation à la perte de l’Alsace-Lorraine, tandis que l’alliance franco-russe (1893) paraît conjurer la menace extérieure. S’ils critiquent les formes de l’expansion, les socialistes eux-mêmes ne demandent pas l’évacuation des territoires occupés.

Avant l’arrivée au pouvoir de Jules Ferry*, la poussée impérialiste se fait déjà sentir, et notamment en Indochine avec la conquête du delta du fleuve Rouge par Francis Garnier (1873) et le traité de Saigon (1874), qui reconnaissait l’entière souveraineté de la France sur la Cochinchine. Au cours des deux ministères de Jules Ferry (1880-81 et 1883-1885) se produit l’accélération décisive ; la France s’engage profondément en Afrique équatoriale (1880), en Tunisie (1881), au Tonkin (1882-1885) et à Madagascar (1883-1885), jouant aussi un rôle important à la conférence de Berlin (1884-85), qui fixe les règles du jeu impérialiste en Afrique avec reconnaissance au possesseur de la côte d’un droit sur l’hinterland, en exigeant toutefois une occupation effective. À ce jeu, malgré l’opposition de l’Angleterre, les Français ne seront pas perdants : s’ils ne réussissent pas à établir une zone d’influence continue du Congo à Djibouti (crise de Fachoda en 1898), ils parviennent, en 1900, à unir l’ensemble de leurs territoires africains par la jonction, à l’est du Tchad, de trois missions venant respectivement d’Algérie, d’Afrique occidentale et du Congo.