Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Empire colonial français (suite)

La Révolution défend énergiquement l’héritage colonial de la monarchie, mais la révolte des Noirs à Saint-Domingue (1801) y anéantit pratiquement la domination française. L’Empire verra la disparition complète des possessions d’outre-mer : la Louisiane doit être vendue aux États-Unis (1803) et, en 1811, il ne reste plus hors d’Europe un seul territoire qui ne soit occupé par les Anglais. Ébranlé à la fin du règne de Louis XIV, sérieusement entamé à la fin du règne de Louis XV, un moment consolidé sous Louis XVI, le premier domaine colonial français disparaissait au moment même où Napoléon Ier dominait l’Europe.

Les traités de Paris de 1814 et de 1815 permettront à la Restauration de récupérer quelques anciennes possessions aux Antilles, en Guyane, au Sénégal et dans l’océan Indien : c’était à peu près le retour à la situation de 1763. Mais, avec des hommes comme le baron Portal (1765-1845) au ministère de la Marine, un renouveau s’annonçait, se manifestant par des essais de mise en valeur et des projets d’expansion au Sénégal et à Madagascar. C’est cependant l’expédition d’Alger en 1830, de caractère non colonial, inspirée essentiellement par des motifs de politique intérieure, qui allait ouvrir la voie à l’impérialisme français contemporain.


Le monde des colonies

Pendant trois siècles s’est constitué progressivement un monde à part, français de nom, mais très peu connu des métropolitains, ayant son administration propre, soumis à une exploitation économique particulière, avec des populations et une société originales.

En ce qui concerne l’organisation administrative, on a pu parler d’assimilation, parce que, en droit, les colonies étaient des « provinces de la mère patrie ». En réalité, sous l’Ancien Régime, par l’intermédiaire du département de la Marine, il s’agissait d’une véritable sujétion. Lorsque l’administration locale était confiée à des compagnies à charte, celles-ci subissaient un contrôle étroit, et, lorsque les compagnies disparaissaient, c’était le régime de l’administration directe avec gouverneur (pouvoir militaire) et intendant (affaires financières et administratives) nommés par Paris. Seule la Convention préconisa une assimilation égalitaire en affirmant que « les colonies sont partie intégrante de la République et sont soumises à la même loi constitutionnelle ». Mais ce ne fut qu’un intermède de courte durée, après lequel les colonies furent soumises au régime des décrets. À côté du gouverneur, la Restauration institua deux Conseils ; mais leurs membres étaient nommés, et la position des territoires d’outre-mer resta toujours très subordonnée.

Cela résultait du système économique d’après lequel les colonies n’étaient que des établissements de commerce créés au profit de la métropole. C’était le système de l’« exclusif » ou du « pacte colonial », qui réservait à la France la totalité des échanges commerciaux. D’où une importante contrebande (commerce interlope) et une opposition de plus en plus marquée des colons, qui obtiendront des aménagements constituant, à la veille de la Révolution, l’« exclusif mitigé ». Au point de vue des résultats de l’exploitation, un contraste saisissant entre l’ensemble, où la mise en valeur demeure très médiocre, et les « Isles » (Antilles), riches de leurs produits tropicaux (notamment le sucre) et dont le commerce représentait en 1787 30 p. 100 du commerce total de la métropole, prospérité symbolisée par l’activité de Saint-Domingue et qui s’effondrera avec les troubles des périodes révolutionnaire et impériale.

Dans toutes ces colonies vont se juxtaposer, se mêler et parfois fusionner des populations d’origine différente. Les Français sont relativement nombreux en Louisiane et surtout au Canada’: par suite d’une très forte natalité, on dénombrera de 75 000 à 80 000 colons blancs quand disparaîtra le domaine d’Amérique du Nord. Les conditions leur sont moins favorables dans certaines régions tropicales et équatoriales, comme la Guyane, la côte occidentale d’Afrique et l’Inde, mais il faut noter deux exceptions remarquables : l’île de France et l’île Bourbon, presque désertes au milieu du xviie s., qui comptent chacune 6 500 Blancs à la fin du règne de Louis XV. Aux Antilles, de 50 000 à 60 000 Blancs sont établis dans les dernières années de l’Ancien Régime, dont 32 000 à Saint-Domingue, formant une masse de Petits Blancs dominés par une minorité de Grands Blancs, maîtres des plantations.

Les indigènes ont parfois beaucoup souffert des guerres engendrées par la colonisation, mais souvent aussi ils devinrent les alliés des Français : vers 1750 apparaissent dans l’Inde les premiers cipayes, et, dès ce moment, le soldat indigène jouera le rôle d’un auxiliaire essentiel de la conquête coloniale. Avec Richelieu, il est question d’une assimilation qui transformerait les « sauvages » en « naturels français », et Colbert préconise les mariages mixtes afin qu’Indiens et Français ne forment qu’« un même peuple ».

Au point de vue ethnique, la colonisation ne se limite point au contact des Français et des indigènes. Par suite des besoins en main-d’œuvre, la traite détermina une implantation considérable de Noirs : à la fin de l’Ancien Régime, on en comptait plus de 50 000 dans les Mascareignes (île Bourbon et île de France), 11 000 à la Guyane, 90 000 à la Martinique, 93 000 à la Guadeloupe, de 400 000 à 450 000 à Saint-Domingue. En 1685, le « Code noir » avait réglementé la condition des esclaves, qui, par leur nombre croissant, paraissaient de plus en plus dangereux, quoique absolument indispensables. Sur la proposition de Danton notamment, la Convention abolira l’esclavage en 1794, mais le Consulat le rétablira en 1802 et enverra une expédition à Saint-Domingue pour abattre le régime de Toussaint Louverture (1743-1803), issu de la révolte des Noirs. Il faudra attendre 1815 pour que la France condamne la traite et 1848 pour que l’esclavage lui-même soit aboli.