Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Charles X (suite)

Paradoxalement, après les Cent-Jours et la Terreur blanche, les premières grandes luttes politiques de la Restauration vont se dérouler entre le parti de Monsieur et le gouvernement royal. La dissolution de la Chambre le 5 septembre 1816 préludant à la mise en œuvre d’une politique libérale, les ultras poussent le comte d’Artois à une opposition stérile. Chaque projet ministériel est suspecté, voire combattu. Le parti de l’intransigeance, voué à la défense hautaine de conceptions surannées, étale un cléricalisme agressif et prône une stratégie de la revanche qui dessert la cause royale. Monsieur pratique l’escarmouche, divise inconsciemment le royalisme, le dissout en intrigues et, sans rallier la masse, que le système censitaire écarte, rejette la bourgeoisie des villes, maîtresse du pays légal. Ainsi, en 1818, la loi Gouvion-Saint-Cyr réorganise l’armée en favorisant le métier au détriment des antiques privilèges nobiliaires. Les ultras ayant fait le siège de Monsieur, ce dernier croit devoir faire au roi de sévères représentations. Il n’en retire qu’une admonestation de Louis XVIII. À vrai dire, le souverain s’inquiète de menées plus dangereuses. Quelques insurrections locales de « verdets » exaltés, grossies à dessein par Decazes, le favori détesté de la droite, aboutissent à l’ordonnance du 30 juillet 1818, qui soumet la garde nationale au seul pouvoir civil et enlève au comte d’Artois la direction de l’« armée ultra ».

Monsieur va d’échec en échec. La représentation parlementaire ultra se réduit à chaque élection, face à la coalition de fait des libéraux et des ministériels. Soucieux de fermer les plaies, de stabiliser les institutions et d’effacer la triste réputation d’une couronne ramenée de l’étranger, Louis XVIII doit se garder des attaques incessantes de la réaction. Le jeu politique des ultras frise l’inconscience. C’est ainsi que le comte d’Artois fait parvenir au tsar, en juillet 1818, une note rédigée par Vitrolles et destinée à être communiquée aux Alliés avant l’ouverture du congrès d’Aix-la-Chapelle. Écrite à la hâte en termes ambigus, plus connue par la version tronquée qu’en donnent les services de Decazes, elle apparaît comme une invite pressante à prolonger l’occupation étrangère en France. Ainsi serait-on prémuni contre l’explosion jacobine que préparait la politique du ministère. Au centre comme à gauche, on ne manque pas de flétrir l’attitude antinationale de Monsieur, tout inspirée de l’esprit de Coblence.

L’assassinat du duc de Berry, le 13 février 1820, marque un tournant capital et sonne le glas des espoirs de ceux qui, comme Decazes, avaient cru « royaliser la nation et nationaliser la royauté ». Le comte d’Artois, durement éprouvé sur le plan personnel, se voit porté par les circonstances à un retour d’influence décisif. La nouvelle orientation du régime comble ses vœux : une Chambre « retrouvée » grâce à la loi du double vote, qui élimine pratiquement les libéraux ; la direction des affaires confiée à Villèle, que laisse faire Louis XVIII résigné et déclinant ; le prestige relatif de l’expédition d’Espagne, conduite par le duc d’Angoulême.


Le roi (sept. 1824 - juill. 1830)

À la mort de Louis XVIII le 16 septembre le comte d’Artois monte sur le trône sous le nom de Charles X. La passation des pouvoirs se fait sans troubles, voire même dans une atmosphère de loyalisme monarchique. Le nouveau souverain prend contact avec le personnel politique, qu’il séduit par ses qualités naturelles. Il se révèle courtois sans être familier, digne sans être hautain. Habilement, il conserve provisoirement le même cabinet, confirme sa volonté de continuer le règne de son frère dans la paix et l’observation de la Charte. Une large amnistie, l’abolition de la censure, de discrètes avances à l’opposition libérale accentuent l’impression favorable. Cependant, les événements vont prendre très rapidement mauvaise tournure. Les germes de conflit ne manquent pas, avec pour origine la conception que se fait le roi de ses prérogatives. Charles X ne s’est jamais laissé griser par un pouvoir qu’il estimait lui être naturellement dévolu. Il estimait, cependant, exercer pleinement ses responsabilités. En France, le gouvernement est assuré par le roi. Celui-ci tient le plus grand compte des avis des Assemblées, mais ne s’estime nullement lié par leurs opinions, leurs recommandations ou leurs mises en garde. Dans son esprit, la Charte est non pas une concession à l’esprit de la Révolution, mais une adaptation nécessaire : c’est une simple addition aux traditions séculaires, aux antiques franchises nationales. Le régime est une monarchie constitutionnelle et non une monarchie parlementaire.

Après tant d’années de déchirements, la conduite des affaires du pays exige beaucoup de doigté et de réalisme, qualités dont Charles X est malheureusement dépourvu. Le programme politique le plus proche de ses idées est celui des Chevaliers de la foi, qui privilégie l’Église et entend imposer l’établissement d’une société hiérarchisée où le pouvoir civil sera subordonné aux lois divines. Pour prévenir le retour des troubles, on estime nécessaire de consolider les forces sociales traditionnelles, en particulier les grands propriétaires terriens. Le roi maintient Villèle à la tête du ministère : c’est un fidèle et un homme d’expérience. Mais, pour Charles X, le président du Conseil n’est que l’homme de confiance du souverain, non le chef d’une majorité.

Charles X inaugure son règne par une série de mesures désastreuses. Tout est sujet à outrance. L’agressivité réactionnaire de l’entourage royal et la faction ultra dénaturent les projets, provoquent de furieux débats, ravivent les passions et font endosser au président du Conseil la responsabilité de décisions impopulaires qu’il lui arrive de réprouver. Ainsi en est-il de la loi sur le sacrilège : d’une mesure de police, on fait une loi au service d’un dogme particulier, au demeurant inapplicable et inappliquée (janv. 1825). Quand Villèle croit pouvoir indemniser les fidélités éprouvées tout en rassurant les acquéreurs de biens nationaux, la mesure « de réconciliation et de réparation » devient le « milliard des émigrés » (avr. 1825).