Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Charles X (suite)

Le roi n’a cure des clameurs de la Chambre ou des campagnes de la presse libérale. Il ne voit dans la politique de ses ministres que l’exécution fidèle de ses désirs, de sa volonté mystique de « renouer la chaîne des temps ». Assuré de l’amour de ses fidèles sujets, il ne l’est pas moins de leur attachement supposé au culte des principes traditionnels. En ce sens, il espère beaucoup de son sacre pour rallier une France divisée par les factions. Mais le pays ne comprend guère la signification de ce cérémonial anachronique, que les libéraux présentent comme la subordination du trône au sacerdoce et un symbole du retour au passé (mai 1825).

Quelle est la part de la maladresse et celle du défi dans la conduite de Charles X ? Dans un climat de guerre de religion où les plus furieux pourfendeurs de jésuites ne se recrutent pas seulement à gauche, le roi multiplie les faveurs accordées à l’Église et affiche une dévotion ostentatoire, comme à la procession solennelle du Jubilé (1826). Bien plus qu’à Villèle, partisan de mesures discrètes, c’est au roi, circonvenu par ses familiers, que l’on doit la première escarmouche contre le Code Napoléon : c’est la loi sur « les successions et les substitutions », plus couramment appelée « loi sur le rétablissement du droit d’aînesse ». Les pairs, inquiets, en rejettent l’essentiel, et Paris illumine (avr. 1826). L’autoritarisme n’a pas plus de succès. La presse est bâillonnée, et la garde nationale dissoute (avr. 1827). La Chambre des députés, naguère fidèle, subit le même sort (nov. 1827). Nouvelle erreur de jugement, car les libéraux triomphent aux élections et imposent le départ de Villèle. Charles X, déconcerté, accepte Martignac et affirme tenter loyalement une expérience libérale (janv. 1828). Il demeure néanmoins dans une constante défiance à l’égard de ce royaliste modéré et conciliateur. Il lui refuse le titre de président du Conseil, ne l’appuie qu’avec réticence et continue de consulter Villèle, qu’il affecte de regretter avec insistance. Les ordonnances « tactiques » d’avril et de juin 1828 sur les écoles ecclésiastiques blessent sa conscience ; le rétablissement de la liberté de la presse lui paraît une désastreuse concession. Quand la Chambre, à l’occasion d’un débat sur la réforme de l’administration locale, tente de faire prévaloir son initiative législative sur celle du souverain, Martignac est inexorablement condamné.

Un portrait de Charles X

Le beau cavalier étonnamment jeune et svelte encore, qui devenait roi à soixante-sept ans, était tout contraste avec le vieux prince infirme qui venait de mourir. Louis XVIII avait eu la vue très claire des difficultés, et, pour composer avec elles, son égoïsme même avait aiguisé sa prudence et donné à son esprit politique la sûreté de l’instinct [...]. Beaucoup d’illusions habitaient au contraire la tête du nouveau roi, et il avait le don malheureux de croire facilement ce qu’il souhaitait : l’aveugle après le paralytique, étaient tentés de dire les plaisants. Il avait en commun avec son frère la plus grande idée confondue de la royauté et de la France. Il avait cru pendant l’émigration que la France était toujours toute où il était ; mais, depuis qu’il l’avait retrouvée, il avait le sens aussi jaloux de ses intérêts et de sa grandeur que de sa propre autorité [...]. Régner pour ne pas réaliser toutes les idées qu’il croyait justes et ne pas faire tout ce qu’il considérait comme le bien, lui semblait de nul prix. Il n’imaginait pas compromettre sa couronne, ne voyant de dangers que dans la faiblesse et les concessions ; mais, eût-il vu le risque, il l’eût couru.
Marquis de Roux,
la Restauration (1930).


Le ministère Polignac et la révolution de 1830

Le choix du nouveau cabinet en août 1829 est révélateur. Charles X entend défendre son trône et ses prérogatives en refoulant vigoureusement le libéralisme ; il privilégie les affections personnelles au détriment de la compétence. La présidence du Conseil est rétablie au profit du prince Jules de Polignac, âme dévouée et esprit étroit. Leur réputation d’hommes à poigne fait entrer au ministère le maréchal de Bourmont, Haussez et Montbel. Jamais gouvernement n’avait réuni en une aussi trouble conjoncture les tristes qualités de l’inexpérience et de l’impopularité.

Le 2 mars 1830, le roi engage la bataille par un discours du trône provocateur. La menace impressionne, mais l’opposition fait front. Le 16 mars 1830, l’adresse de la Chambre des députés proclame avec force les droits intangibles de la représentation nationale. Les deux conceptions antagonistes du pouvoir royal s’affrontent en un débat mouvementé. L’adresse est finalement votée par 221 députés.

La crise est ouverte. Au sein du Conseil, on suppute les possibilités tactiques. Charles X tient ferme. Jamais il ne cédera aux prétentions parlementaires.

Le roi opte en définitive pour la solution radicale de Polignac : la Chambre sera renvoyée, et le souverain gouvernera par ordonnances en cas de nouvel échec électoral, suivant une interprétation, à vrai dire, discutable de l’article 14 de la Charte. Certains avaient espéré, un moment, pouvoir rallier par d’opportunes concessions l’important groupe de la « défection », animé par Chateaubriand*. Ces ultimes tentatives de conciliation échouent, et les éléments modérés du cabinet, André Jean de Crouzol, comte de Chabrol, et Jean Courvoisier, démissionnent. Les forces des deux partis sont mobilisées en vue du scrutin capital. Imprudemment, Charles X intervient en personne par une proclamation au pays. Il rappelle ses engagements de maintenir la Charte, de faire respecter les droits sacrés de la Couronne et invite les électeurs à une participation massive. C’est le succès sans équivoque des libéraux.

Le roi engage alors la deuxième bataille. Le dimanche 25 juillet 1830, il signe les quatre ordonnances célèbres. La liberté de la presse est suspendue, la Chambre dissoute, et les élections, suivant le nouveau régime électoral, sont fixées aux 6 et 13 septembre. Déjà mal engagée sur le terrain parlementaire et institutionnel, la lutte sur le plan militaire révèle une désastreuse impréparation, dont le roi porte la lourde responsabilité. Le dispositif de sécurité est très insuffisant : l’armée est à Alger, et de nombreux régiments sont loin de la capitale. La direction d’éventuelles opérations est confiée à Marmont, gouverneur de Paris, et au préfet de police Mangin, un opportuniste aidé d’un incapable. Charles X et Polignac affichent une inconsciente sérénité et laissent les responsables sans instructions.