Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

bande dessinée (suite)

La découverte de l’imprimerie, l’usage de la xylographie et du papier de chiffons, en permettant la circulation de l’image, vont libérer d’autres préoccupations. Vers 1370, le « bois Protat » (planche xylographique destinée à l’impression sur étoffe) offre le plus ancien exemple connu d’un phylactère, c’est-à-dire la réintroduction du texte à l’intérieur de l’image et dans un emplacement spécial. Vers 1480, Botticelli montre les personnages de la Divine Comédie, vivant dans la même image des scènes successives. Tentative d’un récit découpé que rejoignent à la même époque des recueils xylographiques enseignant, avec phylactères à l’appui, l’art de bien mourir ou racontant en quarante-huit images l’Apocalypse de saint Jean. Alors que sur la fin du xviiie s. naît l’imagerie d’Épinal, la caricature anglaise a déjà généralisé l’usage du ballon, dont la forme, encore étirée, indique une filiation avec les phylactères. Mais l’évolution de la technique narrative de l’imagerie d’Épinal sous le second Empire est considérée comme annonciatrice de la bande dessinée.


Histoire

La bande dessinée est née vers 1827, presque clandestinement, en Suisse, où le maître d’école Rodolphe Toepffer (1799-1846) fait circuler un album calligraphié, les Amours de M. Vieux Bois, publié sur les conseils de Goethe seulement dix ans plus tard. Texte intégré à l’image, variations d’angles et cadrages, montage, l’œuvre de Toepffer réunit, avec trois quarts de siècle d’avance, les caractéristiques de la bande dessinée moderne. Certaines font encore défaut à l’ancêtre allemand Max und Moritz (Munich, 1865), de Wilhelm Busch (1832-1908), et à l’ancêtre français la Famille Fenouillard (Paris, 1889), de Christophe (1856-1945). Chez l’un et l’autre, l’image est muette, expliquée par une brève légende placée au-dessous d’elle. On trouve au contraire des ballons dans The Yellow Kid (New York, 1896), de Richard F. Outcault (1863-1928), suivi de près par la doyenne des bandes encore vivantes, The Katzenjammer Kids (New York, 1897), créée et dessinée par Rudolph Dirks (1879-1968) — c’est un record — jusqu’à sa mort. Un usage limité et sporadique du ballon apparaît dans les Pieds Nickelés (1908), de Louis Forton. La première bande française à l’adopter complètement sera Zig et Puce (1925), d’Alain Saint-Ogan, suivie de Tintin et Milou au pays des Soviets (Bruxelles, 1929), d’Hergé. L’emploi de cette technique ne se généralise en France qu’après le débarquement des personnages américains opéré par le Journal de Mickey dans la presse enfantine en octobre 1934.

Si le ballon caractérise la différence de technique narrative entre la bande dessinée française et celle d’Amérique, le critère du public révèle les graves divergences de leur économie, de leur thématique, de leur accès au marché international. La France, pays d’une forte culture écrite, laisse la bande dessinée — sous-culture par l’image — naître, se développer, se murer dans l’univers étroit de la presse enfantine. Les héros les plus célèbres voient leur renommée s’arrêter toujours aux frontières nationales et souvent se limiter à la classe sociale des lecteurs de l’hebdomadaire publiant en exclusivité leurs aventures. Bécassine et la Semaine de Suzette sont lues par la bourgeoisie ; les Pieds Nickelés et l’Épatant par un public « populaire ». En Italie, les charmants personnages d’Antonio Rubino symbolisent le Corriere dei Piccoli. En 1930 seulement, le quotidien le Petit Parisien accepte d’ouvrir ses colonnes à la bande dessinée, mais américaine : Félix le Chat, puis Mickey Mouse. En 1934, le Journal, voit naître enfin le premier personnage quotidien de la bande dessinée française : le professeur Nimbus, par André Daix, puis par J. Darthel.

Aux États-Unis, l’absence d’une tradition culturelle spécifique fait de l’image le langage commun d’immigrants d’ethnies différentes. Après avoir conquis plusieurs pages dans les suppléments dominicaux des quotidiens, la bande dessinée va pénétrer dans ceux-ci mêmes, à la suite de Mr. Augustus Mutt, créé en 1907 par Bud Fisher pour le San Francisco Chronicle. À partir de 1912, la plupart des grands quotidiens consacrent une et bientôt plusieurs pages aux bandes dessinées. Certains personnages connaissent alors deux existences parallèles : aventures quotidiennes en quatre images (daily strip), indépendantes de la série hebdomadaire de neuf ou douze images en couleurs (Sunday page). En 1916, William Randolph Hearst perfectionne le système : supprimant l’exclusivité, il fonde une agence chargée de distribuer les bandes dessinées de ses journaux dans tous les États-Unis, puis dans tous les pays de langue anglaise et, à partir de 1929, dans le monde entier. Cet organisme, le King Features Syndicate, et le plus important de ses concurrents, l’United Features Syndicate, vont procurer à la bande dessinée américaine une surface de diffusion et un impact sur le public dont l’engouement suscité par Astérix en France, en 1966, ne donne qu’un faible aperçu. Ainsi, Mandrake le magicien est-il publié chaque jour depuis 1934 dans 450 journaux, représentant 90 millions de lecteurs. Peanuts paraît dans 1 200 journaux... Enfin, vers 1936, une forme supplémentaire de diffusion apparaît : les comic-books, fascicules aux couvertures poétiques et paranoïaques, et dont les personnages, à caractère fantastique, sont communément appelés super-héros.


Diversification et thématique

La rationalisation de la diffusion et l’élargissement des débouchés provoquent un accroissement de la production américaine et surtout un élargissement des thèmes : les années 1929, 1934 et 1938 marquent d’importantes étapes aussi bien quantitatives que qualitatives. Comiques à l’origine, les bandes dessinées le sont demeurées si longtemps qu’on les appelle toujours the comics ou, dans le langage courant, the funnies. Les premières mutations affecteront donc l’humour, en commençant par les personnages et le cadre. Du burlesque des espiègleries enfantines (The Yellow Kid, The Katzenjammer Kids, Buster Brown) on passe à la comédie, d’abord satire familiale (Bringing up Father [la Famille Illico], 1913 ; Blondie, 1929), puis satire sociale (Li’l Abner, 1934) ou politique (Feiffer, 1956). En même temps, l’humour affûte de nouveaux procédés : l’absurde, de Krazy Kat (1910) à Wizard of Id (1964) ; le grotesque avec Popeye (1929) ; la fable avec Mickey (1930) et Pogo (1943) ; la parabole psychanalytique avec Peanuts (1950). Tandis que s’infiltrent dans le comique des préoccupations nouvelles : l’onirisme (Little Nemo in Slumberland, 1905), le merveilleux (Felix the Cat, 1921).