Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

bande dessinée (suite)

La bande dessinée prend un tournant en 1929 et découvre l’univers dramatique grâce à l’adaptation, par Hal Foster, du roman Tarzan (1914), d’Edgar Rice Burroughs. Une nouvelle quête du Graal s’engage. D’abord dans l’espace : l’Afrique avec Tarzan, Tim Tyler (1932), Jungle Jim (1934) ; la Chine avec Terry and the Pirates (1934) ; l’Inde avec The Phantom (1936) ; le ciel avec de nombreux aviateurs ; le système cosmique avec Connie, Flash Gordon (1934). Puis c’est l’exploration du temps avec : Buck Rogers in the xxvth Century (1929) ; Prince Valiant et le Moyen Âge (1937) ; l’Ouest de la fin du xixe s. : The Lone Ranger (1938), Red Ryder (1938). Le roman policier lance ses détectives (Dick Tracy, 1931 ; Secret agent X-9, 1934) dans la jungle des villes. Avec Mandrake le magicien (1934) et les « super-héros » des comic-booksSuperman (1938), Batman (1939), The Flash, The Fantastic Four, Captain Marvel —, fantastique et merveilleux se manifestent dans la rue. Après la dernière guerre, l’imagination américaine cherche à meubler la place occupée en Europe par le photoroman grâce à des bandes sentimentales, dont la plus connue est, en 1953, The Heart of Juliet Jones (Juliette de mon cœur).

En France, l’étroitesse des débouchés (purement nationaux) et surtout la composition monolithique d’un public (enfants) encadré de tabous entretiennent la sclérose des thèmes sans jamais susciter un besoin de les renouveler, sinon lorsqu’il sera trop tard, la production américaine ayant conquis le marché. Jusque-là, l’inspiration française ignore l’univers dramatique. Les rares échantillons sont des contes en images (féeries, proverbes, légendes ou exploits historiques) reproduisant l’aspect et la technique de l’imagerie d’Épinal des années 1880 ou des romans en images dont le texte noie des illustrations sans lien précis avec lui. L’humour a pour cible unique la cellule familiale. Hors les quelques cas où il utilise la satire (Bécassine), la fable animale (Benjamin Rabier) ou le grotesque (les Pieds Nickelés), il est fondé sur le gag verbal ou les difformités physiques, que souligne un graphisme pesant. Alain Saint-Ogan (Zig et Puce) et, en Belgique, Hergé (Tintin) introduisent tardivement un genre peu représenté dans le domaine américain, si ce n’est par Mickey Mouse après 1930. C’est la comédie dramatique : feuilletons d’aventures policières racontées sur un ton satirique. Les rares tentatives pour acclimater la science-fiction — Pellos en 1936 avec Futuropolis et plus tard André Liquois — ne rencontreront aucun écho, du moins auprès des éditeurs. Aussi, l’introduction massive des bandes d’outre-Atlantique entraîne-t-elle, à partir de 1934, un bouleversement, puis un effondrement de la production française, que seule l’entrée en guerre de l’Amérique empêche de disparaître tout à fait.

En Italie, où domine jusque vers 1930 l’humour poétique d’Antonio Rubino, l’arrivée de la production américaine provoque l’émulation et la riposte efficace de jeunes artistes. Rino Albertarelli propose un Far West plus épique encore avec Kit Carson (1937). Saturno contra la Terra (1937), de Giovanni Scolari, et Virus, il mago della foresta morta (1938), de Walter Molino, entraînent la science-fiction vers des horizons fantastiques et surréalistes que les Américains ignoraient. Les mêmes artistes créent un organisme chargé de promouvoir leurs œuvres à l’étranger. Ainsi ces bandes viennent-elles en France même, dès 1938, prendre le relais de la production locale défaillante.

L’après-guerre connaît un éveil ou un épanouissement des productions nationales, mieux préparées à résister à la concurrence américaine. L’Angleterre, que cette dernière avait écrasée, voit ses héroïnes (Modesty Blaise, Tiffany Jones) ou ses espions musclés (James Bond) prendre pied sur le continent. Sur celui-ci, l’Italie, délaissant le comique au profit des « super-héros », continue dans la voie d’un fantastique aventureux et coloré d’érotisme, dont le meilleur représentant est Guido Crepax. La production française prend son véritable essor après l’entrée en vigueur de la loi du 16 juillet 1949, destinée à censurer les bandes dessinées pour la jeunesse ; son premier effet est d’éliminer la concurrence étrangère. Alors peut se constituer une féconde école franco-belge, dominée et précédée dès 1946 par la personnalité et les modes de travail d’Hergé. Celui-ci, s’entourant d’une équipe de collaborateurs spécialisés (dans les paysages, la couleur, les automobiles, le tracé des lettres), a posé d’utiles principes qui ont élargi son public « de 7 à 77 ans » : apporter à une œuvre destinée à l’enfance la vérité et le soin qu’exigeraient des adultes ; ne jamais imiter la concurrence étrangère, même dans ses succès, mais s’en distinguer. Ainsi a-t-il introduit la précision documentaire et l’authenticité dans un genre, le comique, qui semblait y être peu disposé. Dans les bandes comiques, qui demeurent sa spécialité, l’école franco-belge a su apporter, par l’emploi judicieux des onomatopées un très original réalisme phonétique. À côté de la traditionnelle satire, elle a introduit, avec beaucoup de succès, le trait parodique et le pastiche : Lucky Luke (1946), Astérix le Gaulois (1958). Elle a, par contre, peu innové dans le graphisme, dont les réminiscences néo-disneyennes commencent à dater.

L’univers dramatique s’ouvre enfin à la science-fiction — les Pionniers de l’Espérance (1945), de Raymond Poïvet ; Blake et Mortimer (1946), d’Edgar P. Jacobs ; les Naufragés du temps (1964), de Paul Gillon — et, grâce à une bande quotidienne de ce dernier (13 rue de l’Espoir), au néo-réalisme. L’événement le plus important de l’évolution thématique est la naissance, en 1962, avec Barbarella, de Jean-Claude Forest, de la bande dessinée conçue pour des adultes. Jodelle (1966), de Guy Peellaert, contribue à cette recherche d’un fantastique érotisé, par la tentative graphique la plus originale de l’après-guerre : elle souligne les parentés de la bande dessinée avec les autres arts visuels, en particulier avec la peinture.