Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Bach (suite)

Le mystère de J.-S. Bach

En dépit de tous ces ouvrages, toutes ces éditions, il faut avouer qu’il reste encore beaucoup d’inconnu sur Bach, sur l’œuvre comme sur l’homme. On découvre des partitions ignorées ; on identifie des manuscrits anonymes en rendant à Bach ce qui était à lui ou en rendant à d’autres ce qui avait été, par erreur, attribué au Cantor. On en vient même à discuter de l’authenticité de certaines pages écrites par Bach en sa jeunesse, notamment de la musique de clavier. On cherche à reconstituer les Passions selon saint Marc et selon saint Luc, et l’on croit savoir que certaines cantates pouvaient être jumelées, comme celles de l’Oratorio de Noël, pour être présentées à titre d’histoires sacrées, dans le propos de commenter certaines fêtes de l’année liturgique. On discute encore de l’authenticité de certains concertos de clavecin, dont plusieurs étaient originellement dus à des Italiens ou des Allemands, mais dont quelques-uns lui appartiennent peut-être en propre. Les musicologues se penchent encore sur l’Art de la fugue pour savoir si un tel corpus était destiné ou non à des instruments, pour savoir également si la dernière fugue relève de l’ensemble même de l’ouvrage didactique. De même qu’on épiloguera longtemps encore sur la registration de Bach à l’orgue, puisque, hormis trois ou quatre pages pour lesquelles il a indiqué organum plenum ou in organo pleno, nous ne savons rien des procédés personnels de coloration utilisés par Bach à l’orgue. Rien des tempos qu’il prenait. Rien, ou presque, des phrasers qu’il avait fait siens. Il est clair que nous ne pouvons pas utiliser à l’orchestre les instruments à vent dont il a exploité les timbres si colorés (cornet, zinc, petite trompette). Il est enfin difficile de se prononcer sur le jeu polyphonique qu’exigeait Bach de l’étudiant auquel il soumettait ses trois grandes sonates pour violon seul : tout dépendait, ici, de la forme de l’archet employé par le professeur. Ainsi, de multiples questions se présentent à l’esprit concernant les instruments utilisés par Bach et son interprétation personnelle sur ces instruments.

Bien des ombres existent enfin qui recouvrent la vie de l’homme et une partie de son personnage, en dépit de l’effort des musicologues américains H. T. David et A. Mendel, qui ont réuni tous les écrits de Bach aujourd’hui connus (The Bach Reader, 1945). Nous ne possédons aucune correspondance de lui qui aurait pu nous éclairer sur la vie de son foyer, sur l’existence de l’artiste, du professeur, du père de famille, sur les relations qu’il aurait pu entretenir avec ses amis, ses élèves ou les grands du jour. Aucune lumière n’a été projetée sur la profondeur de sa foi, sur la qualité de celle-ci (foi luthérienne ou piétiste ?), sur sa culture littéraire (les livrets de ses cantates sont souvent très médiocres !). Si l’étendue de sa culture musicale nous est connue, nous ne savons pas toujours comment il est parvenu à l’enrichir. Nous ignorons par quel truchement véritable il a pénétré le sens de la musique française. Nous voudrions savoir quel contrat exact le liait à un homme qui, Électeur de Saxe, défendait la religion protestante, et qui, roi de Pologne, se devait de prendre sous son patronage la religion catholique. Enfin, quantité de problèmes touchant l’éducation qu’il a donnée à ses enfants des deux mariages demeurent sans solution.

N. D.


Les fils de J.-S. Bach

Quatre des vingt enfants de J.-S. Bach furent de grands maîtres de la musique. Mieux : les différences sont très sensibles, entre ces quatre créateurs. Dans la position charnière où ils se situent, entre l’apogée du baroque et les premiers éclats beethovéniens, ils semblent présager chacun une portion différente de l’avenir de la musique.


Wilhelm Friedemann Bach

(Weimar 1710 - Berlin 1784). Il est le premier enfant, aîné des garçons, dont les études humanistes se situent à Köthen et à Leipzig, et pour l’éducation musicale de qui Jean-Sébastien composa l’Orgelbüchlein (1708-1717), le Klavierbüchlein (1720-1721), le Clavecin bien tempéré (en tous les cas la première partie) et les six sonates en trio pour orgue, ce qui révèle les dons exceptionnels de Friedemann et leur développement rapide. En 1733, il obtient le poste d’organiste de Sainte-Sophie à Dresde ; dans la capitale saxonne, il donne des leçons particulières et participe activement à la vie musicale ; parmi ses élèves, il faut citer Johann Gottlieb Goldberg. En 1746, il quitte Dresde pour devenir cantor de l’église Notre-Dame à Halle (aujourd’hui Marktkirche) avec le titre de director musices, sorte d’adjoint ou de conseiller municipal responsable de la musique. Il avait rendu visite à Händel en 1733 ; en 1747, il accompagne son père à Berlin à la cour de Frédéric II. C’est en 1750, à l’occasion d’une absence prolongée — il avait conduit chez Carl Philipp Emanuel son plus jeune frère, Johann Christian, après la mort de son père — que commencent les difficultés de Friedemann avec les autorités ; elles se termineront par la rupture et la démission en 1764. Des démarches pour obtenir un poste à Zittau puis à Darmstadt n’ayant pas abouti, l’existence indépendante à Halle se révélant impossible, Friedemann cherche à s’établir à Brunswick, puis à Wolfenbüttel. Ni le succès des concerts, ni l’amitié de J. N. Forkel, ni les leçons particulières ne s’avèrent susceptibles d’assurer sa subsistance. En 1774, Friedemann se rend à Berlin, où ses premiers récitals d’orgue font sensation ; Frédéric II évoque à son propos le « grand Bach ». Pourtant, le musicien disparaît dans l’obscurité et la pauvreté pendant ses dernières années ; on sait seulement qu’il forma Sara Lévi-Itzig, musicienne d’envergure et grand-tante de Mendelssohn.

La vie et la carrière de W. F. Bach ne résistèrent pas à la tentative prématurée de mener une existence de créateur et d’interprète indépendant ; nous savons que les récits sur une vie déréglée et ivrogne ne correspondent pas à la réalité. Interprète exceptionnel au clavier et peut-être même au violon, il fut l’un des très rares à être capable d’interpréter les œuvres de son père dans la seconde moitié du siècle ; les témoignages abondent sur les qualités exceptionnelles de ses improvisations. Nous sommes loin, malheureusement, de posséder l’ensemble de son œuvre ; une grande partie n’a sans doute pas été notée par le compositeur, une autre est perdue ; ce qui reste suffit à faire voir dans l’aîné des fils un génie comparable à son père et apprécié d’ailleurs comme tel par Jean-Sébastien.