Grenade
en espagnol Granada
Ville d'Espagne, en Andalousie, chef-lieu de province, au pied de la sierra Nevada.
- Population : 232 770 hab. (recensement de 2017)
Archevêché. Université. Centre touristique (quartiers anciens) au centre d'une plaine (vega) irriguée.
L'HISTOIRE DE GRENADE
Grenade sous les Zirides
Vieille bourgade espagnole, Grenade entre dans l'histoire au début du xie s., lorsque des Zirides – Berbères Sanhadja –, offrant leur service au calife de Cordoue, débarquent en Andalousie. Les Zirides s'installent à Elvira et font de Grenade (en arabe Gharnāṭa), alors peuplée essentiellement de juifs, la capitale de ce district.
Située sur une montagne, la ville est entourée de plaines fertiles sillonnées de cours d'eau et couvertes d'arbres. Cette situation favorise son développement. Aussi le calife al-Murtada tente-t-il de s'en emparer. Il en fait le siège, mais subit une défaite au cours de laquelle il est lui-même tué. Cette victoire consolide la dynastie ziride, qui, durant les règnes des émirs Habus et Badis, administre efficacement la ville de Grenade avec le concours des vizirs juifs.
Se heurtant à l'hostilité de leurs voisins musulmans et chrétiens, les Zirides consacrent de grosses sommes pour les fortifications de leur ville sans, pour autant, venir à bout de leurs adversaires. Le dernier émir ziride, Abd Allah, petit-fils de Badis, ne tente même pas de résister au souverain almoravide Yusuf ibn Tachfin, auquel il ouvre les portes de Grenade.
Grenade sous les Almoravides
La ville passe alors sous le contrôle des Almoravides, qui vont présider à sa destinée de 1090 à 1156. Cette période est marquée par des troubles et des guerres inaugurées par la mort de Yusuf ibn Tachfin en 1106. À partir de Marrakech, les souverains almoravides contrôlent mal la ville de Grenade et parviennent difficilement à soutenir les guerres répétées contre les princes chrétiens. Aussi sont-ils amenés à changer fréquemment les gouverneurs de Grenade et à renforcer la défense de la ville. Pour s'assurer la fidélité des gouverneurs, ils les choisissent de plus en plus parmi les membres de leur propre famille. C'est ainsi qu'Ali ibn Yusuf désigne tour à tour son cousin Mazdali ibn Sulankan, son neveu Abu Umar Inalu et même ses deux fils Abu Hafs Umar et Tachfin. Ces gouverneurs, s'ils ne sont pas destitués, terminent tragiquement leur carrière. Tel est le cas de Mazdali, qui, après avoir remporté en 1113 et en 1114 diverses victoires contre les princes chrétiens, est battu et tué en mars 1115. Tel est également le cas d'Ali ibn Abi Bakr, autre neveu d'Ali ibn Yusuf, qui trouve la mort au cours du soulèvement dirigé par Ibn Adha.
Celui-ci s'empare de Grenade et la remet à Sayf al-Dawla (Zafadola), dernier descendant des Banu Hud de Saragosse, soumis au prince chrétien Alphonse VII. Mais, aidés par la population, les Almoravides parviennent à libérer la ville et à contrôler la situation. Il n'en reste pas moins qu'ils sortent épuisés de ces guerres sans répit. Au demeurant, coupés du Maghreb depuis 1148, se sentant isolés en Espagne, ils écrivent à Marrakech pour demander la paix à leurs adversaires almohades et leur offrir la reddition de Grenade. En 1156, les Almohades occupent sans coup férir la ville, qui restera jusqu'en 1232 sous la domination de cette dynastie.
Grenade sous les Almohades
Sous les Almohades, Grenade connaît les mêmes difficultés que sous les Almoravides. Les gouverneurs almohades doivent, eux aussi, soutenir des guerres contre les princes musulmans et chrétiens. Le premier de ces gouverneurs s'engage dans une lutte contre les Castillans et parvient même à leur enlever pour un temps la ville d'Almería. Grenade ne connaît de répit qu'en 1157, à la suite de la mort d'Alphonse VII, roi de Castille et de León, et champion des croisades. Mais, en 1162, la ville est assaillie par surprise par Ibn Hamuchk, qui, agissant de connivence avec les juifs et les mozarabes grenadins, est soutenu par Ibn Mardanich et des mercenaires chrétiens.
Abu Said Uthman, gouverneur de Grenade, se trouvant alors à Marrakech, rentre très vite en Espagne en vue de sauver la situation. Vaincu à 4 milles de la ville, il s'enfuit à Málaga. Le souverain almohade Abd al-Mumin dépêche alors une armée d'élite qui parvient à libérer Grenade et à soumettre sa population. En 1168, le gouverneur almohade bat un détachement de mercenaires chrétiens au service d'Ibn Mardanich.
Ces victoires renforcent la position des Almohades à Grenade. En 1172, le calife Abu Yaqub Yusuf confie le gouvernement de la ville à son frère Abu Said Uthman. Sous ce gouvernement, comme sous ses successeurs, Grenade connaît une période de calme avant de tomber sous Ibn Hud, qui soulève les musulmans d'Espagne contre les Almohades.
Devenu maître de toute l'Andalousie, Ibn Hud reçoit à Grenade, en 1232, l'ambassadeur du calife abbasside venu l'investir du titre d'émir al-Andalus. Mais, cinq ans plus tard, il est assassiné par Ibn al-Ahmar, qui occupe Grenade en 1238 et y constitue la dynastie des Nasrides.
Grenade sous les Nasrides
Le premier souci du nouveau maître de Grenade est d'assurer la défense de la ville en la fortifiant. En 1242, à la mort du calife almohade al-Rachid. Ibn al-Ahmar reconnaît l'émir hafside de Tunis, Abu Zakariyya, qui l'assure de son soutien financier pour défendre le royaume de Grenade contre les chrétiens. Les Nasrides, désormais, s'useront dans la lutte contre les princes chrétiens.
Le royaume de Grenade reste, en effet, après la chute de Cordoue (1236), de Valence (1238) et de Séville (1248), le seul survivant de la puissance musulmane en Europe. En dépit de cet isolement, il survit, à force d'adresse et de diplomatie, jusqu'en 1492, date de son occupation par les chrétiens. Durant ces deux siècles, la civilisation musulmane atteint pourtant à Grenade des merveilles de raffinement se manifestant dans la musique, la littérature et surtout l'architecture.
GRENADE, VILLE D'ART
L'art islamique
Introduction
Il reste peu de vestiges des premières constructions islamiques à Grenade : la puissante enceinte du xie s., avec ses tours barlongues ou demi-circulaires, ses deux portes et son arc enjambant la rivière (pont du Cadi), la citerne du palais ziride, un bain (le Bañuelo), parfaite illustration du hammam hispano-mauresque hérité de l'Antiquité, et quelques fragments recueillis par les archéologues.
Sans l'Alhambra et le Generalife, nous ne connaîtrions guère mieux la Grenade nasride, si ce n'est par les textes. Il faut chercher dans les églises les traces, souvent peu perceptibles, de ses mosquées (église San Salvador ou clocher de l'église San Juan de los Reyes, ancien minaret indigent d'un oratoire de quartier, du xiiie s.). On ne conserve de la madrasa de 1349 que la salle de prière, au reste défigurée, et de l'hôpital que son plan. L'Ermita de San Sebastián (xve s.) est le seul témoin des monuments funéraires. Des bains publics multiples, un seul subsiste (dans la calle Reale) ; des fondouks (hôtellerie-bazar), prototypes de ceux de Fès, il ne reste que celui du Corral del Carbón, au plan très pur, aux belles proportions et au sobre décor de plâtre sculpté. Cinq fragments de maisons plus ou moins remaniées (Casa de los Girones, xiiie s.) montrent, par leur structure, leur décor riche et luxueux, un reflet fidèle de l'art de la cour.
L'Alhambra
C'est sans doute à l'immense attrait qu'exercèrent sur les conquérants chrétiens le charme du palais royal nasride et la beauté exceptionnelle de son site que l'Alhambra doit d'avoir survécu. C'est à cette beauté et à ce charme, plus encore qu'à son rôle de témoin unique de l'art palatial du xive s., qu'il doit son immense renommée. Ce vaste ensemble, à la fois forteresse, résidence somptueuse et cité administrative, ne présente pas que d'éminentes qualités. Si une science réelle a présidé à sa construction, s'il fait montre d'une incontestable originalité, il souffre de désordre, de déséquilibre, d'excès, d'un goût trop prononcé pour le pittoresque. Dans la partie résidentielle, il sacrifie volontairement l'architecture au décor. Celui-ci, en céramique, en plâtre, en bois, au demeurant plein de joliesse, tend à l'exubérance, couvre quasiment toutes les surfaces, dépasse la ligne architecturale et la tue. Il contribue à créer des perspectives de baies et d'arcs ; il joue avec les légères colonnes, isolées, jumelées ou groupées en nombre ; il a le sens de la couleur et des nuances ; il peut s'avérer excellent, comme dans l'épigraphie cursive ; mais, surtout dans les parties les plus récentes, il se dessèche, il manque de vigueur et de variété.
L'Alhambra a été mis en chantier vers le milieu du xiiie s. sur le site d'une forteresse antérieure. Les deux premiers princes nasrides ont édifié, outre les premiers palais, l'essentiel de la haute et magnifique muraille ainsi que le plus grand nombre des vingt-trois tours. Pourtant, celles de Comares, de Machuca, du Candil et les trois grandes portes monumentales (la Justicia, Siete Suelas et las Armas) sont l'œuvre de Yusuf Ier (1333-1354). Quant à la tour de Peinador, elle fut achevée sous Muhammad V. L'espace ainsi ceinturé comprenait trois parties : à l'ouest, le grand complexe fortifié de l'Alcazaba ; au centre, les palais ; à l'est, la ville. Les destructions, comme celle de la Grande Mosquée, ont altéré ce plan.
Les palais forment deux ensembles groupés autour de deux grands patios à axe perpendiculaire : la cour de Comares (dite aussi « des Myrtes » ou « de la Alberca »), qui date de Yusuf Ier, et la cour des Lions, édifiée par son successeur. L'un et l'autre comprennent des salles de réception au rez-de-chaussée (salle de la Barca, salle des Ambassadeurs, dite aussi « du Trône », pour le premier ; salle des Deux-Sœurs, salle des Muqarnas [stalactites], salle des Rois ou du Tribunal, salle des Abencérages, pour le second) et des chambres, de dimensions plus réduites, à l'étage. Des bains et une chapelle s'insèrent entre les deux. Plus au sud s'élevait la Rawda, la nécropole, dont les fouilles ont révélé le plan, tandis que le Partal et les demeures sises au-delà des tours de Peinador, de la Reine et de la Captive forment une ordonnance à part.
Le généralife
La seule maison de campagne des Nasrides qui nous soit parvenue date du début du xve s. et offre le type accompli des villas marocaines. Érigée sur des pentes escarpées, elle ouvre sur la ville des vues enchanteresses. Deux pavillons à portiques, aux salles richement décorées, s'y font face de part et d'autre d'un long jardin creusé dans son axe par un canal. Ce jardin est entouré d'un mur qui, trait exceptionnel dans l'art de l'islam occidental, est ajouré d'arcs sur un côté et porte un mirador.
Après la reconquête
Parce qu'elle avait été ardemment convoitée, la ville de Grenade demeura pendant un certain temps une des cités de prédilection des rois d'Espagne. Ceux-ci se plurent à la parer et y appelèrent les meilleurs artistes. Ainsi se constitua un important foyer d'art où s'opéra le passage du gothique à la Renaissance.
Les Rois Catholiques, après avoir décidé de s'y faire enterrer, confièrent à leur architecte, Enrique Egas (?-vers 1534), le soin de construire la Chapelle royale (1505-1521) destinée à abriter cette sépulture. Le monument, encore tout gothique, allait devenir un splendide musée de sculpture et de peinture.
La Renaissance fit effectivement son entrée à Grenade avec Diego de Siloé, dont l'œuvre résume les conquêtes du premier art plateresque. Son ambition de bâtir comme les Romains trouva des chantiers à sa mesure, avec le fastueux couvent des Hiéronymites et surtout, après 1528, avec la cathédrale.
Cependant, l'une des plus parfaites créations de la Renaissance se trouve sur la colline de l'Alhambra. Charles Quint y fit entreprendre par Pedro Machuca (?-1550) un nouveau palais qui est un hommage à l'Italie de Bramante. Le palais abrite aujourd'hui le Musée hispano-musulman et le Musée des Beaux-Arts.
Un nouvel élan fut donné vers le milieu du xviie s. par Alonso Cano et ses élèves, les sculpteurs Pedro de Mena (1628-1688) et José de Mora (1642-1724), et les peintres Pedro Atanasio Bocanegra (1638-1689) et Juan de Sevilla (1643-1695). Parallèlement, le mouvement baroque se développa dans l'architecture grâce à l'intervention de Francisco Hurtado Izquierdo (1669-1725). Il trouva sa meilleure expression dans l'étonnante sacristie de la Chartreuse.