manchot

Manchot
Manchot

Familier de la banquise antarctique, le manchot empereur passe la plus grande partie de sa journée dans l'eau glacée à la recherche de sa nourriture (poissons, mollusques céphalopodes et crustacés) : il plonge, fait des bonds, mais est incapable de voler. Et, pourtant, il a sans doute le même ancêtre que le pétrel, un des meilleurs voiliers du monde !

1. La vie du manchot

1.1. Plonger et se nourrir en eau profonde

L'univers minéral et glacé du continent antarctique est le plus hostile de toute la planète à la vie. Le manchot empereur en a pourtant colonisé les côtes. Il faut dire que la mer environnante recèle de prodigieuses ressources alimentaires ; froide et riche en sels minéraux, elle favorise une extraordinaire prolifération du plancton et, par extension, de ces petits crustacés ressemblant à des crevettes (Euphausia superba) qui constituent le krill ; une fabuleuse réserve de protéines. Le manchot empereur, qui se nourrit exclusivement en mer, peut ainsi consommer de grandes quantités de ces crustacés ainsi que des poissons, notamment Pleuragramma antarcticum, et des céphalopodes comme Psychrotenthis glacialis, capturés en pleine eau. Pour les atteindre, l'oiseau marin nage en surface puis effectue des plongées successives de quelques minutes. En d'autres occasions, les manchots se déplacent rapidement à la façon des marsouins, en alternant nage sous-marine et bonds hors de l'eau. Comme beaucoup d'oiseaux de mer, les manchots pêchent souvent en bande : en nageant de front, ils rabattent les proies devant eux et s'en saisissent dès qu'elles tentent de s'échapper sur les côtés. L'oiseau attrape alors le poisson avec son bec et l'avale entier. Les manchots ingèrent aussi du gravier, qui servirait au broyage des aliments et peut-être également, selon certains, de lest pour la plongée. Quand ils sont en mer, les manchots vivent en permanence dans l'eau et se nourrissent abondamment pour se constituer des réserves de graisse et de protéines, indispensables pour résister aux longues périodes de jeûne qu'ils passent sur la banquise, lors de la reproduction et de la mue.

Un plongeur remarquable

Toute la morphologie du manchot est adaptée à la nage : son corps est rigide et son cou court, ce qui lui permet de se profiler dans l'eau. Sa densité corporelle est élevée, d'où des possibilités d'immersion rapide. Ses ailes, réduites à des ailerons comparables à ceux des cétacés, jouent le rôle de propulseurs. Ses pattes restent jointes et ne servent que de gouvernail : on peut dire qu'il vole sous l'eau plus qu'il ne nage ! La méthode est efficace puisque, en battant des ailerons, le manchot nage à la vitesse de 5 à 10 km/h et peut atteindre de 20 à 30 km/h sur de courtes distances.

Ses plongées ne dépassent pas, en moyenne, quelques minutes. Une durée de vingt-deux minutes est le maximum enregistré. Fait exceptionnel pour un oiseau, le manchot empereur peut descendre à des profondeurs considérables. Si les plongées habituelles se situent entre 20 et 40 m, les plongées supérieures à 400 m sont relativement courantes, et la plus grande profondeur enregistrée est de 534 m. On ne sait pas comment l'oiseau supporte les très fortes pressions qui s'exercent à de telles profondeurs, ni comment il repère ses proies.

1.2. Le temps des parades sur la banquise

Quand vient l'hiver antarctique, l'époque de la reproduction, les manchots empereurs quittent la mer libre et se regroupent sur la banquise en colonies de plusieurs centaines à plusieurs milliers d'individus : en moyenne 2 000 à 3 000, parfois jusqu'à 100 000. Formant de longues processions, ils avancent les uns derrière les autres, se dandinant sur leurs pattes robustes ou glissant sur le ventre. Marcheurs infatigables, ils progressent lentement (de 1 à 2 km/h), mais couvrent des dizaines de kilomètres, parcourant parfois plus de 100 kilomètres pour gagner, chaque année, les mêmes sites de reproduction. Ils ne s'arrêtent que pour dormir et ne mangent plus rien.

Les couples au sein de la colonie

Dès leur arrivée sur les lieux de ponte, les manchots empereurs se mettent en quête d'un partenaire. Invariablement, tous les nouveaux arrivants à la colonie ont le même comportement : ils se dressent, tendent le cou, puis frottent les côtés de leur tête sur la partie supérieure de leurs ailerons, à droite et à gauche, une ou plusieurs fois. Puis les couples se forment, différents chaque année, mais fidèles tout au long du cycle. Un mois s'écoule encore avant l'accouplement. C'est le temps des parades, où cris et chants tiennent une grande place : chaque manchot doit impérativement mémoriser la voix de son partenaire pour être capable, en cas de séparation, de le retrouver parmi les milliers d'autres manchots présents dans la colonie. L'espèce ne construisant pas de nid et ne marquant pas de territoire, le manchot empereur ne peut, en effet, se guider qu'à la voix. Les couples se livrent donc à d'interminables duos de chants nuptiaux souvent accompagnés de mouvements très élaborés du corps. La figure la plus classique est le « face-à-face » : mâle et femelle se faisant face inclinent la tête vers le sol et la balancent de droite à gauche. Après quoi, ils chantent à tour de rôle. Puis ils se redressent sur leurs pattes, corps cambré, cou gonflé, et tendent la tête vers le ciel. Poitrine contre poitrine ou légèrement espacés, ils restent dans une immobilité quasi absolue. Seules leurs paupières à demi baissées clignent légèrement. Puis les deux oiseaux s'écartent, se détendent et déglutissent ou rejettent la tête de côté avec, ou non, un grognement.

Les quelques rares conflits entre mâles se règlent à coups de bec, d'ailerons et de chocs, poitrine contre poitrine.

Le manchot empereur chante son identité

Le manchot empereur chante son identité



Caractérisé par une succession rapide de sons et de silences, le chant de chaque manchot empereur ne ressemble à celui d'aucun autre. Il est toujours identique et constitue un code propre à chaque adulte pour renseigner ses congénères sur sa position, son espèce, son sexe et son identité. Les sons hachés et répétitifs sont facilement localisables et identifiables, par les manchots, qui entendent trois fois plus « vite » que l'homme. Le chant permet ainsi d'éviter l'hybridation avec d'autres espèces et aux couples, qui se trouveraient séparés, de se retrouver entre mille. L'importance de ces signaux sonores est telle que, pour ne pas les brouiller, un manchot empereur attend toujours que son voisin (dans un rayon de 7 m) se soit tu avant d'entamer son propre chant.

1.3. Un œuf couvé patiemment par le père

Dix à quinze jours après la copulation, en avril-mai, la femelle pond un œuf unique de 450 g, qu'elle laisse tomber sur ses pattes en ramenant sa queue vers l'avant pour amortir la chute. Là, bien caché sous un repli de peau abdominale, l'œuf est parfaitement isolé du froid. Après la ponte, les partenaires reprennent leurs duos vocaux et, au bout de quelques heures, la femelle passe l'œuf au mâle. Opération fort délicate qui s'effectue en plusieurs étapes. La femelle commence par montrer l'œuf à son partenaire, qui incline la tête et dirige le bec vers lui. Puis les deux oiseaux chantent avant que la femelle ne se mette à tourner autour du mâle à petits pas très courts. Au bout d'un moment, elle écarte progressivement les pattes et laisse doucement glisser l'œuf sur la glace. Agité de tremblements, le mâle le fait alors rouler, à l'aide de son bec, entre ses pattes puis sur ses pattes, avec force difficultés. Pendant cette phase, il arrive que des célibataires jouent les perturbateurs et, cherchant à s'approprier le bien du couple, déclenchent des combats préjudiciables aux œufs, qui gèlent très rapidement quand ils ne sont plus à l'abri d'un repli de peau parental.

Quatre mois de jeûne pour le père

Ayant ainsi passé l'œuf au père, la femelle tourne autour de lui en levant haut les pattes. Puis elle s'écarte, revient sur ses pas, chante et parade. Après une série de va-et-vient répétés qui l'éloignent de plus en plus, elle laisse au mâle la charge de s'occuper seul de la couvaison et s'en retourne vers la mer libre pour y reconstituer ses réserves énergétiques. Elle n'a, en effet, rien mangé depuis 40 à 50 jours et a perdu 25 % de son poids. Le mâle aussi. Pourtant, il va lui falloir rester encore sur la banquise et jeûner un peu plus de 2 mois en gardant l'œuf au chaud (à 34 °C environ) dans sa « niche incubatrice », située entre l'abdomen et les pattes (lorsque le manchot s'accroupit, la peau dénudée et richement vascularisée de son abdomen entoure l'œuf ; la place prise par l'œuf fait qu'un bourrelet de la peau du ventre, couvert de plumes, recouvre les pattes, ce qui empêche l'air froid de pénétrer).

Courant juillet, l'œuf éclot après quelque 65 jours d'incubation. C'est à ce moment-là que les femelles reviennent à la colonie et que le chant revêt toute son importance pour la reconnaissance des partenaires. Chaque femelle qui arrive entonne son chant jusqu'à ce que son mâle lui réponde. Les sons rythmés fusent de toutes parts, au milieu desquels chacun reconnaît sa chacune. Quand les couples se retrouvent, ils entament force duos vocaux. Le temps est alors venu pour le mâle de confier le poussin à la femelle et de regagner la mer pour se ravitailler. En quatre mois de jeûne, il a perdu 40 % de son poids, passant de 40 à 23 kg. Mais, avant d'atteindre la mer libre et d'avaler son premier repas, il lui faut encore parcourir de 100 à 200 kilomètres de banquise.

En dépit de la longueur extrême du jeûne auquel il a été soumis, le mâle est capable de nourrir le poussin nouveau-né pendant une dizaine de jours en cas de retard de la femelle : pour cela, il régurgite une sécrétion œsophagienne, constituée d'un mélange de protéines et de lipides (respectivement 60 % et 30 % en poids sec). Si la femelle n'est toujours pas de retour au bout de ce laps de temps, le père est obligé d'abandonner son poussin s'il ne veut pas s'exposer à une mort certaine : son autonomie énergétique se réduit à un ou deux kilos de graisse, juste assez pour effectuer 180 km à pied, soit à peu près la distance qui le sépare de la mer.

1.4. Émancipation thermique

Pendant que le mâle reconstitue ses réserves énergétiques en mer, la femelle nourrit le poussin en régurgitant la nourriture qu'elle a stockée dans son estomac lors de son dernier séjour dans l'océan Antarctique. Au début, elle alimente son petit toutes les heures, puis ensuite seulement deux à trois fois par jour. Lorsque le mâle revient, quatre semaines plus tard, il prend la relève pendant une à trois semaines, tandis que la femelle part à nouveau en mer.

Une crèche pour poussins

À partir de septembre, le jeune manchot commence à acquérir une certaine autonomie thermique. Son court duvet du début, qui ne lui permettait pas de résister aux températures extérieures, s'épaissit et il peut enfin quitter la niche incubatrice. Vers 40 jours, il est capable de maintenir sa température interne sans retourner s'abriter auprès de ses parents. C'est le stade de l'« émancipation thermique ». Les deux parents peuvent effectuer des navettes de nourrissage en laissant leur jeune sur la banquise. Ils ne lui feront plus que six visites alimentaires chacun, pendant les trois mois et demi que dure encore son élevage. Ils reconnaissent leur petit grâce à son chant, très caractéristique dès le premier jour.

Laissés seuls, les jeunes manchots vivent en crèche. Lors des périodes de mauvais temps, ils se protègent mutuellement. Au cœur de l'hiver antarctique, le blizzard chargé de glace souffle jusqu'à 300 km/h, le thermomètre peut descendre à - 50 °C et le jour ne dure que quelques heures. Pour résister à de telles conditions climatiques, les manchots empereurs se serrent les uns contre les autres en une formation que l'on a appelée « en tortue », par analogie avec celle des soldats romains. Pour que les mêmes individus ne soient pas toujours exposés au froid, un lent mouvement anime la « tortue », les animaux de la périphérie se retrouvant régulièrement au centre, et vice versa.

Plumes plus duvet contre vent et froid

Plumes plus duvet contre vent et froid



Le plumage du manchot empereur présente une double structure qui assure 87 % de l'isolation thermique de l'oiseau (contre 13 % seulement pour la couche de graisse sous-cutanée). Les plumes implantées uniformément sur toute la surface du corps sont très rigides et imbriquées comme les tuiles d'un toit. Elles constituent un isolement mécanique contre le vent qui, même violent, ne peut les soulever. À leur base, diverses sortes de duvet assurent l'isolement thermique.

Le départ des jeunes

Début décembre, plus de 8 mois après l'arrivée des adultes sur la banquise, les poussins sont prêts à quitter la colonie. Ils ont 5 mois, ont mué, mais ne pèsent encore que de 10 à 12 kg. Ils passent une année complète en mer avant de revenir. Mais ils ne se reproduisent pour la première fois qu'entre 3 et 8 ans, selon le sexe.

Quant aux adultes, après s'être abondamment nourris en mer, ils reviennent à terre pour muer, et jeûnent pendant six semaines. Puis ils retournent se nourrir à nouveau avant que leur cycle de reproduction recommence.

1.5. Milieu naturel et écologie

Les quatorze millions de kilomètres carrés du continent antarctique sont un désert de roches et de glace, l'inlandsis. Seule une infime partie, la bande côtière, permet une vie fragile, grâce à la productivité de la mer, dont les eaux froides et riches en sels minéraux offrent des conditions optimales au développement du plancton. La majeure partie des 32 000 km de côtes est bordée d'une banquise côtière pendant l'hiver austral, de mai à octobre.

Une trentaine de colonies de manchots empereurs sont installées sur la banquise côtière, la plupart en Antarctique oriental, essentiellement au nord-est et à l'est du continent ; quelques-unes sont établies plus au sud (terre Victoria). Deux colonies seulement ne fréquentent pas cette banquise côtière : celle du glacier Taylor (67° 28' S. et 60° 53' E.), établie sur l'inlandsis, et celle de l'île Dion (67° 72' S. et 68° 43' O.), sur la péninsule antarctique. Mais toutes se trouvent entre 66° et 77° de latitude sud.

La taille des colonies est très variable. Celle de l'île Coulman, en mer de Ross, par exemple, rassemble quelque 100 000 individus, mais celle de l'île Dion n'en compte que 400.

On estime les effectifs totaux de manchots empereurs à environ 200 000 couples nicheurs. Sur la bande côtière, colonisée par de rares oiseaux, pétrels et manchots, la température varie entre 0 °C l'été, et - 50 °C l'hiver. Seule la péninsule antarctique connaît un climat un peu plus clément. Le vent extrêmement violent souffle avec des pointes à 300 km/h : c'est le blizzard, chargé de particules de glace. On estime qu'une surface d'un mètre carré, perpendiculaire à la direction d'un blizzard de 125 km/h, est traversée par 10 tonnes de glace en une heure !

Le continent n'offre aucune ressource alimentaire. Tout l'écosystème antarctique est tourné vers la mer, où le plancton, base de la chaîne alimentaire, atteint un maximum de production pendant l'été, de novembre à avril. La périodicité annuelle de ces cycles d'abondance permet à la plupart des espèces de faire coïncider leur cycle de reproduction avec l'époque la plus favorable sur le plan thermique et alimentaire. Paradoxalement, le manchot empereur, qui vit déjà dans des conditions extrêmes, est le seul animal à ne pas se reproduire au moment de l'été antarctique, de décembre à mars, mais à débuter son cycle de reproduction au moment où l'hiver s'installe ! Cela paraît absurde. Toutefois, en y regardant de plus près, cette stratégie reproductrice a ses raisons. Le manchot empereur est une espèce de grande taille. Son très long cycle de reproduction s'étale sur plus de huit mois (250 jours, en moyenne), une durée sans rapport avec la brièveté de l'été antarctique. Or il importe avant tout pour la perpétuation de l'espèce que, lorsqu'ils s'émancipent de la tutelle de leurs parents, les jeunes trouvent des conditions optimales de survie. Pour qu'ils atteignent au plus vite la mer et y parviennent quand sa productivité est maximale, leur départ doit impérativement correspondre avec la débâcle de la banquise. Les adultes n'ont alors pas d'autre possibilité que d'effectuer leur reproduction en hiver : à eux d'endurer les conditions proprement infernales de cette saison en Antarctique. Comme le soulignent les Français P. Jouventin et Y. Le Maho : « Pour paradoxal qu'il soit à première vue, le cycle reproducteur hivernal était la seule solution viable pour les manchots empereurs ; dans la mesure toutefois où ils ont acquis une remarquable résistance au froid et d'impressionnantes capacités de jeûne. »

L'émancipation du poussin en été

Ce sacrifice des parents serait vain si les jeunes n'étaient pas, en outre, émancipés de façon précoce. Chez les espèces animales dont la progéniture reste sous la garde des parents pendant toute la durée de l'élevage, l'émancipation n'a généralement lieu que lorsque les jeunes ont atteint une taille équivalente à celle des adultes. Chez le manchot empereur, ce n'est pas le cas : le temps qui sépare la naissance du poussin de la débâcle de la banquise n'est pas suffisamment long (5 mois) pour lui permettre d'achever sa croissance. Comme il ne peut absolument pas se permettre de rejoindre la mer à un autre moment qu'en été, le petit manchot quitte ses parents bien avant d'avoir acquis sa taille définitive. Lorsqu'il rejoint la mer, en décembre, il pèse à peine 50 % du poids de ses parents en mars : ce n'est encore qu'un manchot miniature et il lui faudra de nombreux repas en mer avant d'atteindre la superbe stature des adultes ! Ce phénomène est une adaptation biologique essentielle pour que le manchot puisse réduire la durée de son cycle de reproduction.

Colonies et courants froids

L'emplacement des colonies de reproduction du manchot empereur est fixe d'une année sur l'autre, pour deux raisons. La première est que ces colonies doivent se trouver sur des zones stables et protégées, où la banquise ne risque pas de se disloquer prématurément ni de subir les tempêtes marines. La deuxième est liée aux disponibilités alimentaires. La production de plancton n'est pas partout la même. Dans certains secteurs privilégiés, on trouve jusqu'à 33 kg de plancton par mètre cube d'eau de mer. Ce sont des zones où, sous l'action de courants, de vents et de la rotation de la Terre, ont lieu des remontées en surface de courants froids (ce que les Anglo-Saxons appellent « upwellings »), riches en sels minéraux. Les manchots installent leurs colonies à proximité, de ces zones propices à la prolifération du plancton et où abondent poissons, crustacés et céphalopodes.

2. Zoom sur... le manchot empereur

2.1. Manchot empereur (Aptenodytes forsteri)

Le manchot empereur est le plus grand des manchots. C'est aussi celui qui vit le plus au sud, dans les conditions les plus difficiles. Ses colonies de reproduction sont situées sur les glaces qui bordent le continent antarctique.

L'adaptation très poussée de ce palmipède à la vie aquatique lui vaut une morphologie qui rejoint celle des mammifères marins. Soumis aux contraintes de l'hydrodynamique, le cou s'estompe, le corps devient fusiforme, avec le plus gros diamètre au niveau du tiers antérieur, les ailerons sont rigides pour mieux servir de rames, les plumes sont courtes, la densité corporelle est élevée du fait de l'alourdissement du squelette, la queue est petite et raide pour faire fonction de gouvernail.

Le bec effilé, légèrement recourbé à son extrémité, est relativement court par rapport à la taille de l'oiseau. La langue et le palais sont garnis de crochets qui facilitent la préhension des proies. La trachée est renforcée par des cartilages pour éviter son écrasement lors des plongées à grande profondeur.

Pour réduire les turbulences de l'eau, qui apparaissent le long du corps de tous les animaux marins quand ils atteignent une certaine vitesse et qui occasionnent d'importantes pertes d'énergie, on dit que le manchot « marsouine », c'est-à-dire qu'il plonge et se cabre alternativement dans l'eau, à la façon des marsouins. On suppose aussi que ses plumes hydrofuges et l'importante couche d'air qu'elles emprisonnent sont animées d'oscillations qui atténueraient les turbulences.

Pour évacuer l'excès de sel qu'entraîne la vie en mer, le manchot est doté de « glandes à sel », situées au-dessus des yeux. Le sel sécrété s'écoule le long du bec et forme, à son extrémité, une goutte que l'oiseau fait tomber en secouant régulièrement la tête.

Le manchot empereur, pour survivre dans les latitudes glacées où il habite, dispose, outre son plumage, d'un système de vascularisation des ailerons très particulier : système veineux et système artériel sont étroitement accolés afin que la chaleur du sang artériel se communique au sang veineux froid au lieu d'être « gaspillée », comme cela se passe habituellement à l'extrémité des membres.

Des adaptations physiologiques très complexes, liées à la thermogenèse, contribuent à rendre le manchot empereur extrêmement résistant au froid ; de façon très simplifiée, on peut dire qu'une température ambiante de - 10 °C correspond pour lui à une température de 27 °C pour un homme nu. La formation « en tortue », déjà décrite, permet également de substantielles économies d'énergie. On a calculé que des manchots groupés « en tortue » à - 30 °C ne dépensent pas plus d'énergie pour maintenir leur température que s'ils se trouvaient seuls à - 5 °C. Lorsqu'ils adoptent cette formation, leur vitesse d'amaigrissement est réduite de 27 à 50 %.

Les facultés de jeûne du manchot empereur sont également exceptionnelles. Au total, il passe près de la moitié de l'année sans rien manger. Pour ce faire, il est capable de se constituer d'importantes réserves de graisse. En mars, juste avant son jeûne de quatre mois, un manchot empereur mâle de 38 kg possède 17 kg de muscles et 11 kg de tissus adipeux, le reste étant constitué par des os et des viscères. Ses moyens de récupération sont aussi étonnants : il reprend ses kilos deux fois plus vite qu'il ne les perd.

Enfin, le processus de la mue du plumage est différent de celui de la plupart des oiseaux, chez qui les plumes anciennes tombent les unes après les autres avant d'être remplacées au fur et à mesure par des plumes nouvelles. Chez le manchot empereur, les anciennes plumes sont poussées par les nouvelles dans lesquelles elles s'emboîtent. Elles tombent seulement lorsque les nouvelles plumes saillent de un centimètre, si bien qu'aucune partie du corps ne se trouve jamais démunie de leur protection et que les déperditions de chaleur sont réduites au minimum.

          

MANCHOT EMPEREUR

Nom (genre, espèce) :

Aptenodytes forsteri

Famille :

Sphéniscidés

Ordre :

Sphénisciformes

Classe :

Oiseaux

Identification :

Longue silhouette dressée ; deux ailerons qui pendent comme des bras ; dos noir ; ventre blanc ; taches jaune-orangé sur les côtés du cou

Taille :

De 1 m à 1,30 m (femelle un peu plus petite que le mâle)

Poids :

Avant le jeûne hivernal (vers mars) : de 35 à 40 kg pour les mâles ; de 28 à 32 kg pour les femelles

Répartition :

Antarctique

Habitat :

Banquise côtière (reproduction) ; océan Antarctique (alimentation)

Régime alimentaire :

Poissons, céphalopodes, crustacés

Structure sociale :

Couples regroupés en colonies de plusieurs centaines à plusieurs milliers d'individus

Maturité sexuelle :

Entre 4 et 8 ans pour le mâle ; 3 et 6 ans pour la femelle

Saison de reproduction :

Les 8 mois de l'hiver antarctique, d'avril à novembre

Durée d'incubation et d'élevage :

De 62 à 65 jours d'incubation de l'œuf ; 150 jours d'élevage du jeune

Nombre d'œufs et de jeunes :

1

Poids de l'éclosion :

300 g

Longévité :

Supérieure à 30 ans

Effectifs, tendances :

Environ 200 000 couples nicheurs ; effectifs stables

 

2.2. Signes particuliers

Couleurs

Par leur silhouette et leur coloration générale, tous les manchots se ressemblent. Ils ont tous ce même « habit » contrasté, sombre dessus, clair dessous, qui leur permet sans doute de mieux échapper aux prédateurs ; en plongée, vus de dessus, ils se confondent avec le fond de la mer sombre, vus de dessous, avec la surface de l'eau claire. Les marques distinctives de chaque espèce se trouvent à la tête et au cou. Seules parties du corps qui émergent lorsque les manchots nagent, elles leur permettent de se reconnaître entre eux. Le manchot empereur a la tête sombre avec des taches jaune orangé sur les côtés du cou. Ces motifs sont importants lors de la parade nuptiale pour trouver un partenaire de la même espèce.

Ailerons

Avec l'évolution, les ailes des manchots se sont réduites et ont acquis une rigidité analogue à celle des ailerons des cétacés, par disparition de la plupart des articulations et par aplatissement des os. Les ailerons comportent chacun un humérus, un radius et un cubitus et une « main » comprenant carpe, métacarpe et doigt. Ils ne représentent que 3,5 % de la surface d'aile nécessaire pour voler.

Pattes

Les pattes sont palmées, mais servent peu à la nage. Cependant, elles sont puissantes et munies de fortes griffes pour assurer une bonne prise sur la glace. La capacité des manchots à se tenir en position verticale, bien campés sur leurs fortes pattes, ainsi que leur démarche balancée, ailerons écartés, ont contribué à leur succès populaire.

3. Les autres espèces de manchots

La famille des sphéniscidés, qui rassemblent tous les manchots, regroupe 17 espèces réparties en 6 genres. Tous ont en commun d'être incapables de voler, mais de nager parfaitement, car ils ne se nourrissent qu'en mer (poissons, céphalopodes, crustacés et quelques mollusques). De petite taille pour la plupart, on les différencie surtout à l'aspect et à la couleur du plumage de la tête, du cou et de la poitrine.

Habitants de l'hémisphère Sud, tous les manchots nichent à terre, à l'exception du manchot empereur qui se cantonne à la banquise, qu'il ne quitte pratiquement pas. La grande majorité des espèces se concentre sur les chapelets d'îles depuis la Terre de Feu (Amérique du Sud) jusqu'à la Nouvelle-Zélande, où la température moyenne de l'eau est inférieure à - 10 °C. Quelques espèces (manchot empereur et manchot Adélie) sont descendues vers le pôle Sud, jusqu'aux côtes de l'Antarctique. D'autres, au contraire, sont remontées vers le nord en profitant des courants marins froids : le long des côtes d'Amérique du Sud (courants de Humboldt et de Falkland) pour le manchot de Magellan, le manchot de Humboldt et celui des Galápagos ; le long de la côte occidentale de l'Afrique du Sud (courant de Benguela) pour le manchot du Cap et le long de la côte sud de l'Australie (courant de Tasmanie) pour le manchot pygmée.

3.1. Manchot royal (Aptenodytes patagonicus)

90 cm pour 15 kg ; plus petit que le manchot empereur, il lui ressemble beaucoup. Tête plus brune ; taches des côtés du cou plus étroites et remontant vers les yeux.

Répartition : îles subantarctiques (îles Falkland, Géorgie du Sud) et depuis l'île Marion (sud de Madagascar) jusqu'aux îles Macquarie.

Reproduction : les couples défendent un territoire propre. Populations de classes d'âge étagées à cause de l'étalement des pontes et des naissances. Deux saisons de reproduction en trois ans : formation des couples entre novembre et avril, ponte entre décembre et avril de l'année suivante, et naissances à partir de fin janvier. L'élevage dure de 10 à 13 mois ; les jeunes, en crèches à partir d'un mois, sont peu nourris entre avril-mai et octobre, et stoppent alors leur croissance. Ils quittent donc la colonie entre novembre et mars suivant, après la mue. La saison de reproduction suivante a lieu au cours de la troisième année : ponte en février, naissance en avril et émancipation des jeunes en février de la quatrième année.

3.2. Manchot Adélie (Pygoscelis adeliae)

70 cm pour 5 kg ; tête noire sans crête ; cercle oculaire blanc ; bec court.

Répartition : pourtour du continent antarctique et îles Shetland du Sud, Orcades du Sud, Sandwich du Sud et île Bouvet.

Reproduction : couples territoriaux construisant un nid. Cycle de reproduction court (110 jours) pendant l'été antarctique. Ponte de 2 œufs au début novembre ; naissance à la mi-décembre ; les adultes alimentent régulièrement leurs petits, regroupés en crèches dès l'âge de 20 à 25 jours. Fin janvier-début février, les jeunes ont terminé leur croissance, mué et ils quittent la colonie.

3.3. Manchot papou (Pygoscelis papua)

70 cm, 6 kg ; tête noire ; bande blanche joignant les yeux par le sommet du crâne. Il a un comportement calme et discret comparativement aux autres espèces.

Répartition : la plupart des îles antarctiques depuis les îles Falkland jusqu'aux îles Macquarie (sud de la Nouvelle-Zélande).

Reproduction : péninsule antarctique, îles subarctiques ; les colonies changent généralement chaque année de site de reproduction.

3.4. Manchot à jugulaire (Pygoscelis antarctica)

70 cm, 4,5 kg ; calotte crânienne noire, joues et gorge blanches, traversées d'un fin trait noir. Animal fin et esthétique, qui se montre parfois volontiers querelleur et agressif.

Répartition : côtes rocheuses près de la mer, principalement sur la péninsule antarctique et sur les îles alentour, de l'île Shetland du Sud à l'île Sandwich du Sud.

Reproduction : immenses colonies de plusieurs milliers d'oiseaux ; en plus des régions précédemment citées, quelques petites colonies de reproduction sur les îles Bouvet, Heard, Balleny et Pierre-Ier.

3.5. Manchot à œil jaune (Megadyptes antipodes)

Appelé aussi manchot antipode.

70 cm pour 5 kg ; œil jaune ; bande crème sur les yeux.

  Répartition : Nouvelle-Zélande, sur l'île du Sud, ainsi que sur les îles Stewart, Campbell et Auckland.

Reproduction : isolément ou en colonies, dans les forêts côtières.

3.6. Manchot pygmée (Eudyptula minor)

Appelé aussi petit manchot bleu.

38 cm pour 1,2 kg ; couleur gris-bleu. Animal grégaire qui vit principalement la nuit.

Répartition : côtes sud de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande et îles proches, sur les plages rocheuses ou sablonneuses.

Reproduction : essentiellement sur les petites îles et en quelques points du sud de l'Australie.

3.7. Manchot du Cap (Spheniscus demersus)

70 cm pour 2,8 kg ; bandes pectorales noires ; croissants blancs remarqués sur les joues.

Répartition : plages et îles rocheuses de l'Afrique du Sud et de la Namibie.

Reproduction : niche en colonies sur les îles rocheuses.

3.8. Manchot de Humboldt (Spheniscus humboldti)

65 cm pour 3,5 kg ; marques blanches étroites sur la tête ; une bande pectorale sombre sur le corps ; croissants blancs sur les joues.

Répartition : principalement sur les côtes du Chili et du Pérou.

Reproduction : pas de saison déterminée, a lieu quand les ressources alimentaires sont suffisantes.

3.9. Manchot de Magellan (Spheniscus magellanicus)

70 cm pour 3,5 kg ; très semblable au manchot de Humboldt ; marques noires et blanches plus contrastées ; deux bandes pectorales sombres ; croissants blancs sur les joues.

Répartition : Amérique du Sud, depuis l'Argentine (Patagonie) jusqu'au Chili, aux îles Falkland et aux alentours du cap Horn. Migrateur.

Reproduction : sites principaux : Cap Horn, Terre de Feu, îles Malouines.

3.10. Manchot des Galapagos (Spheniscus mendiculus)

Le plus septentrional de tous les manchots. 55 cm pour 2,5 kg : bandes claires et sombres de la tête, moins larges et moins contrastées que chez les autres Spheniscus ; bandes pectorales ; croissants blancs sur les joues.

Répartition : archipel des Galápagos, principalement îles Fernandica et Isabela ; petites colonies sur les îles Floreana, Bartolomé et Santiago.   Reproduction : pas de saison déterminée de reproduction ; parfois jusqu'à 3 couvées dans l'année.

3.11. Gorfou de Sclater (Eudyptes sclateri)

65 cm pour 4 kg ; quelques plumes jaunes disposées en aigrette sur les côtés de la tête.

Répartition : migrateur ; hors de la période de reproduction, fréquente les mers subarctiques.

Reproduction : îles de Nouvelle-Zélande ; grandes colonies sur les côtes rocheuses des îles Bounty et Antipodes, colonies plus lâches sur les îles Auckland et Campbell.

3.12. Gorfou du Fiordland (Eudyptes pachyrhynchus)

60 cm pour 3,5 kg ; ressemble aux autres gorfous ; on peut remarquer une absence de zone de peau nue et rosée à la base du bec.

Répartition : migrateur ; hors de la saison de reproduction, mers comprises entre la Nouvelle-Zélande et l'Antarctique

Reproduction : colonies peu denses, à proximité de la mer dans des zones forestières ; Nouvelle-Zélande et îlots proches.

3.13. Gorfou de l'île Snare (Eudyptes robustus)

60 cm pour 3 kg ; très semblable aux autres gorfous.

Répartition : hors de la période de reproduction, localisation mal connue.

Reproduction : îles Snares (Nouvelle-Zélande).

3.14. Gorfou doré (Eudyptes chrysolophus)

Appelé aussi gorfou macaroni.

70 cm pour 4,5 kg ; semblable aux autres gorfous.

Répartition : la plupart des îles subantarctiques, depuis la péninsule antarctique et les îles Falkland jusqu'à l'île Heard.

Reproduction : en colonies denses sur les îles rocheuses ou sur de simples rochers dans l'océan.

3.15. Gorfou de Schlegel (Eudyptes schlegeli)

70 cm ; semblable aux autres gorfous, mais face et menton blancs et gris clair. Parfois considéré comme une sous-espèce du gorfou doré.

Répartition : migrateur ; hors de la période de reproduction, fréquente probablement les mers situées entre l'Australie et l'Antarctique.

Reproduction : colonies denses sur l'île Macquarie (Australie, entre la Tasmanie et l'Antarctique) ; quelques sites de reproduction moins fréquentés en Nouvelle-Zélande, sur l'île du Sud et l'île Campbell.

3.16. Gorfou sauteur (Eudyptes chrysocome)

Bruyant et très sociable, c'est le plus connu des gorfous.

55 cm pour 2 kg ; animal noir et blanc qui possède une double huppe jaune caractéristique sur la tête. Il se déplace en sautant à pieds joints, par bonds successifs.

Répartition : terrains rocheux escarpés ; nombreuses îles subantarctiques, depuis les îles Falkland jusqu'à l'île Bounty (Nouvelle-Zélande) et les îles plus au nord : îles Gough, Tristan da Cunha, Amsterdam et St-Paul.

Reproduction : colonies denses (jusqu'à plusieurs centaines de milliers d'oiseaux).

4. Origine et évolution du manchot

Les oiseaux font partie d'un rameau détaché des reptiles, plus précisément des dinosaures. De nombreux fossiles de dinosaures présentaient des traces de protoplumes, mais ces animaux ne volaient pas. Il y a environ 150 millions d'années, l'archéoptéryx est un animal mi-dinosaure mi-oiseau, à peu près de la taille d'une poule, pourvu de dents, aux doigts griffus, couvert de plumes et qui vole, quoi que mal. Il y a environ 65 millions d'années disparaissent les reptiles volants (qui sont, eux, dépourvus de plumes) en même temps que les dinosaures, et les oiseaux conquièrent l'espace aérien et se diversifient. Il y a 40 millions d'années, les grands groupes actuels sont déjà bien diversifiés.

Les manchots sont des oiseaux dont les ailes se sont transformées en nageoires. Leur origine a longtemps été sujette à controverses. Sont-ils issus d'ancêtres qui ne volaient pas ou d'espèces normalement ailées ? Différentes hypothèses ont été avancées. La plus vraisemblable suggère que les manchots descendent du même ancêtre que les pétrels, qui comptent de nos jours parmi les meilleurs voiliers du monde. La présence d'un bréchet chez les manchots actuels les place, en effet, parmi les oiseaux fondamentalement voiliers, à la différence des oiseaux coureurs, comme l'autruche, qui en sont dépourvus. De plus, la découverte d'os fossilisés de manchots vivant à l'ère tertiaire a montré qu'ils ressemblaient beaucoup à ceux des procellariiformes actuels (groupe des pétrels), notamment au niveau du crâne et des os longs.

La transition entre oiseaux voiliers et manchots (protomanchots) a dû avoir lieu à l'éocène, il y a quelque 30 à 50 millions d'années. Les seconds auraient peu à peu perdu leur capacité de vol pour devenir terrestres et nageurs. On connaît 17 genres et 32 espèces fossiles de manchots, tous disparus, et dont les plus grands individus atteignaient 1,90 m. Ces animaux vivaient dans des régions tempérées subtropicales.

Quant aux 17 espèces de manchots actuelles, elles ne sont apparues que récemment, il y a deux millions d'années environ. Tous les manchots sont des oiseaux de mer, qui ont colonisé une grande partie de l'hémisphère Sud, entre le pôle et l'équateur. Le manchot empereur a poussé le plus loin l'adaptation aux conditions géographiques et climatiques les plus défavorables.

5. Le manchot et l'homme

L'inhospitalité de son habitat a longtemps maintenu le manchot empereur à l'écart de toute intervention humaine. Mais le développement d'activités économiques ou touristiques dans l'Antarctique pourrait, demain, le menacer, de même que pourrait le faire le réchauffement climatique. D'autant que ses effectifs ne dépasseraient pas 200 000 couples nicheurs.

5.1. Une très récente relation avec l'homme

À la différence des régions polaires de l'hémisphère Nord, habitées par les Inuits, le continent antarctique n'a jamais abrité aucune vie humaine indigène. Cette immense île isolée du reste du monde était impropre à la colonisation.

Il faut attendre les xviiie et xixe siècles pour que débute l'exploration de l'Antarctique. À l'époque du second voyage de James Cook dans ces régions, entre 1772 et 1775, les scientifiques connaissent déjà le manchot royal qui niche sur les îles subantarctiques, mais personne n'a encore jamais entendu parler du manchot empereur. Les deux naturalistes embarqués par Cook à bord de la Resolution, Johann Reinhold Forster et son fils Johann Georg, rapportent de ce voyage le dessin d'un manchot qu'ils estiment être un manchot royal. Mais, en étudiant le dessin attentivement, on remarque certains caractères de la deuxième espèce. Sans le savoir, les Forster ont peut-être été les premiers à observer un manchot empereur. C'est en leur honneur que l'espèce a été baptisée forsteri par les systématiciens.

La première observation irréfutable d'un manchot empereur ne date que de 1820, année au cours de laquelle l'explorateur russe Fabian Gottlieb von Bellingshausen capture un oiseau de cette espèce par 65° de latitude sud et 165° de longitude ouest. Par la suite, de nombreuses expéditions rapportent des observations relatives à ces oiseaux. Mais il faut encore attendre le début du xxe siècle pour que la première colonie de reproduction, celle du cap Crozier, soit découverte. Quelques années plus tard, en 1907, l'Anglais Edward Wilson publie une étude détaillée de cette colonie. Elle resta longtemps la seule référence sur cette espèce.

5.2. Pertubations humaines et réchauffement climatique

De nos jours, de nombreux scientifiques s'intéressent à l'étude du manchot empereur : d'un point de vue naturaliste et écologique bien sûr, mais aussi d'un point de vue physiologique. Comprendre comment le manchot empereur peut survivre malgré le jeûne et le froid, connaître les mécanismes qui assurent la réduction de son métabolisme de base (l'énergie minimale qui lui est nécessaire pour survivre) et lui permettent d'épargner ses réserves protéiques, pourraient avoir des applications médicales directes pour l'homme.

D'autres intérêts sont également en jeu, qui menacent davantage la tranquillité des manchots, comme le développement des croisières touristiques et celui des expéditions scientifiques.

Ainsi la base Dumont-d'Urville, implantée au milieu du siècle par les Français en terre Adélie, notamment pour étudier des manchots, a connu un tel développement (en matière de météorologie, glaciologie, ornithologie, médecine polaire, etc.) qu'on a construit une piste d'aéroport reliant cinq îlots rocheux pour l'atterrissage des porteurs lourds. Juste dans l'axe d'accès des manchots empereurs à leur colonie de Pointe Géologie et sur d'importantes zones de reproduction d'oiseaux de mer, ce qui représente une nuisance pour la faune.

Mais, outre les perturbations directes par l'homme, le manchot empereur, comme les autres espèces habitant l'Antarctique, est aussi menacé par la surpêche, qui diminue le nombre de proies disponibles, et par le réchauffement climatique. Celui-ci, provoquant une diminution de la surface de la banquise hivernale, pourrait en effet affecter les lieux de reproduction du manchot empereur, voire en faire disparaître certains.