lynx

Lynx
Lynx

Le lynx était déjà présent en Europe à l'époque des grandes glaciations. Il a inspiré aux hommes de l'âge de pierre des peintures et des gravures, comme en témoignent les représentations de son ancêtre dans la grotte de Lascaux. Aujourd'hui, des programmes de réintroduction tentent de lui redonner une place dans le paysage européen.

1. La vie du lynx

1.1. Un chasseur solitaire qui mange proprement

Le lynx part en chasse à la faveur du crépuscule et de la nuit, invisible dans la forêt grâce à son pelage tacheté. Son ouïe très fine et son extrême sensibilité à l'intensité lumineuse en font un excellent chasseur nocturne.

Sauf exception, le lynx chasse seul. Comme beaucoup de félins de ce type, il pratique l'affût. Il ne course pas ses proies, mais les attend sur leur passage habituel, parfois durant plusieurs jours, ou les approche en rampant lorsqu'il les a repérées.

Les études menées en Suisse ou en France montrent que, contrairement aux descriptions romancées, le lynx attaque rarement ses proies depuis un perchoir, un surplomb de rocher ou un arbre. Le mammalogiste Victor Cahalanne décrivait ainsi l'attaque du lynx canadien, morphologiquement très proche du lynx d'Europe : « Son museau remue convulsivement, ses muscles se tendent, il rabat les oreilles en arrière ; de ses yeux jaunes, il examine la distance à franchir et suit les mouvements de sa proie. Puis, comme un ressort d'acier, il se détend et sa musculature le projette dans l'espace. »

Le lynx est un sprinter. Son cœur, relativement petit, l'empêcherait de fournir un effort durable et donc de soutenir une poursuite. Plus la distance entre le prédateur et sa proie augmente, plus le taux de réussite des attaques diminue. C'est ainsi que, d'après une étude suédoise, un lynx d'Europe réussit l'attaque d'un chevreuil dans 75 % des cas quand la proie est à 20 m, dans 50 % des cas quand elle est à 50 m, et dans 30 % des cas quand elle est à 200 m.

En Europe, le lynx chasse principalement les ongulés de taille moyenne comme les chevreuils, les chamois et, accessoirement, les mouflons. Sa ration journalière est de 1 à 2 kg de viande. Un chevreuil suffit à le nourrir pendant 8 jours, un chamois pendant 15 jours. Comme la plupart des grands carnivores, le lynx peut réduire son bol alimentaire, et même jeûner s'il ne trouve pas de proies.

Ni carnage ni gaspillage

Sauf exception, le lynx attaque les petites proies à la nuque. Les grosses proies qui sont de sa taille, les ongulés par exemple, sont saisies à la gorge. Le sectionnement de la trachée artère occasionne une hémorragie interne et entraîne la mort rapide de la victime.

Le lynx dévore en premier lieu les parties charnues, comme les gigues ou les épaules. Il ne casse que très rarement les os des membres. Lorsque sa proie est déjà bien entamée, il peut en ronger les côtes. Il abandonne toujours les intestins et la panse à d'autres prédateurs. Il dépèce proprement la peau, sans la lacérer. Même lorsque l'animal est pratiquement consommé, tous les restes sont attachés en un seul morceau : tête, pattes et peau ne sont pas séparés du corps. Des morceaux dispersés indiquent que d'autres prédateurs sont venus se nourrir après lui ; sinon, la carcasse et les viscères sont intacts.

Afin d'être sûr de soustraire sa proie aux charognards et de pouvoir la manger en plusieurs fois, le lynx en dissimule soigneusement les restes. Il les recouvre d'herbes, de terre ou de neige. Il lui arrive de les déplacer chaque jour.

Contrairement à ces observations, les proies trouvées lors d'une étude menée en Suisse n'ont pas été toutes totalement consommées par le félin. Ce phénomène difficilement explicable pourrait être lié, selon les chercheurs suisses, à un sentiment d'insécurité. Le lynx prélèverait une autre proie plutôt que de risquer d'être dérangé en revenant à la charogne. Un tel comportement n'a été que rarement observé en France.

Les proies du lynx

Les proies du lynx



Chevreuils et chamois sont les proies préférées du lynx en Europe, comme le montre l'analyse du contenu stomacal d'animaux tués ou celle d'excréments de lynx retrouvés sur le terrain. Ces cervidés constituaient 64 % des proies du lynx, selon une étude tchécoslovaque faite sur 88 estomacs. Les rongeurs (campagnols...) représentaient 20 %, les faisans 4 %, les autres oiseaux 5 %, les insectes 4,6 % et d'autres carnivores 2,4 %. Une autre étude, faite en Suisse sur 195 éléments (excréments de lynx et restes de proies) retrouvés sur le terrain, montre que 77 % des proies étaient des chevreuils, 18 % des chamois, 3,5 % des lièvres, 1 % des petits rongeurs et 0,5 % des oiseaux.

1.2. Sans domiciles fixes, le lynx s'autorise de brèves rencontres

Plusieurs kilomètres séparent parfois les lynx, qui vivent éloignés les uns des autres durant toute l'année, à l'exception de brèves périodes d'accouplement.

Le domaine vital d'un individu, c'est-à-dire la surface qui lui est nécessaire pour assurer les fonctions de son existence, est généralement très étendu. Un vieux mâle, observé en 1960 par une équipe suédoise qui suivit les voies du lynx dans la neige, occupait 30 000 hectares. Dans certaines régions, les lynx fréquentent des surfaces encore plus importantes, pouvant atteindre 60 000 hectares pour les mâles. Mais la surface moyenne d'un territoire de lynx en Europe varie de 15 000 à 25 000 hectares.

À titre d'exemple, des biologistes suisses suivirent une femelle durant 307 jours et un mâle durant 217 jours, dans le même milieu. Ils ont calculé que le territoire de la femelle couvrait 28 500 hectares, celui du mâle 46 200 hectares.

Les surfaces très faibles (inférieures à 5 000 hectares) attribuées autrefois au lynx s'expliquent par le mode d'utilisation de son espace. Le félin se déplace de façon irrégulière. Très peu mobile pendant plusieurs jours, il peut aussi parcourir en un jour jusqu'à 15 km à vol d'oiseau. Il exploite ainsi son domaine vital par zones successives, dont les surfaces varient de 2 000 à 7 000 hectares. La durée de fréquentation de chacune des zones n'excède pas quelques mois. Ce sont sans doute ces espaces restreints que les observateurs d'autrefois prenaient en considération.

Cette exploitation par zones du domaine vital serait à attribuer à une stratégie alimentaire particulière. La vigilance des proies s'accentue lorsque le prédateur stationne trop longtemps dans une zone précise et l'oblige à se déplacer régulièrement à plusieurs kilomètres. En l'absence du félin, les chevreuils perdraient de leur vigilance. Lors de son retour, le prédateur se trouve en présence de proies plus faciles à capturer. Dans le cas du lynx, cette explication n'est encore qu'une hypothèse.

Même s'il exploite son domaine par zones, ne repassant que tous les cinq ou six mois au même endroit, le lynx défend tout particulièrement une partie de territoire d'environ 100 km2, interdit de chasse à ses congénères. Cette défense est surtout le fait des femelles, qui s'assurent ainsi une zone d'alimentation exclusive durant la période de reproduction. Selon des estimations suisses, la densité des populations de lynx ne peut donc excéder un individu par 100 km2. Le félin a impérativement besoin de cette surface minimale pour chasser.

L'époque des rencontres

Malgré la vaste étendue de leur territoire et leur mode de vie solitaire, les lynx se rencontrent chaque année lorsque la période de reproduction approche. Dès le mois de décembre, il semble que mâle et femelle se retrouvent à des endroits précis du territoire, appelés aussi places de rut. C'est l'époque où ils s'appellent mutuellement. Leurs cris stridents ressemblent à des rugissements étouffés et sont audibles à plusieurs centaines de mètres.

Dès qu'ils s'aperçoivent, ils se manifestent un intérêt mutuel, se flairent et se saluent. Le cérémonial de salutations est identique, même si les animaux se découvrent pour la première fois.

Durant cette période, les marquages urinaires et les marquages odorants, effectués grâce aux sécrétions des glandes anales, sont plus nombreux. La femelle se frotte aux hanches, au cou et à la tête du mâle. Les animaux se nettoient mutuellement.

La femelle n'est réceptive que pendant deux jours. Lorsque cette période approche, les mâles deviennent nerveux et changent de comportement. Ils ne se nourrissent plus et suivent en permanence la femelle qui se réfugie dans des endroits surélevés. Tout mouvement donne alors lieu à des essais de copulation. Lorsque celle-ci se déclenche, le mâle oblige la femelle à se coucher et la maintient en la mordant à la nuque, arrachant parfois les poils qui ne repoussent plus. L'accouplement dure longtemps. Puis les animaux se séparent jusqu'à la période de rut suivante.

La première rencontre

La première rencontre



Chez le lynx, le comportement sexuel n'est pas uniquement limité à l'accouplement, et il existe une période préliminaire pendant laquelle mâle et femelle s'accoutument l'un à l'autre. L'ensemble des gestes et attitudes des deux animaux pendant cette période leur permet de se reconnaître et de refouler l'agressivité qu'ils manifestent en général vis-à-vis des individus de leur espèce. À la première rencontre, mâle et femelle se font face et se saluent par des frottements de tête et des flairements de nez mutuels. Puis l'un et l'autre flairent la région anale de leur partenaire. Ce contrôle olfactif est accompagné de reniflements très expressifs. Durant cette période, les deux animaux recherchent en permanence le contact physique, se frottant l'un à l'autre et dormant côte à côte. L'ensemble de ces manifestations est considéré comme un préambule amical et affectueux qui assure la synchronisation des deux animaux.

1.3. Pendant un an, des petits trop fragiles pour se défendre seuls

Après 70 jours de gestation, la femelle donne naissance à deux petits en général, parfois à trois ou quatre. Pour mettre bas, elle choisit un abri naturel – anfractuosité de rocher ou arbre creux – dans la zone la plus préservée de son territoire, là où elle est assurée de trouver facilement des proies pour nourrir ses petits.

Les nouveau-nés pèsent de 200 à 300 g et, comme beaucoup de petits félidés, ils sont aveugles durant les premiers jours de leur vie. Leur pelage, déjà tacheté, est alors de couleur terre. Ils possèdent dès ce moment-là de petits pinceaux auriculaires. Leur mère les allaite à l'intérieur de la tanière et les lèche souvent. Pendant les premières semaines de l'allaitement, elle ne sort pas pour chasser et jeûne presque totalement.

Lorsqu'elle se déplace, elle porte ses petits un à un dans sa gueule, à la façon des chats. Ce n'est que deux à trois mois après leur naissance que les petits sont réellement aptes à la suivre.

Dès qu'ils sont capables de marcher, ils commencent à sortir à l'aventure. Très jeunes, ils mettent à profit l'espace qui entoure la tanière pour se bousculer et chahuter entre eux. C'est par le jeu qu'ils apprennent les premiers réflexes des grands chasseurs qu'ils deviendront plus tard.

Dès le deuxième mois, la femelle sort à la recherche de proies pour alimenter ses petits en nourriture carnée et, peu à peu, ceux-ci cessent de téter. Cette forme de sevrage est la même que chez beaucoup de carnivores.

Très tôt, les lynx aiment mordiller les oreilles des chevreuils tués par leur mère, ou à en consommer les bajoues ; ils sont encore trop jeunes pour lui en disputer les meilleurs morceaux.

La croissance relativement lente des petits est fonction de la nourriture que la mère peut leur apporter. À l'âge de six mois, ils sont de toute façon encore très petits et ne dépassent pas la taille d'un cocker. Durant une année, ils restent dépendants de leur mère qui les protège et chasse pour eux.

Pendant les premiers mois de leur vie, les jeunes lynx sont des proies faciles pour les loups, les aigles et les renards, et le danger que ces derniers représentent pour les chatons est réel. C'est l'âge auquel les petits sont le plus fragiles et le plus menacés. La mortalité infantile est très élevée : plus de 50 % des naissances.

Lorsque, au printemps suivant celui de leur naissance, les jeunes lynx prennent leur indépendance, nombre d'entre eux trouvent difficilement un territoire libre, et beaucoup meurent.

1.4. Milieu naturel et écologie

Initialement présent dans toute l'Europe, le lynx avait pratiquement disparu. Grâce aux mesures de protection et aux diverses actions de réintroduction menées depuis une vingtaine d'années, grâce aussi à la politique de reforestation, le lynx vit de nouveau dans plusieurs pays d'Europe.

En France, on trouve aujourd'hui le lynx d'Europe dans les Vosges (où les lâchers officiels ont débuté en 1983), dans le Jura (colonisé à partir de lâchers officiels et clandestins effectués en Suisse depuis 1970), dans le nord des Alpes (colonisé à partir de lâchers officiels suisses dès 1970), et, très partiellement, dans les Pyrénées.

 Aujourd'hui, la population de lynx en Europe (en dehors de la Russie) est estimée à environ 3 000 – 7 000 individus, mais, malgré les mesures de conservation et de réintroduction, elle est en régression. Répartis en petits nombres dans les différents pays, les lynx d'Europe n'ont aucune possibilité de rencontre. Les biologistes pensent qu'un danger de perte de variabilité génétique pèse sur eux. Cette variabilité protège l'espèce de la dégénérescence et sa perte pourrait entraîner à terme une plus grande sensibilité des lynx aux maladies et les rendre plus vulnérables aux modifications écologiques. C'est pourquoi certains pays comme l'Allemagne ont tenté de réintroduire ces animaux dans des zones comme les Alpes bavaroises, afin de favoriser des échanges entre les lynx d'Europe centrale et ceux de Suisse et de France. Les populations sont plus importantes en Europe du Nord, dans les pays Baltes et surtout dans le sud de la Sibérie à travers la Russie (36 000 à 40 000 individus dans les années 1990) des massifs de l'Oural à l'océan Pacifique.  La population asiatique, entre l'Himalaya et le plateau tibétain, est mal connue.

Les relations lynx-ongulés

Les descriptions des relations entre le lynx et ses proies concernent essentiellement les rapports lynx-lagomorphes (lièvres...). Ces études ont été réalisées soit en Espagne avec le lynx pardelle, soit au Canada avec le lynx canadien. Dans les deux cas, les ongulés n'interviennent qu'en tant que proies de remplacement, lorsque les populations de lagomorphes atteignent cycliquement leur densité minimale.

Le prédateur qu'est le lynx ne limite en aucune façon les densités maximales atteintes par ces populations de petits herbivores qui se reproduisent rapidement et en grand nombre. En revanche, le nombre de lynx est lui-même limité par la densité plus ou moins importante de ses proies.

Les résultats de ces recherches sont difficilement transposables dans notre système européen, où les ongulés, et notamment le chevreuil, constituent les proies principales du lynx. Une étude a été menée dans le massif vosgien et a permis de comparer répartition, abondance, structure, état sanitaire et condition physique d'une population de chevreuils exploitée par le lynx avec le régime alimentaire du prédateur, en tenant compte du sexe, de l'âge, de la taille et de la condition physique de chaque chevreuil consommé, ainsi que du lieu de prélèvement. Selon cette étude, un lynx qui occupe un domaine de 20 000 hectares, dans lequel la densité de chevreuils est estimée à 6 individus par 100 hectares (soit environ 1 200 chevreuils), en prélève de 3 à 6 %, c'est-à-dire entre 36 et 72 sujets par an ; alors que le prélèvement annuel par la chasse concerne jusqu'à 30 % des effectifs, soit 360 animaux, et que la mortalité naturelle atteint en moyenne 10 %. Cette étude prouverait que les trois facteurs de mortalité, chasse par l'homme, prédation par le lynx et mort naturelle, ne représentent pas un pourcentage supérieur au taux d'accroissement annuel moyen de la population de chevreuils.

Cette étude semble également démontrer que le lynx s'attaque à l'animal qu'il a le plus de chance de rencontrer. En effet, lorsque la population des proies n'a pas un sex-ratio équilibré, c'est-à-dire lorsqu'un sexe est plus abondant que l'autre, le lynx a tendance à choisir sa proie dans la catégorie la plus abondante. Il consomme ainsi plus de chevrettes que de mâles. Enfin, le lynx capture de préférence des animaux très âgés, proies sans doute plus faciles à attraper pour lui, mais que l'homme rencontre rarement car elles sont prudentes.

Les animaux tués par le lynx dans ce massif sont, sauf exception, en bonne condition physique. D'après l'étude des tableaux de chasse, la population des proies fait preuve, dans son ensemble, d'un bon état sanitaire, ce qui explique sans doute ce résultat.

En Suisse, la quantité de chevreuils tués par le lynx est supérieure. Elle atteint de 6 à 9 % de la population des proies, ce qui correspond à un nombre de 60 à 80 chevreuils par an et par lynx. Cela est dû sans doute au fait que les chevreuils ne sont pas toujours consommés en entier.

En Suède, l'abondance de lynx semble dépendre du chevreuil. L'absence de cet ongulé dans certaines zones paraît limiter l'expansion du félin, qui ne peut pas se rabattre sur d'autres proies.

Par ailleurs, le lynx prélève davantage de jeunes que d'adultes en Suède, et davantage de femelles que de mâles dans l'est de l'Europe. En Suisse, il ne tue presque pas d'animaux âgés, contrairement à ce qui se passe dans le massif vosgien.

Enfin, le lynx peut avoir une influence sur l'état sanitaire des populations d'animaux qu'il chasse. Une enquête menée dans les Carpates  a établi que 82 % des cervidés tués dans cette région étaient des animaux en très mauvaise condition physique, principalement des faons.

Toutes ces études montrent qu'aucune règle générale ne peut être avancée en ce qui concerne l'effet de prédation du lynx sur une population d'ongulés. La règle ne pourra être définie que pour un milieu et une situation donnés. De plus, certains effets de prédation du lynx resteront toujours difficilement quantifiables. Il s'agit en particulier de l'effet positif de dispersion des individus et donc du brassage génétique provoqué par le passage du lynx au sein des populations de proies.

Le lynx et les petits carnivores

Le lynx capture également des renards, des chats harets et des chiens errants susceptibles de véhiculer la rage. Il pourrait ainsi être un facteur de ralentissement dans la progression de cette maladie. Dans un canton suisse, on a pu constater  une forte réduction du nombre de chats domestiques hors des localités, après la réapparition d'une population « normale » de lynx. Or, la rage sylvatique n'avait pas encore atteint cette zone, alors que les régions alentour, qui n'avaient pas de population de lynx « normale », étaient déjà frappées par l'épidémie. Cette unique observation ne saurait cependant constituer à elle seule la démonstration du rôle bénéfique du lynx.

La rage, un faux problème

Comme tous les félins, le lynx peut contracter des maladies comme le typhus, le coryza ou la rage. En ce qui concerne la rage, les récents progrès de la virologie ont permis d'identifier dans la nature différentes souches du virus rabique. Certaines de ces souches, notamment celles que l'on rencontre en Europe, présenteraient un pouvoir pathogène moins important sur le chat que sur le renard. Le chat domestique est 300 000 fois moins sensible à la rage que le renard. Le lynx et le chat sauvage semblent partager avec le chat domestique cette relative résistance au virus rabique.

La maladie est mortelle pour le lynx ; elle se manifeste par une paralysie généralisée de l'animal. Le lynx ne sécréterait, comme les chats, que très peu de virus par la salive. Même s'il peut être atteint de rage, le lynx ne constitue donc pas, a priori, un facteur de transmission.

2. Zoom sur... le lynx d'Europe

2.1. Lynx d'Europe (Lynx lynx)

Le lynx d'Europe est, avec le loup et l'ours, l'un des trois grands prédateurs européens et le seul grand félin vivant à l'état sauvage sur ce continent.

C'est un animal haut sur pattes, à la fourrure épaisse, et muni d'une queue très courte terminée par une touffe de poils noirs.

Le crâne est court et arrondi, la face est encadrée de favoris et des pinceaux de 3 à 4 cm, caractéristiques de l'espèce, se dressent à l'extrême pointe des oreilles.

Le lynx est un petit félin. Cette espèce se distingue des grands félins par un appareil hyoïdien complètement ossifié : le lynx ne peut donc pas rugir, mais il peut ronronner en inspirant et en expirant, alors que les grands félins ne peuvent le faire qu'en expirant.

Sa fourrure tachetée de noir lui confère un mimétisme impressionnant. Quelle que soit la saison, il est très difficile de l'apercevoir. En été, le pelage du dos devient roux, et, en hiver, il vire au beige crème. Le pelage du ventre est blanc uni, été comme hiver.

Le dimorphisme sexuel est peu important et ne concerne que le poids et la taille ; les mâles sont légèrement plus grands et plus lourds (de 1 ou 2 kg) que les femelles.

Animal solitaire vivant sur de larges espaces, le lynx est un chasseur nocturne qui n'a pas de gîte fixe. Durant la journée il profite du soleil sur des rochers en surplomb, ou s'abrite du vent et de la pluie sous le couvert des arbres.

Exclusivement carnivore, il ne se nourrit, sauf exception, que de proies qu'il a capturées lui-même. Son régime alimentaire inclut des cervidés (chevreuils, chamois...), des petits rongeurs, mais aussi des insectes et des oiseaux.

Capable de se cantonner pendant plusieurs jours sur quelques hectares, il peut aussi parcourir plus de 10 km sans s'arrêter.

Si le biotope et la nourriture lui conviennent, la capacité de colonisation de l'espèce est bonne. En Suisse, où l'espèce avait disparu depuis deux siècles, 10 individus ont été lâchés entre 1971 et 1976 et la population de lynx y compte aujourd'hui entre 100 et 200 individus. En France,  le lynx a été réintroduit dans les Vosges dans les années 1980 et il est également présent dans les massifs du Jura et des Alpes qu'il a recolonisés progressivement à partir de la Suisse. 

Les sous-espèces

Lynx d'Europe, Lynx lynx lynx : coloration variable, taille moyenne, population dispersée.

Lynx du Caucase, Lynx lynx dinniki ou Lynx lynx orientalis : coloration roussâtre, avec taches et bandes contrastées, petite taille. Réparti dans le Caucase, le Transcaucase, le nord de l'Iran et la Turquie.

Lynx du Tibet, Lynx lynx isabellinus : coloration claire, le plus souvent sans taches, taille moyenne. Présent en montagne : Turkestan, est de l'Afghanistan, nord du Pakistan et des Indes, Himalaya et Tibet.

Lynx de Sibérie, Lynx lynx wrangeli : coloration claire parfois argentée, le plus souvent sans taches. C'est la forme la plus grande de l'espèce. Réparti de l'est du bassin de l'Ienisseï jusqu'à la mer de Béring.

Lynx de l'Amour, Lynx lynx stroganovi ou Lynx lynx neglectus : coloration claire aux taches peu visibles, de taille moyenne. Présent dans la région des fleuves Oussouri et Amour, en Mandchourie et en Corée.

Lynx du Baïkal, Lynx lynx kozlovi : coloration très variable, taille moyenne. Sud de la Sibérie.

Le lynx de Sardaigne (Lynx lynx sardiniae) est aujourd'hui éteint.

          

LYNX

Nom (genre, espèce) :

Lynx lynx

Famille :

Félidés

Ordre :

Carnivores

Classe :

Mammifères

Identification :

Queue courte, pelage tacheté de noir, pinceaux auriculaires

Taille :

Longueur du corps : de 90 à 130 cm ; longueur de queue : de 15 à 20 cm ; hauteur au garrot : de 55 à 75 cm

Poids :

De 18 à 25 kg (France) ; jusqu'à 30 kg (Roumanie)

Répartition :

Europe occidentale, septentrionale et centrale, Asie ; faibles effectifs en Autriche, Suisse, France,  Italie ; plus importants en Europe du Nord/centrale et surtout en Russie.

Habitat :

Tous milieux forestiers de plaine et de montagne abondant en proies

Régime alimentaire :

Carnivore strict

Structure sociale :

Solitaire, excepté pendant la saison des amours

Maturité sexuelle :

Femelles : 21 mois ; mâles : 33 mois

Saison de reproduction :

Généralement au printemps

Durée de gestation :

De 2 mois à 2,5 mois, 72 jours habituellement

Nombre de jeunes par portée :

De 1 à 4

Poids à la naissance :

De 200 à 300 g

Longévité :

De 10 à 20 ans

Effectifs :

 Entre 3 000 et 7 000 individus en dehors de la Russie (36 000-40 000 dans les années 1990). En régression ; espèce « quasi en danger »

Statut et protection :

Annexe II de la Convention de Washington et, pour l'Europe, en Annexe III de la Convention de Berne : la chasse, interdite dans la plupart des pays, est autorisée dans ceux où les effectifs le permettent (Russie, Roumanie entre autres).

 

Remarques :

Fait l'objet de différents programmes de réintroduction et d'une surveillance accrue de ses effectifs

 

2.2. Signes particuliers

Nez et gueule

Chez les petits félins la pilosité n'atteint pas le bord antérieur du nez et laisse subsister une étroite bande de peau nue. À l'inverse des félidés, le lynx est souvent pourvu d'une molaire supplémentaire. Mais, comme les félidés, il a 1 canine pointue par demi-mâchoire, qui sert à tuer, et 3 incisives, qui arrachent les morceaux de chair. Sa formule dentaire par demi-mâchoire est : I 3/3, C 1/1, PM 2/3, M 1/1.

Pelage

En été, le pelage du lynx adulte varie du gris jaunâtre au roux cannelle. En hiver, il tire sur le gris. Il est moucheté : la dimension et le nombre des taches, généralement foncées, sont très différents selon les individus, et on parlait autrefois d'un lynx-chat très tacheté et d'un lynx-loup au pelage uniforme. L'intensité du mouchetage est très variable selon les individus.

Œil

L'iris oscille du jaune brun au jaune ocre. L'œil du lynx brille la nuit : très sensible à la lumière, il est composé d'un tissu particulier, le tapetum lucidum, situé dans la couche choroïdienne et constitué de plaquettes argentées et de cellules pigmentées (mélanoblastes) qui migrent le long des plaquettes quand l'éclairement est normal. Quand ce dernier diminue, les cellules visuelles sont stimulées une seconde fois après réflection sur la rétine.

Queue

Très courte, la queue du lynx ne dépasse pas 18 cm et se termine par une touffe de poils noirs. Lorsque le lynx est excité, il dresse la queue.

Pattes

Le lynx marche sur les 4 doigts de chaque patte, terminés par des griffes rétractiles acérées. Les pattes sont larges et leur surface portante est telle que le lynx semble marcher sur des raquettes. Entre les pelotes digitales et la pelote plantaire, les poils sont très fournis.

3. Les autres espèces de lynx

Les lynx ont tous en commun les pinceaux auriculaires et la queue courte qui caractérisent aussi le lynx d'Europe. À la différence de celui-ci, les deux espèces américaines, le lynx roux et le lynx du Canada ainsi que l'espèce ibérique, le lynx pardelle – chassent de préférence les lagomorphes ; les cervidés venant en second dans leur alimentation. Le caracal, une autre espèce, a longtemps été considéré comme faisant partie des lynx auxquels il ressemble morphologiquement beaucoup. Il vit surtout en Afrique.

3.1. Lynx pardelle (Lynx pardinus)

Long de 80 à 90 cm, il pèse de 12 à 13 kg et sa queue mesure de 12 à 13 cm. Les mâles sont parfois plus grands et plus lourds que les femelles. Le lynx pardelle ressemble étrangement au lynx d'Europe, au point qu'il a souvent été considéré comme une sous-espèce de celui-ci. Plus petit que le lynx d'Europe, son pelage est plus tacheté, les marques noires étant bien marquées. Les favoris de la tête sont plus développés que chez le lynx d'Europe.

Alimentation : principalement des lagomorphes (lièvres...). Dans une étude faites sur 1 535 éléments récoltés par M. Delibes sur le terrain dans le parc du Coto Doñana, en Espagne, des restes de lapins y figuraient 1 358 fois, des restes de canards 272 fois, puis, à une fréquence moindre, des restes de cerfs, de daims, de rongeurs (souris, campagnols...), de perdrix rouges et d'autres espèces d'oiseaux.

Les cervidés n'interviennent dans l'alimentation que lorsque les populations de lapins sont réduites, c'est-à-dire d'octobre à février. Cette période est celle du rut pour les daims, et leurs faons, livrés à eux-mêmes, sont alors très vulnérables et faciles à attraper pour le lynx. Si lapins et cervidés sont insuffisants sur le territoire du lynx, celui-ci se déplace sur de grandes distances et peut alors attaquer des chèvres domestiques.

Le domaine vital du lynx pardelle, 2 500 ha en moyenne, est plus petit que celui du lynx d'Europe. L'espèce est territoriale, protégeant soigneusement ses zones de chasse.

Habitat, répartition : bois et landes de type méditerranéen ; uniquement en Espagne et au Portugal en 6 petites populations totalement isolées les unes des autres.

Effectifs : moins de 1 500 individus. C'est sans doute l'un des félins tachetés les plus menacés au monde. Sa raréfaction progressive est due aux accidents routiers, au braconnage, et à la myxomatose qui a ravagé, à partir de 1958, les populations de lapins de son habitat. L'espèce est aujourd'hui totalement protégée sur l'ensemble du territoire de la péninsule Ibérique et classée par l'U.I.C.N. (Union internationale pour la conservation de la nature) dans la catégorie « en danger critique d'extinction ».

3.2. Lynx roux (Lynx rufus)

Le plus petit de tous les lynx. Long de 70 à 90 cm, il pèse de 6 à 15 kg et sa queue mesure de 12 à 16 cm. Les mâles sont légèrement plus lourds que les femelles.

Le pelage, de jaune-brun à roux-brun, est tacheté. Le dos des oreilles est noir avec un point central blanc.

Le lynx roux vit en solitaire.

Alimentation : carnivore strict, il consomme entre 400 et 800 g de chair par jour, principalement des rongeurs, des écureuils et des lièvres, mais aussi des ongulés. Dans le sud de son aire de répartition, il se nourrit toute l'année de lapins « de Floride », Sylvilagus floridanus, et de rats, Sygmodon hispisdus. En Caroline du Sud, il consommait principalement des rats jusqu'en 1969. Depuis cette date, les populations de cerfs à queue blanche ont augmenté dans la région et les restes de cette espèce d'ongulés sont fréquemment identifiés lors d'analyses d'excréments de lynx, ce qui prouve la capacité du lynx roux à s'adapter à un nouveau mode de chasse et à un changement d'alimentation.

La question de savoir si le lynx roux est capable de tuer de telles proies reste cependant entière. Des auteurs pensent en effet que cette consommation se réalise principalement à partir de charogne, et l'importance des ongulés dans le régime alimentaire du lynx roux est très controversée.

Pour certains, le lynx ne consomme des ongulés, et principalement des faons, qu'en hiver ; pour d'autres, il ne choisit ce type d'alimentation qu'en été.

En Arkansas, les écureuils prédominent dans son régime. En fait, ce sont les proies les plus accessibles – quel qu'en soit le type – qui constituent la nourriture et qui règlent les effectifs des populations de lynx roux. Une nourriture abondante permet en effet une meilleure survie des jeunes individus.

Son domaine vital peut atteindre 20 000 ha, comme pour le lynx d'Europe, mais la moyenne enregistrée paraît en général inférieure à 7 000 ha.

La femelle, comme chez le lynx d'Europe, n'accepte que temporairement la présence du mâle sur son domaine et défend son territoire vis-à-vis des autres femelles.

La saison de reproduction a lieu de février à avril. Le rut et l'accouplement se déroulent en général près de zones rocheuses. Deux à quatre petits naissent après environ 62 jours de gestation. Ils pèsent entre 100 et 300 g.

Habitat, répartition : il vit surtout dans la partie sud et dans le centre de l'Amérique du Nord. Son aire de répartition paraît cependant s'étendre actuellement vers le Canada. Tous les types d'habitat qu'il rencontre lui conviennent : marais, déserts, montagnes, forêts, tourbières, à l'exception des régions à caractère agricole trop intensif ou trop peuplées.

La vente de sa fourrure est réglementée par la Convention de Washington. L'exploitation de l'espèce est interdite en période de reproduction et des restrictions existent dans les systèmes de capture autorisés. Ses effectifs étant estimés à plus de 50 000 individus matures, l'espèce n'est pas considérée comme menacée.

 Douze sous-espèces : Lynx r. rufus, Lynx r. baileyi, Lynx r. californicus, Lynx r. escuinapae (en danger aux États-Unis) Lynx r. fasciatus, Lynx r. floridanus, Lynx r. gigas, Lynx r. oaxacensis, Lynx r. pallescens, Lynx r. peninsularis, Lynx r. superiorensis, Lynx r. texensis.

3.3. Lynx du Canada (Lynx canadensis)

Étroitement apparenté au lynx roux, le lynx du Canada est légèrement plus grand que ce dernier. Avec des pieds plus larges, il est un meilleur chasseur dans la neige. Son pelage d'hiver, d'un gris clair, est légèrement moucheté de longs jarres, son sous-poil tire sur le brun, et la touffe de ses oreilles et le bout de sa queue sont noirs. Son pelage d'été est beaucoup plus court et d'un brun rouge.

Alimentation : il se nourrit presque exclusivement de lièvres d'Amérique. Étant donné que les populations de lièvres suivent un cycle de dix ans, le nombre de lynx fluctue aussi énormément en même temps que les populations de lièvres, atteignant un sommet pour ensuite s'effondrer. L'été, son régime est plus varié, quoique le lièvre soit toujours sa principale proie. Le lynx consomme alors aussi des tétras, des campagnols, des souris, des écureuils et des renards. S'il en trouve, il mangera aussi de la charogne de bétail domestique ou des gros gibiers, tels que des chevreuils, mais il s'attaquera rarement aux grandes proies. Toutefois, sur  l'île de Terre-Neuve, le lynx est devenu prédateur de jeunes caribous lorsque le nombre de lièvres d'Amérique, introduits dans les années 1870, se réduit.

Habitat, répartition : de préférence forêts boréales de peuplements mûrs et sous-bois de fourrés et de chablis dense. Cependant, il s'établira aussi dans d'autres habitats s'il y trouve un couvert forestier minimal et une quantité adéquate de proies. Périodiquement, des déplacements de nombreux lynx ont été observés : quittant la forêt boréale, ils s'installent alors dans les prairies. S'il n'est pas dérangé, le lynx tolère très bien la présence de l'homme. Son aire de répartition est très vaste : sur toute la ceinture boréale canadienne, d'ouest en est, jusqu'aux montagnes Rocheuses, aux États-Unis, au Sud.

Effectifs : estimés à plus de 50 000 individus matures. Mis à part le déclin de sa principale proie, le piégeage semble être le seul facteur important de mortalité.

Trois sous-espèces : Lynx canadensis canadensis, Lynx canadensis subsolanus, présent exclusivement à Terre-Neuve, et Lynx canadensis mollipilosus.

3.4. Le lynx caracal

Le lynx caracal ne doit plus être rattaché au genre Lynx comme l'a montré une étude immunologique récente réalisée en Amérique par O'Brien, un grand spécialiste des félins. Son nom latin Caracal caracal vient du mot turc « karakal » et signifie oreilles noires. En Afrique du Nord, il est aussi appelé « lynx de Barbarie ».

Le caracal montre cependant des caractéristiques bien semblables à celles du lynx européen, notamment une queue relativement courte, bien que plus longue que celle de ce dernier, et des pinceaux auriculaires. Sa fourrure n'est jamais tachetée. Long de 62 à 82 cm, il pèse entre 8 et 14 kg et peut vivre jusqu'à 17 ans en captivité. Le mâle et la femelle sont presque identiques.

C'est un animal sédentaire. La taille de son domaine vital varie probablement avec la densité de ses proies : tous les mammifères, de la souris au kob des roseaux, et tous les oiseaux jusqu'à la grande outarde. Il est peut-être ainsi plus généraliste que les autres lynx. Il bondit pour attraper les oiseaux.

Dans le clan des félins de taille moyenne, son agilité en fait un chasseur particulièrement redoutable. Jadis, les noblesses indienne et arabe faisaient dresser le caracal pour la chasse aux petites antilopes, gazelles, lièvres et oiseaux. Les propriétaires allaient jusqu'à parier sur les chances de réussite de tel ou tel sujet, le vainqueur étant jugé au nombre d'oiseaux qu'il tuait au cours d'une attaque (le total s'élevait parfois à une douzaine par félin...).

Animal de pays chauds, le caracal ne semble pas avoir de saison de reproduction bien définie, du moins dans la zone équatoriale de son aire de distribution. En Afrique du Sud, la période de reproduction se situerait plutôt en juillet et en août. La femelle met bas 2 ou 3 petits, dont elle s'occupe durant 1 an. Sa tanière est souvent un ancien terrier ou une crevasse entre des rochers.

Le caracal habite les vastes espaces dégagés africains : bois clairsemés d'acacias et brousse d'épineux de la ceinture de savanes qui limite au nord les grandes forêts pluviales ; toutes les savanes de l'Est et les déserts du Sud. Quelques caracals subsistent en Afrique du Nord et dans une partie du Moyen-Orient, par exemple dans les dunes du centre et du sud de l'Iran. En Inde, il n'en reste plus qu'un très petit nombre.

Effectifs : on ne connaît pas les effectifs actuels des populations de caracals. Malgré le commerce de sa fourrure (6 392 peaux exportées entre 1980 et 1983, surtout à partir de l'Afrique du Sud et de la Namibie), l'espèce ne paraît pas en danger mais les populations asiatiques ont été inscrites à l'annexe I de la Cites (Convention sur le commerce international des espèces menacées d'extinction). Sa chasse est interdite désormais en Algérie, en Inde, en Iran, en Israël, au Kazakhstan, au Maroc, en Ouzbékistan, au Pakistan, au Tadjikistan, en Tunisie, au Turkménistan et en Turquie. Les populations africaines sont inscrites à l'annexe II de la convention.

4. Origine et évolution du lynx

La famille des félidés s'est développée et divisée en deux grandes branches vers la fin du miocène, il y a environ 5 millions d'années. À l'une d'elles appartiennent les lynx, ces félins à queue courte, reconnaissables aux longs pinceaux qui terminent leurs oreilles.

À cette époque vivait l'ancêtre de tous les lynx, Lynx issioderensis. Les restes fossiles que l'on a retrouvés, notamment au Canada, permettent de dire que seules de légères différences dentaires et une tête un peu plus allongée le distinguaient des lynx actuels.

Comme chez les grands félins, la pupille de l'œil du lynx devient ronde lorsqu'elle est contractée, au contraire de celle du chat, autre petit félidé, qui devient ovale. De plus, les animaux du genre Lynx possèdent souvent une molaire dont sont démunis ceux du genre Felis. Quelques différences minimes de ce type expliquent pourquoi les chercheurs ne sont pas tous du même avis quant au genre (Felis ou Lynx) auquel appartiennent les lynx. Ces questions sont cependant déterminantes pour les responsables des opérations de sauvegarde et de réintroduction de ces animaux.

Capables de développer des caractéristiques morphologiques et comportementales spécifiques, les lynx ont réussi à coloniser des habitats très variés et à se répandre largement à travers le monde.

Aujourd'hui, en Europe, il existe, selon des études récentes, deux espèces de lynx distinctes : le lynx d'Europe, ou lynx boréal (Lynx lynx), et le lynx pardelle (Lynx pardinus), qui survit dans la péninsule Ibérique et fait partie des félins les plus menacés.

Les travaux paléontologiques montreraient que le lynx d'Europe serait originaire d'Asie, alors que les ancêtres du lynx pardelle, eux, seraient en grande majorité européens. Les deux espèces auraient cependant cohabité en Europe centrale à la fin du pléistocène.

Deux autres lynx vivent actuellement en Amérique et plus particulièrement au Canada : le lynx roux (Lynx rufus) et le lynx canadien (Lynx canadensis).

Aujourd'hui, malgré la forte régression de l'aire de répartition du lynx d'Europe, des populations isolées subsistent grâce à des actions de préservation menées en Suisse, en Allemagne, en Autriche, en Bohême, en Italie et en France, dans les Vosges, le Jura et les Alpes.

5. Le lynx et l'homme

L'homme a toujours chassé le lynx, mais cet animal très discret, très adroit, lui inspirait à la fois respect et crainte. Piégé à outrance depuis le Moyen Âge, devenu presque légendaire, il suscite aujourd'hui un intérêt renouvelé qui, souhaitons-le, le sauvera de l'extinction qui le menace...

5.1. Vénére dans l'Antiquité mais redouté au Moyen Âge.

Au néolithique, les hommes du Jütland, au Danemark, portaient en amulettes des griffes et des dents de lynx, censées éloigner les crampes. À Rome, les premiers lynx apparurent dans les jeux offerts à la population par Pompée. Les Romains payaient très cher la pierre luggurienne qu'ils achetaient aux navigateurs. Cette pierre très rare, qu'ils prenaient pour de l'urine de lynx cristallisée, était réputée pour ses nombreuses vertus, notamment celles de guérir l'ictère ou d'éliminer les calculs de la vessie. Les Anciens prêtaient au lynx une vue exceptionnelle, d'où la formule « un œil de lynx ». Celle-ci trouve cependant son origine dans la confusion entre le lynx et le héros mythologique Lyncée, pilote des Argonautes, qui, grâce à sa vue perçante, était capable de guider le navire même par gros temps. Les Romains attribuaient au lynx la faculté de voir à travers les corps les plus opaques, bois ou murs de pierre.

Le lynx est vénéré et craint par les hommes qui le chassent jusqu'au Moyen Âge, où il inspire une véritable terreur, plus superstitieuse que justifiée. Ses attaques contre les animaux domestiques sont en fait plus rares que celles des loups. Le lynx est baptisé alors loup-cervier (qui mange les cerfs) et décrit comme un loup à robe zébrée ou mouchetée qui tue ses proies pour n'en consommer que la cervelle. Les archives de cette époque témoignent de nombreuses confusions entre lynx, loup et chien. Le félin est assidûment piégé et son aire de répartition se réduit progressivement.

À partir du xviiie siècle, les effectifs de lynx subissent un second recul très net. Bien vite, ne subsistent que quelques noyaux répartis à travers l'Europe. Le lynx est victime du commerce intense de sa fourrure, mais aussi de la découverte, puis de la généralisation des armes à feu. De plus, les autorités organisent une lutte intensive contre les grands prédateurs, considérés comme concurrents directs de l'homme. Cette lutte s'achève avec l'extermination de ces animaux. Le lynx devient ainsi, au début du xxe siècle, une espèce en voie d'extinction. Par sa rareté, il prend définitivement sa place dans les mythes et les légendes.

5.2. Les peaux de lynx toujours très prisées des fourreurs

D'après une étude sur la disparition des trois grands prédateurs européens : loup, ours et lynx, c'est en 1462 que l'on voit apparaître les peaux de lynx, ou lousserves, dans les livres de comptes des fourreurs. La fourrure du lynx est classée parmi les plus précieuses et les plus coûteuses, avec celles du léopard et de la genette. Dès cette époque, les peaux de lynx sont rares et sont comptées à la pièce.

Le commerce des fourrures s'intensifie considérablement à la Renaissance. On y taille de belles couvertures et des pelisses. En 1495, les robes du duc de Savoie sont faites de fourrures de martre, de genette et de ventres de loups-cerviers. Pendant le règne de François Ier, le ventre d'un lynx vaut 30 livres, une martre argentée de très belle qualité 15 livres et une genette noire 12 livres.

Au xxe siècle, c'est le lynx roux qui fut l'espèce la plus chassée. La demande de fourrures s'accrut progressivement dans les années 1960 pour connaître un bond au milieu des années 1970 lorsque la Convention de Washington (Cites) inscrivit Lynx r. escuinapae à son Annexe I. L'espèce est inscrite à l'Annexe II depuis 1992 et le commerce est en déclin. Le lynx eurasiatique est inscrit à l'annexe II de la Cites et des quotas d'exportation (trophées et peaux) ont été accordés à la Russie (1 000 peaux en 2007) et à la Roumanie (20 trophées en 2007 et en 2008). Sa chasse est interdite en Albanie, Allemagne, Autriche, Bulgarie,  France, Géorgie, Grèce, Hongrie, Inde, Iran, Suisse, République tchèque, au Pakistan, au Népal ainsi que dans les républiques d'Asie centrale. Des réglementations s'appliquent en Chine, Finlande, Norvège, Pologne, Roumanie, Russie, Slovaquie, Suède et Turquie. Quant au lynx du Canada, inscrit également à l'annexe II, il est piégé dans tous les territoires et dans toutes les provinces du pays, sauf l'Île-du-Prince-Édouard, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick. Les saisons de piégeage sont réglementées et les gestionnaires des espèces sauvages peuvent modifier les règlements, selon les besoins. Certains biologistes ont recommandé la fermeture des saisons de piégeage au point le plus bas du cycle des populations. Plusieurs provinces étudient les effets de la chasse sur leurs populations de lynx afin de modifier leurs règlements pour conserver l'espèce. L'élevage de lynx dans des ranchs est également envisagé.

5.3. Un félin nécessaire au milieu forestier

Autour des années trente, la rareté de l'espèce, le morcellement des populations et les menaces qui pesaient sur les derniers noyaux de peuplement aboutirent à une campagne en faveur de la protection et de la réintroduction du lynx en Europe. Les pays concernés décidèrent de protéger l'espèce : la Suède en 1923, la Roumanie en 1933, la Tchécoslovaquie en 1934, la Finlande en 1962... Dès 1970, le groupe Lynx International proposa de protéger l'espèce là où elle subsistait et de la réintroduire dans les pays où elle avait des chances de se développer. Des opérations de réintroductioneurent alors lieu en Allemagne, en 1970, dans le parc national de Bavière, dans le Jura et dans les Alpes suisses de 1971 à 1976, en Slovénieen 1973, dans les Alpes italiennes en 1975, dans les Alpes autrichiennes et en Tchécoslovaquie en 1978, ainsi qu'en France dans les années 1980. Depuis, le statut de conservation de la population de lynx en France est suivi par périodes triennales par l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (O.N.C.F.S.). Le bilan pour les années 2002-2004 faisait état d'une extension de son aire de présence dans les massifs vosgien, jurassien et alpin. La population la plus importante et la plus dynamique se trouve dans le Jura, qui abritait environ une centaine d'individus au début des années 2000.

De tels programmes se justifient toujours aujourd'hui si l'on veut préserver cette espèce. La population globale de lynx  est extrêmement morcelée, et le développement économique des pays d'Europe orientale risque encore en effet de réduire son aire de répartition.

Deux conventions internationales, celle de Washington et surtout celle de Berne, adoptée en 1979 par le Conseil de l'Europe, et des législations nationales assurent la protection du lynx et obligent les pays à surveiller les populations qu'ils possèdent. Mais à l'échelle européenne, il serait nécessaire de favoriser des échanges d'individus entre chacun des habitats (Vosges/Palatinat, Jura, Alpes occidentales, Alpes orientales, Balkans) afin d'optimiser la variabilité génétique de la population et sa survie à long terme.

Par sa présence dans le milieu forestier, ce superprédateur qu'est le lynx aurait tendance à disperser les ongulés sauvages qui se groupent aux abords des plantations et à provoquer ainsi une diminution des dégâts causés aux jeunes arbres. En consommant des animaux malades et en dispersant les individus, il provoque un brassage génétique, et, indirectement, améliore l'état physique et sanitaire du grand gibier. Par les prélèvements qu'il effectue sur les canidés (renards...), les autres félidés et les petits rongeurs, le lynx peut participer temporairement à une certaine régulation des effectifs de petits carnivores.

Sa disparition du système forestier pourrait provoquer à long terme des modifications importantes dans le comportement d'autres espèces, comme les chevreuils et les chamois par exemple.

5.4. Comment réintroduit-on les lynx ?

Ce sont les Carpates slovaques (qui abritaient la population de lynx la plus importante en dehors de la Russie) qui ont alimenté en animaux les différents programmes de réintroduction menés en Europe. Les lynxfurent capturés par des forestiers tchèques à l'aide de cages-trappes, puis acheminés vers un zoo du pays, où ils restaient en quarantaine durant deux à trois mois. Durant cette période, un certificat sanitaire ainsi que tous les papiers nécessaires à leur exportation étaient établis. Les lynx étaient alors acheminés vers les pays où ils devaient être réintroduits.

Les lynx des Carpates arrivaient en France par avion, puis étaient transportés jusqu'aux lieux de lâcher. Ils étaient alors installés dans des cages de prélâcher et nourris de petits animaux vivants (lapins ou poulets). Cette période de prélâcher permettait aux spécialistes d'effectuer divers contrôles sanitaires et d'équiper le lynx d'un collier émetteur permettant aux responsables de sa réintroduction de connaître son nouveau mode de vie. Le lynx était aussi vacciné contre la rage, le typhus, le coryza et la leucopénie.

Dans le même temps, les responsables entreprenaient d'informer les habitants de la région, adultes et enfants, et les personnes concernées : chasseurs, forestiers, promeneurs, maires et conseillers.

Ils choisissaient en commun un endroit propice à la mise en liberté de l'animal, en tenant compte des autres lynx déjà présents dans la région, du sexe de ces animaux et de leur domaine supposé. L'endroit trouvé, le lynx était alors lâché.

Mais toute opération de transfert d'animaux sauvages comporte des risques, accidentels le plus souvent ; certains animaux sont plus fragiles que d'autres et ont des difficultés à supporter cette série de transferts, même s'ils sont effectués dans les meilleures conditions. C'est ainsi que, sur les 14 lynx importés des Carpates vers le massif vosgien, deux moururent à la suite de problèmes stomacaux, probablement provoqués par le voyage.

Mais les  causes de l'échec d'une opération de réintroduction de grands prédateurs comme le lynx sont généralement le fait du braconnage ; cela fut le cas en Allemagneoù tous les animaux lâchés furent tués par un seul et même braconnier.

5.5. Prédateur d'animaux domestiques

Les cas de prédation du lynx sur les troupeaux de moutons ou de chèvres restent en général occasionnels. Cependant, il est toujours une source de conflits importants avec les paysans – en particulier les éleveurs – qui subissent ces attaques et sont donc très hostiles à tout lâcher de cet animal.

En Suisse, depuis la réintroduction du félin, vivent quelque 150-200 lynx qui, entre 1973 et 2003, ont tué 1918 animaux d'élevage (pour la plupart des moutons et des chèvres). Le canton concerné prend en charge l'indemnisation des éleveurs et autorise, dans certains cas, l'élimination du prédateur.

En France, ces conflits s'exacerbèrent au cours des années 1980 lorsqu'on assista à une augmentation brutale du nombre d'attaques de troupeaux de chèvres et de moutons. Probablement lié à la spécialisation subite de certains lynx, ce phénomène resta toutefois extrêmement localisé : 40 % des attaques répertoriées eurent lieu sur trois communes, ce qui correspondait à 5 000 hectares, soit 1 % de la zone colonisée par le lynx sur l'ensemble de ce massif. Ces attaques incitèrent alors l'O.N.C.F.S à constituer un réseau d'observateurs locaux afin de détecter avec davantage de précision les traces du prédateur dans les différentes régions concernées et une procédure d'indemnisation des éleveurs fut mise en place.

Aujourd'hui, les attaques de troupeaux sont toujours enregistrées essentiellement dans le Jura et leur nombre varie entre 50 et 100 chaque année. Elles sont concentrées sur des zones de très faible superficie, appelées « foyers », dont la formation est essentiellement due à la proximité entre la forêt et les prairies pâturées. Les exploitations à risque sont celles qui sont enclavées dans un ensemble forestier ou très proches de celui-ci. Mais les lynx n'ont aucune préférence pour les moutons. Certains  chassent des proies domestiques, tandis que d'autres y restent complètement indifférents. Dans les foyers d'attaques, l'utilisation de mesures de protection adéquates (chiens de protection, abris nocturnes, clôtures électriques) constitue la principale arme contre les attaques de lynx. Par ailleurs, les autorités ont mis en place une procédure d'élimination des animaux dits « spécialisés » dans les départements de l'Ain et du Jura.