simplicité
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Du latin simplicitas.
Métaphysique, Philosophie des Sciences
Caractère de ce qui n'est point composé de différentes parties, c'est-à-dire de ce qui est un et indivisible.
Le principe de simplicité est un principe métaphysique dont le sens est de donner unité et cohérence à un ensemble de phénomènes ou de lois ; il s'applique, par exemple, à la nature ou à la science. Quand Aristote déclare, dans le traité Du ciel, que « la nature ne fait rien en vain », il exprime l'idée qu'un principe d'économie des causes régit la nature, qui agit donc selon les voies les plus simples(1). Le principe de simplicité fonctionne avec le principe d'économie : il faut poser le principe d'économie des causes pour déduire le principe de simplicité des effets, c'est-à-dire des voies de la nature ou des lois de la science. Leibniz a introduit explicitement en métaphysique le principe de simplicité des voies de la nature.
Aux xviie et xviiie s., tout savant, quelle que soit l'orientation philosophique qu'il choisit, est conduit à se servir de ces deux principes de manière corrélative, car ils sont constitutifs de la métaphysique de la science. Qu'il soit un défenseur de la recherche des causes efficientes pour expliquer tel ou tel ordre de phénomènes, ou qu'il soutienne la recherche des causes finales, il est concerné par la corrélation métaphysique des deux principes. Les tenants des causes finales pensent qu'il est nécessaire de rechercher les causes finales des phénomènes de la nature, c'est-à-dire de poser que l'ordre et la simplicité des voies de la nature reflètent Dieu. En procédant ainsi, on peut aussi poser que la nature agit par économie, ce qui autorise l'utilisation des causes finales en physique : si l'on cherche, par exemple, le chemin de la lumière, on cherche la quantité que la nature économise (Fermat avait supposé que c'était le temps : la lumière suit le chemin le plus prompt ; Leibniz suppose que c'est le chemin le plus facile, ce qui annonce le principe de moindre action découvert par Maupertuis, selon lequel la quantité que la nature économise en optique ou en mécanique est l'action [le produit de la masse d'un corps par sa vitesse et l'espace qu'il parcourt]).
Ce principe prend une importance considérable au xviiie s. sous l'influence, notamment, de Maupertuis et d'Euler, qui défend ce dernier contre l'accusation d'avoir plagié Leibniz. Corollairement se développe une vision métaphysique de la nature en parfait accord avec le souci leibnizien de construire une théologie naturelle. Maupertuis, par exemple, confère à son principe de moindre action un statut métaphysique en l'érigeant en preuve de l'existence de Dieu.
À l'inverse, les savants qui, comme Descartes(2), proscrivent les causes finales dans leurs recherches ne bannissent pas pour autant le principe d'économie des causes et le principe de simplicité de la nature. À la fin de « L'Homme », deuxième partie du Monde, Descartes fait explicitement référence au principe de simplicité des voies de la nature afin de légitimer l'usage universel de son modèle mécaniste pour expliquer le corps humain. De même Newton, dans les Principes mathématiques de la philosophie naturelle, malgré sa volonté de construire une philosophie expérimentale indépendante de la métaphysique et de ses principes, fait mention, dans trois des quatre « Règles » qu'il faut suivre pour étudier la physique, du principe d'économie des causes et du principe de simplicité de la nature(3). Enfin, d'Alembert, qui développe, dans l'article « Causes finales » de l'Encyclopédie, une critique des savants qui utilisent les causes finales dans leurs recherches, se sert, lui aussi, du principe de simplicité de la nature quand il en a besoin, en particulier pour mettre en place le cadre conceptuel de la mécanique et, notamment, l'uniformité « naturelle » du temps et du mouvement (Traité de dynamique, préface, p. IX). Cependant, il ne réfère plus le principe d'économie à la nature, mais à la méthodologie de la science : le principe d'économie justifie méthodologiquement l'économie de principes dans une science (priorité explicitement présente dans son Traité de dynamique).(4)
Les scientifiques d'aujourd'hui se servent toujours des principes d'économie et de simplicité plus ou moins consciemment dans leur pratique scientifique, et sont, en ce sens, les dignes héritiers de ces savants. Ils sont sans doute davantage les héritiers de d'Alembert que ceux de Leibniz, en ce sens qu'ils attribuent plus volontiers ces deux principes à la science qu'à la nature (qui, même laïcisée, est devenue suspecte en science). La version contemporaine de l'usage de ces deux principes est, par exemple, la légitimation d'une procédure : celle de l'application des statistiques à tel ou tel ordre de phénomène afin de construire un modèle descriptif de cet ordre. Ce qui corrobore, en fin de compte, la téléologie de la science, qui est la visée de l'unité et de la simplicité par la construction de théories descriptives et explicatives des phénomènes.
Véronique Le Ru
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Aristote, Du ciel, II, 4, 287 a, trad. Barbotin, Les Belles Lettres, Paris.
- 2 ↑ Descartes, R., Principes de la philosophie, I, 28, in Œuvres (t. IX), publiées par Adam et Tannery en 11 tomes, Paris, 1897-1909, rééd. en 11 tomes par Vrin-CNRS, 1964-1974 : 1996.
- 3 ↑ Newton, I., Principia mathematica philosophiae naturalis (1687), trad. G. E. de Breteuil, marquise du Châtelet, (« Principes mathématiques de la philosophie naturelle ») Paris, 1756-1759, rééd. Blanchard, 1966, Gabay, 1990.
- 4 ↑ Alembert, J. (d'), « Causes finales » (1751), in Encyclopédie des sciences, des arts et des métiers (t. II), éditée par d'Alembert et Diderot, Paris, Briasson, David, Le Breton et Durand, 35 vol., 1751-1780 ; Traité de dynamique, Paris, David, 1743, 2e éd. 1758 (repris par J. Gabay, 1990).