rhétorique

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du grec rhetorikê (scil. technê), « art de parler en public ».


C'est le plus ancien art du discours : ses théoriciens majeurs demeurent Aristote. Cicéron et Quintilien. Elle est reprise aujourd'hui comme modèle argumentatif alternatif à la démonstration nécessaire et irréfutable, proposant en contrepartie une méthode d'argumentation visant la vraisemblance.

Linguistique

La rhétorique est l'art de la persuasion, à la fois méthode et objet d'une réflexion spéculative sur le discours vraisemblable et plausible. Elle se distingue de l'argumentation dialectique par l'usage des effets pathétiques du discours sur le public : elle vise aussi bien à émouvoir qu'à convaincre.

La pensée ancienne

La rhétorique est née, dit-on(1), au ve s. av. J.-C., en Sicile, des procès liés à la propriété ; introduite à Athènes par le sophiste Gorgias, elle se développa dans les milieux judiciaires et politiques : par l'éloquence judiciaire, l'orateur cherche à convaincre le public de l'innocence ou de la culpabilité de l'accusé, tandis que la rhétorique délibérative porte sur les choix qu'une communauté politique doit assumer. S'y ajoute le discours épidictique, visant le blâme ou l'éloge, que Gorgias pourrait avoir également créé avec l'Éloge d'Hélène.

La rhétorique a suscité, dans la pensée grecque, deux attitudes majeures : Platon, tout en donnant pour objectif à la rhétorique, comme Gorgias, la persuasion(2), la subordonne à une connaissance des âmes sur lesquelles elle agit et, par-delà, à une « connaissance de la nature du tout »(3) qui est l'apanage de la philosophie ; Aristote lui consacre, en revanche, un traité où les procédés rhétoriques sont étudiés pour eux-mêmes(4). Tirant ses arguments, comme la dialectique, du sens commun(5), la rhétorique, selon Aristote, se distingue pourtant de la dialectique en ce que cette dernière est interrogative et réfutative, alors que la rhétorique est une procédure persuasive où importe moins la cohérence des enchaînements discursifs que l'assentiment du public ; lequel n'est pas obtenu par la seule force du discours, mais aussi par la manipulation des passions : selon Aristote, la persuasion rhétorique s'appuie sur trois genres de « preuve » : le logos (« discours »), mais aussi l'ethos ou « caractère » de l'orateur, et le pathos, les « émotions » que l'orateur est capable de susciter dans le public.

La pensée romaine

Dans l'Occident latin, où la Rhétorique d'Aristote ne fut connue qu'au xiiie s., elle se trouva en concurrence avec la tradition rhétorique romaine, issue en particulier de Cicéron. Les orateurs latins avaient changé sensiblement la nature et le but de la rhétorique. Cicéron introduisit deux transformations majeures. D'une part, il intégra à la rhétorique le pouvoir réfutatif et interrogatif de la dialectique(6). Dans ce cadre, la persuasion rhétorique est conçue surtout comme un puissant moyen d'enseignement et d'éducation politique et morale(7). D'autre part, Cicéron superposa preuve et lieu commun(8), distincts chez Aristote. La réduction de l'argumentation véritable à des schèmes ou à des modèles conduit à l'appauvrissement de la rhétorique, qui peut être comprise simplement comme l'habileté à repérer les lieux communs les plus appropriés. Cette évolution, présente in nuce dans la réflexion romaine, est au cœur des critiques traditionnelles qui voient dans la rhétorique une pratique stérile et répétitive de classification des lieux communs.

La pensée contemporaine

La rhétorique connaît aujourd'hui un renouveau selon trois orientations différentes : herméneutique, logique et stylistique. Hans-Georg Gadamer lie étroitement la rhétorique aux idées de sens commun et de langage : les lieux communs constituent le « trésor » linguistique qui fonde l'appartenance à une culture déterminée. La rhétorique devient, par conséquent, le garant de la tradition fondatrice d'une communauté historique. En revanche, pour Chaïm Perelman et Lucie Olbrechts-Tyteca, la rhétorique est le véritable modèle de l'argumentation sur tout ce qui n'est pas l'objet d'une démonstration contraignante, et en particulier sur tout ce qui concerne les valeurs morales. Enfin, pour des auteurs comme Richard Rorty ou Ian Hacking, les énoncés scientifiques eux-mêmes ont constitutivement un statut rhétorique, puisqu'ils sont conjecturaux et vraisemblables, et peuvent toujours être remis en question. Enfin, la sémiologie des années 1970 a réduit la rhétorique à la seule stylistique (Roland Barthes ; Rhétorique générale, groupe µ).

La rhétorique comme art de l'argumentation vraisemblable est le modèle d'un discours crédible. Quoi qu'il en soit des interprétations, la réflexion sur la rhétorique engage un « retour » à Aristote.

Fosca Mariani Zini

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Cf. Cicéron, Brutus, 46.
  • 2 ↑ Platon, Gorgias, 453a : cf. Phèdre, 271a.
  • 3 ↑ Platon, Phèdre, 270c.
  • 4 ↑ Cf. Aristote, Rhétorique, 1355a20-28.
  • 5 ↑ Cf. Id., op. cit., 1354a.
  • 6 ↑ Cicéron, L'Orateur, 113-114.
  • 7 ↑ Cicéron, Topiques, 78-79.
  • 8 ↑ Id., De inventione, 2, 48 ; Divisions de l'art oratoire, 6-8.
  • Voir aussi : Gadamer, H. G., Vérité et méthode (1964), trad. fr. P. Fruchon, J. Grondin, G.Merlio, Seuil, Paris, 1996.
  • Perelman, C. et Olbrechts-Tyteca, L., Traité de l'argumentation, Paris, 1958, éd. de l'université de Bruxelles, Bruxelles, 5e édition, 2000.
  • Michel, A., Les Rapports de la rhétorique et de la philosophie dans l'œuvre de Cicéron. Essai sur les fondements philosophiques de l'art de persuader, PUF, Paris, 1961.
  • Pernot, L., La Rhétorique dans l'Antiquité, Paris, 2000.
  • Lausberg, H., Handbuch der literarischen Rhetorik, Munich, Hueber, 1973, 2 vol.
  • Fumaroli, M., L'Âge de l'éloquence, Genève, 1980, Paris, 1994.
  • Ricœur, P., La métaphore vive, Seuil, Paris, 1975.

→ aristotélisme, dialectique, enthymème, interprétation, lieu, sophistique