pragmatique

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du grec pragmatikos, « qui concerne l'action ».

Linguistique

Étude de l'usage des signes linguistiques, par opposition à la sémantique, qui étudie leur signification, et à la syntaxe, qui étudie leurs modes de composition.

La pragmatique est une discipline récente, issue d'un point de départ double. Elle remonte d'une part aux travaux du philosophe du langage J.L. Austin, plus précisément, aux conférences William James de 1955. En réaction contre la conception du langage défendue par les philosophes logiciens comme Frege et Russell, qui mettaient l'accent sur le rôle que jouent les signes linguistiques dans la formulation des connaissances scientifiques et dans le raisonnement, Austin attire l'attention sur les actions que les mots permettent d'accomplir. Parler peut consister à décrire la réalité ; mais l'on peut également transformer la réalité par le fait même de parler. Austin nomme « acte illocutionnaire » l'action accomplie de cette façon(1). Ainsi, en disant « je vous déclare mari et femme » dans des circonstances socialement appropriées, on accomplit un acte illocutionnaire qui crée certaines obligations légales entre deux personnes. Certaines actions ne sont possibles qu'à travers un acte illocutionnaire ; on ne pourrait par exemple pas promettre sans énoncer des promesses. Lorsqu'il accomplit un acte illocutionnaire, un locuteur utilise le langage pour se situer dans le réseau complexe des normes issues de la communauté à laquelle il appartient.

La seconde origine de la pragmatique réside dans une autre série de conférences William James, données en 1967 par P. Grice(2). La théorie défendue par Grice repose sur une conception renouvelée de la communication, qui souligne son caractère essentiellement intentionnel. Lorsque nous échangeons des informations avec autrui à l'aide du langage, notre comportement signifie en un sens précis que nous voulons dire quelque chose, et notre acte d'énonciation manifeste alors ce vouloir dire, ou cette intention de communiquer un contenu de pensée. Tout échange d'information ne suppose pas une communication intentionnelle. L'espionnage permet par exemple à l'information de circuler entre une source et un interprète, sans que personne à la source n'en ait eu l'intention. Grice souligne cependant qu'une conversation normale présuppose non seulement l'existence d'une intention de communiquer de la part d'un locuteur, mais également l'identification de cette intention par son interlocuteur. L'acte d'énonciation doit donc toujours être compris, dans un cadre conversationnel, comme la manifestation d'une intention dirigée vers un certain contenu de pensée. Interpréter un énoncé dans une conversation revient ainsi à recouvrer l'intention de communication qui le motive. Du coup, l'interprétation des énoncés ne peut se réduire au décodage de l'information véhiculée par les signes linguistiques. Les phrases utilisées dans le contexte d'une conversation disent littéralement quelque chose, que l'on peut déterminer par décodage à partir des règles linguistiques fixées conventionnellement. Mais un locuteur peut vouloir dire bien plus que ce que disent littéralement les phrases qu'il utilise. La tâche d'un interprète est donc d'inférer le contenu complet de l'intention du locuteur à partir de la connaissance de la phrase qu'il a utilisée, mais aussi de connaissances portant sur les circonstances de son utilisation. Grice nomme « implicatures » les contenus inférés à partir de la signification littérale d'une phrase et d'informations contextuelles. Son programme théorique consiste en l'analyse des aspects non littéraux des énoncés, comme l'ironie, à l'aide de cette notion.

La pragmatique, conçue comme théorie de l'interprétation des énoncés en contexte, ne propose pas dans le cadre gricéen une théorie du langage qui serait en concurrence avec les théories classiques de la signification. Un rapport de complémentarité s'établit au contraire entre l'étude de la signification des phrases et celle du vouloir-dire des locuteurs(3).

Pascal Ludwig

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Austin, J.L., Quand dire c'est faire, Seuil, Paris, 1971.
  • 2 ↑ Grice, P., Studies in the Way of Words, Harvard University Press, Cambridge (MA), 1989.
  • 3 ↑ Sperber, D., et Wilson, D., la Pertinence, Minuit, Paris, 1989.

→ contexte, énoncé, implicature, indexicaux, performatif, pertinence, présupposition