postmodernisme
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Calque de l'anglais post-modernism.
Philosophie Générale, Philosophie Contemporaine
Courant philosophique de la seconde moitié du xxe s. pour lequel l'idée d'un progrès de la raison est à remettre en cause.
Courant philosophique venu de l'esthétique (de l'architecture en particulier) qui rejette certains postulats de la modernité, des Lumières, en particulier l'idée de progrès de la raison et de la science, l'humanisme et l'universalisme qui lui sont associés. Ainsi, pour Jean-François Lyotard, Auschwitz est « le crime qui ouvre la postmodernité »(1) puisque le prétendu progrès de l'humanité a aussi produit fascismes et totalitarismes. Le postmodernisme naît donc d'une certaine inquiétude politique et semble constituer une nouvelle forme de relativisme.
Elsa Rimboux
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Lyotard, J.-F., Le Postmodernisme expliqué aux enfants, Galilée, Paris, 1988.
- Voir aussi : Habermas, J., Le discours philosophique de la modernité, trad. R. Rochlitz et C. Bouchindhomme, Gallimard, Paris, 1988.
- Lyotard, J.-F., La condition post-moderne, Minuit, Paris, 1979.
Esthétique
Catégorie plus descriptive que conceptuelle, apparue à la fin des années 1960 pour caractériser une situation artistique en rupture avec le modèle historiciste du modernisme.
Parler de postmodernisme est une facilité de langage car l'on serait bien en peine de fournir un véritable contenu à cette notion qui se présente comme une mosaïque non unifiée de tendances disparates. Il s'agit plutôt d'une attitude culturelle née d'une réaction contre l'idéologie moderniste qui perpétuait le culte de l'avant-garde et l'autonomisation à outrance de l'acte artistique. En prenant le contre-pied de son obsession de la pureté formelle et définitionnelle, elle revendique donc pour l'art un statut fondamental d'impureté(1).
Ses premières manifestations interviennent en architecture, avec le livre-manifeste de Jencks(2) qui rejette le fonctionnalisme issu de Le Corbusier et le style dit international ; il revalorise en revanche les aspects symboliques et les héritages locaux. Le passé devient un répertoire de formes disponibles qui peuvent être conjointes ou hybridées à volonté ; création et réhabilitation se font de plus en plus interchangeables.
Y.-A. Bois(3) remarque opportunément qu'il convient de distinguer deux vagues distinctes et successives dans l'émergence d'un postmodernisme :
1. Une réaction minimaliste qui pousse à son terme le processus d'autodéfinition de l'art moderniste. Elle ne remet pas en cause le langage du formalisme (Judd, Ryman), mais le dissocie de toute réappropriation essentialiste à la Greenberg. Tout se passe en retour comme si la réduction moderniste s'était trouvée bloquée à une phase intermédiaire et figée dans le conformisme. Dans cette optique, le postmoderne marque avant tout ce que Lyotard appelle « l'incrédulité à l'égard des métarécits »(4), un processus de « délégitimation » qui rompt avec la prétention de parvenir à une vérité ou à un point de vue définitif. Il se manifeste en art par une volonté de le rapprocher de la nature et de la vie mais recouvre des formes très différentes selon les divers domaines considérés.
2. Une dissémination qui fait du style « une marchandise indifférente »(5). Quand bien même elle aussi dérive de la précédente, cette position s'en démarque à bien des égards par la pratique d'un éclectisme tous azimuts. Elle défend une esthétique du collage généralisé, de la citation réinvestie ou détournée, du jeu avec les références et les repères. Les combine-paintings de Rauschenberg (fin des années 1950) ou la Sinfonia de Berio (1968) en fournissent des illustrations exemplaires(6). La diversification n'a cessé de s'accentuer par le biais de tendances qui renouent avec la figuration quoique en des sens opposés (bad painting, pictura colta), font un usage ironique du modernisme (Halley, Taaffe), pratiquent l'appropriation critique (Sherman, Bidlo) ou mélangent à dessein les signifiants les plus disparates (des graffitis aux matériaux ethnologiques).
Le paradoxe du postmodernisme est de pratiquer la rupture avec la tradition à l'intérieur même d'un retour à la tradition. Telle est aussi sa limite : il « ne crée pas un monde, il maquille le monde de la modernité »(7).
Parfois associé au déconstructionnisme (Miller, Hartman, Norris) et à la thématique de la fin de l'histoire (Danto, Belting), le postmodernisme est une nébuleuse d'autant plus malaisée à appréhender qu'elle est à la fois multiforme dans son expression et dépendante du paradigme institutionnel encore dominant de l'« hyper-empirisme »(8). D'un point de vue marxiste, Jameson(9) n'y voit qu'un symptôme du déclin du capitalisme, la culture se réduisant au recyclage. D'un autre côté, l'abandon d'une perspective fondationnelle ne signifie pas qu'il n'y ait plus aucun critère ni besoin d'un apprentissage dans le jeu des affects ; il dresse plutôt le constat que l'âge démocratique, après avoir bouleversé les autres composantes sociales, transforme à son tour l'art en communication(10).
Jacques Morizot
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Scarpetta, G., l'Impureté, Grasset, Paris, 1985.
- 2 ↑ Jencks, C., le Langage de l'architecture postmoderne (1977), trad. Denoël, Paris, 1999.
- 3 ↑ Bois, Y.-A., « Modernisme et post-modernisme », Encyclopædia Universalis, Symposium, Les enjeux, t. I, Encyclopædia Universalis France, Paris, 1990, pp. 473-490.
- 4 ↑ Lyotard, J.-F., la Condition postmoderne, Minuit, Paris, 1979.
- 5 ↑ Bois, Y.-A., op. cit., p. 478.
- 6 ↑ Cf. Ramaut-Chevassus, B., Musique et postmodernité, PUF, Paris, 1998.
- 7 ↑ Chateau, D., l'Héritage de l'art. Imitation, tradition et modernité, Harmattan, Paris, 1998, p. 423.
- 8 ↑ Michaud, Y., l'Artiste et les commissaires, Jacqueline Chambon, Nîmes, 1989, pp. 13-16.
- 9 ↑ Jameson, F., Postmodernism or the Cultural Logic of Late Capitalism, Duke University Press, Durham, 1991.
- 10 ↑ Michaud, Y., Critères esthétiques et jugement de goût, chap. 2, Jacqueline Chambon, Nîmes, 1999.