pensée

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin pensare, formé sur pensum, supin de pendere, « peser », au sens matériel puis au sens de « peser dans son esprit », « mesurer ».

Philosophie Générale

Ce terme ambigu désigne tout à la fois l'état dont l'âme prend conscience en elle-même (la vie mentale au sens large) et sa production la plus haute.

Il revient à Descartes d'avoir saisi la pensée dans toute sa généralité, puisqu'elle désigne l'ensemble des modifications qui affectent l'âme, et qu'elle exprime sans réserve la nature de cette substance : je suis « une substance dont toute l'essence ou la nature n'est que de penser »(1). La thèse cartésienne implique, d'une part que les sentiments divers (et d'abord les sensations) sont des modes de la pensée et, d'autre part, que toute notre connaissance s'effectue par idées. Celles-ci, co-naturelles aux choses créées et à l'esprit qui connaît (c'est le sens de l'innéisme) composent le trésor à partir duquel peuvent se développer la science et les activités les plus dignes de l'homme. La pensée se trouve donc, corrélativement, élargie à toutes les modalités de l'apparaître, et orientée par l'exigence de la constitution d'une science certaine qui est de sa compétence, en vertu du statut représentatif de l'idée. Et ce n'est que sur le fond d'une élucidation préalable de sa propre nature qu'elle peut ainsi se développer pour atteindre les choses. La conception cartésienne de la pensée est donc fondatrice pour le rationalisme classique.

L'exigence d'approfondir le questionnement sur la ratio et le rationnel conduit Heidegger à l'affirmation scandaleuse que « la science ne pense pas »(2), qu'elle n'a pas conscience de ses propres présuppositions et que la pensée doit remonter en-deçà de la dimension de la représentation ou, plutôt, saisir cette dimension comme historiquement dérivée. Comprendre la mise en place des sciences modernes revient alors à comprendre la modernité elle-même, à travers la constitution de l'étant comme objet pour un sujet connaissant qui se le représente.

Est-il possible de saisir la pensée dans des expressions plus originaires ? C'est en ce sens que se développent les recherches tardives de Heidegger. Mais il faut aussi considérer les acquis d'une anthropologie positive, qui nous débarrasse du préjugé selon lequel la pensée logique et scientifique serait étroitement liée à la mise en place du sujet moderne (cartésien). Les travaux de Lévi-Strauss sur la pensée sauvage imposent d'admettre qu'il est essentiel au champ anthropologique de comporter une logique, puisqu'ils révèlent des invariants structuraux dans toutes les formations mythiques. Sous ce point de vue, la pensée sauvage n'est pas une pensée d'enfance mais, bien plutôt, la condition de toute pensée, préalablement aux formalismes plus avancés : « (...) cette exigence d'ordre est à la base de la pensée que nous appelons primitive, mais seulement pour autant qu'elle est à la base de toute pensée »(3).

André Charrak

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Descartes, R., Discours de la méthode, IVe partie, éd. Alquié, Garnier, Paris, 1988, p. 604.
  • 2 ↑ Heidegger, M., Qu'appelle-t-on penser ?, trad. Becker et Granel, PUF, Paris, 1999, p. 26.
  • 3 ↑ Lévi-Strauss, Q., La Pensée sauvage, Plon, Paris, 1962, p. 17.

→ cogito, idée, représentation




pensée (langage de la)

Philosophie de l'Esprit

→ langage