musique

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin musica, du grec mousikè, « art des Muses ».

Esthétique

Un des arts majeurs qui a pour matériau le son, mais dont la portée définitionnelle a largement dépassé le domaine de l'art et de l'esthétique tout au long de son histoire.

Englobant originellement le chant et la poésie, la musique s'est ultérieurement détachée de sa relation au domaine sémantique pour devenir, plus globalement, l'art des sons. Elle apparaît dès lors dans la duplicité de sa nature, traduisant une forme de tension qui ne s'est jamais démentie jusqu'à nos jours.

Avec Apollon ou Orphée, elle tend vers l'harmonisation des éléments, la conciliation des forces contraires et la modération. Elle favorise la catharsis et participe de la dimension de l'éthos. Pourtant, liée à la présence de Dionysos ou de Bacchus, la musique se fait également la complice de la fête orgiaque, du déchaînement des sens, du pathos. Inscrivant son jugement dans le sens d'une telle dualité, Platon s'inquiète des pouvoirs de la musique sur l'âme, tout en l'inscrivant par ailleurs dans l'éducation comme une discipline fondamentale, estimant par exemple que la peinture ou la fabrication est régie par les mêmes lois que le rythme musical(1). L'art des sons n'était pas seulement une part de l'instruction artistique, mais il était considéré comme un devoir, avec les implications morales que cela suppose. Selon la conception antique reprise au Moyen Âge, la musique faisait partie des sept arts libéraux, qui représentaient l'ensemble des arts et des sciences humaines : la grammaire, la rhétorique et la logique, concernant l'art de la parole, formaient le trivium, tandis que les quatre autres, arithmétique, géométrie, musique et astronomie, liés à la science des nombres, constituaient le quadrivium. Considérée comme le plus immatériel de tous les arts, la musique apparaissait comme un puissant moyen d'ascèse, utilisé plus particulièrement par les sages de l'Antiquité pour atteindre, par-delà la beauté des sons et l'harmonie des rythmes, la plénitude du silence.

À la suite des théories des pythagoriciens et de Platon, le traité De institutione musica, conçu au vie s. par le philosophe latin Boèce, fait des proportions numériques le phénomène générateur de la théorie musicale. Les proportions spatiales de la géométrie et celles, temporelles, de la musique répondent à une même nécessité intrinsèque. Ainsi les phénomènes, tant visuels que sonores, fondés sur les rapports numériques élémentaires, doivent-ils produire sur l'esprit une impression d'ordre et d'équilibre d'où découle un sentiment de plénitude et de concordance avec les lois de l'univers. Boèce distingue trois catégories de musique :
– la musica mundana, harmonie qui préside au mouvement des astres, à la succession des saisons, et qui sera volontiers désignée comme musique des sphères. Le terme doit se comprendre au sens que les Grecs donnent à la notion d'harmonie : les rapports de l'échelle musicale et non un hypothétique accord engendré par le mélange des vibrations produites par les astres en mouvement ;
– la musica humana, qui concerne l'équilibre du corps et de l'âme et vise un juste accord entre l'homme et le monde ;
– la musica instrumentalis, qui, au moyen de l'art et de ses instruments, sert à imiter la nature.

La danse fait elle-même partie de la « musica », musique destinée à être vue. L'entrecroisement d'activités considérées aujourd'hui comme distinctes est telle qu'on lit, dans un roman de J. Renart, qu'une dame se mit à chanter « de mains et de bras », c'est-à-dire à danser.

Tout au long de l'histoire des idées, la musique continuera à être explorée tout à la fois comme une science et comme un moyen privilégié de sonder et d'exprimer l'âme humaine. Avec le romantisme et le symbolisme, elle se révélera particulièrement apte à traduire émotions et sentiments et à incarner les multiples modalités du temps, dans ce que celui-ci peut avoir de plus éphémère.

Depuis le début du xxe s., avec la remise en question de l'ordre tonal qui avait régné depuis le xviiie s., les conceptions de la pensée musicale n'ont cessé de se diversifier, jusqu'à donner l'impression d'un ébranlement de tout système de valeurs pré-établi. Si certaines tendances, issues de la méthode dodécaphonique inventée par Schoenberg et du sérialisme, témoignent d'une quête de rigueur formelle d'une haute complexité et restent attachées au phénomène de l'écriture, d'autres, qui se servent des moyens de l'électroacoustique, cherchent plutôt à tirer parti des ressources des nouvelles lutheries et technologies en avançant une approche plus physique et plus concrète du son. On assiste donc aujourd'hui à la coexistence d'une pluralité de modes d'approche de la notion de musique qui inclut toutes les dimensions du sonore, de ses aspects les plus traditionnels – avec une réactualisation des principes de la tonalité et de la modalité, dont les fondements avaient été en grande partie mis entre parenthèses par les mouvements d'avant-garde – aux plus expérimentaux.

Après avoir été longtemps considère comme l'« art de combiner les sons agréables à l'oreille », le domaine d'investigation de la musique s'est peu à peu élargi et son champ d'action s'étend de nos jours à l'ensemble des phénomènes acoustiques, transgressant ainsi la discrimination entre les sons de hauteurs déterminées, produits traditionnellement par les instruments et les voix, et les bruits. En ce sens, le compositeur E. Varèse rejoint volontiers la définition de la musique avancée au xixe s. par le physicien, chimiste et philosophe H. Wronski : « la corporification de l'intelligence qui est dans les sons ».

Jean-Yves Bosseur

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Platon, République, III, 400-401, trad. R. Baccou, Flammarion, GF, Paris, 1966.
  • Voir aussi : Bosseur, J.-Y., Musique, passion d'artistes, Skira, Genève, 1991.
  • Massin, B., et J. (dir.), Histoire de la musique occidentale, Fayard, Paris, 1985.
  • Sabatier, F., Miroirs de la musique, la musique et ses correspondances avec la littérature et les beaux-arts, 2 vol., Fayard, Paris, 1995.

→ interprétation, musique, opéra




Comment la musique a-t-elle été un objet privilégié d'investigation philosophique ?

Les relations entre musique et philosophie s'ordonnent selon deux axes que la tradition philosophique associe dès l'Antiquité : d'une part, la musique (harmonie, rythme et mesure) est organisée selon des principes mathématiques qui occupent une place essentielle dans le champ de la connaissance rationnelle ; d'autre part, elle exerce une influence puissante sur l'affectivité humaine, qu'elle peut s'attacher à dompter – témoin le sens de l'apprentissage de la danse dans la République de Platon. Ainsi, selon Quintilien, « il faut pratiquer la musique et s'y former à fond, parce qu'elle est la principale associée, la principale compagne [...] de la philosophie »(1). Ces deux dimensions ne sont pas étrangères l'une à l'autre, ou simplement juxtaposées, même si on a l'habitude d'opposer une tradition qui met l'accent sur le fondement mathématique de la musique et une réflexion plus manifestement attachée au témoignage sensible de l'oreille, inspirée d'Aristote. Au fondement des philosophies anciennes de la musique se trouve l'idée que les mêmes causes formelles déterminent le rapport des sons et les affections morales : « Dans les rythmes et les mélodies, il y a des imitations qui se rapprochent extrêmement de la nature véritable d'émotions telles que colère et douceur, courage et modération, avec tous leurs contraires, et les autres qualités morales. »(2) Par extension, l'affirmation du statut métaphysique de la musique repose sur l'idée (récusée par Aristote) que les mêmes rapports mathématiques dont les effets s'éprouvent en musique organisent tous les domaines de la création.

L'harmonie et la science

L'évolution du paradigme de l'harmonie est liée à l'orientation pratique de plus en plus affichée dans les traités de théorie musicale et aux changements qui affectent la place de la musique dans la classification des sciences. Dans le quadrivium, qui fixe le programme d'une philosophie naturelle, la musique est mise sur le même plan que l'astronomie ; elle définit la discipline mathématique mixte subalterne à l'arithmétique (science de la quantité discrète), qui donc en fournit les principes, de même que l'astronomie est subalterne à la géométrie (qui s'applique à la quantité continue). À la fin du xvie s., plusieurs courants convergent pour rejeter le statut métaphysique du nombre et considérer, avec les nominalistes, qu'il n'est qu'une abstraction de l'esprit, relative à une réalité qui, seule, peut être reçue pour cause effective des phénomènes entre lesquels on affirme une authentique cognatio, une parenté, et non une simple affinitas. Il revient à Kepler d'assumer pleinement ce réaménagement au terme duquel la musique spéculative est fondée dans la géométrie. De cette manière, il est possible d'expliciter, dans chaque ordre, l'harmonie qui exprime la sagesse du Créateur, dont l'entendement contient les archétypes des figures géométriques.

Avec Beeckman, Galilée et Mersenne, la géométrisation de la musique signifie surtout une mathématisation effective du phénomène musical (réduit à la considération des hauteurs), qui permet d'en rationaliser les propriétés élémentaires, en particulier la théorie de la coïncidence des coups qui explique la consonance par le rapport des vibrations, et non par les propriétés mystiques ou magiques des nombres et des figures. L'orientation de ces traités devient pratique : produire les lois physico-mathématiques d'une correspondance réglée entre les affectiones (les propriétés du son) et les affectus (les passions) qui animent l'auditeur. La philosophie ne s'applique plus à la musique dans le dessein d'y déchiffrer une expression privilégiée de l'ordre du monde, mais pour en expliquer les effets sensibles ; selon la définition typique retenue par Descartes, « sa fin est de plaire, et d'émouvoir en nous des passions variées »(3). Le fait de privilégier ainsi l'examen des effets de la musique répond à des préoccupations esthétiques et impose de comprendre la musique au sein d'une anthropologie, qui comporte une théorie du langage. La fin de la musique s'identifie, en effet, avec l'imitation et la communication des passions, qui s'expriment d'une façon privilégiée dans les inflexions de la voix humaine.

L'expression des passions

Les théoriciens de l'âge classique réfléchissent un mouvement initié au xvie s., qui associe une critique de la polyphonie franco-flamande et une promotion de la monodie accompagnée, liée à l'apparition de l'opéra. Ainsi se trouvent unies l'exigence d'une élucidation (assumée par Rameau au xviiie s.) des principes d'une harmonie fortement structurée (qui libère ainsi les possibilités mélodiques) et l'affirmation d'une subordination de la musique au poème (et, d'abord, au livret d'opéra), qui constitue une première expression de la passion. Monteverdi énonce cette seconde exigence dans une formule essentielle qui, au fond, commande les philosophies de la musique jusqu'à la fin du xviiie s. : « Le texte doit être le maître de la musique et non son serviteur. » Ce principe commande le célèbre lamento d'Arianna, où Monterverdi affirme avoir retrouvé les principes des Anciens sur l'imitation des affects. Les débats qui, au siècle des Lumières, agitent les philosophes, engagent précisément les conditions selon lesquelles il est possible de réaliser une union intime de la musique et du texte poétique. C'est ainsi que les attaques de Rousseau contre la musique française culminent dans la discussion du fameux monologue de l'Armide de Lully – « Enfin il est en ma puissance » –, où la musique n'est pas si étroitement liée au poème qu'il serait possible d'en saisir le sens sans recourir aux paroles ; il s'agit là d'une sorte d'expérience cruciale, qui dénonce le défaut de la musique française : « Si l'on s'avisait d'exécuter la musique de cette scène sans y joindre les paroles, sans crier ni gesticuler, il ne serait pas possible d'y rien démêler d'analogue à la situation qu'elle veut peindre ni aux sentiments qu'elle veut exprimer. »(4). Le problème de la philosophie moderne, lorsqu'elle s'applique à la musique, est donc de produire une anthropologie des passions qui rende compte de leur manifestation privilégiée dans le langage pour identifier, sur cette base, l'expression musicale avec l'imitation des affetti définis dans le poème. Comme le montre Rousseau, il appartient au récitatif de restituer l'expression passionnée qui, en amont, anime le chant comme la déclamation, autrement dit, de faire fond sur les ressources potentiellement musicales dont une langue est porteuse.

Aussi le problème esthétique majeur des philosophies de la musique dans la seconde moitié du xviiie s. est-il de penser l'expression musicale en évitant de la subordonner totalement aux paroles et, plus largement, au modèle de l'imitation, car les formes instrumentales (la sonate, en particulier) se diffusent déjà depuis plusieurs décennies. Cette difficulté dépasse en réalité son inscription strictement classique, puisqu'elle engage la définition de ressources « expressives » proprement musicales, qui mériteraient le titre de symbole ; la musique possède une syntaxe et une grammaire, mais, comme le soulignera Lévi-Strauss, il lui manque l'équivalent des mots. Il s'agit donc de penser, dans sa dimension expressive, la spécificité du symbole musical qui, comme le montre Langer(5), « s'autoprésente », au lieu que le symbole linguistique ne vaut que comme renvoi vers ce qu'il désigne.

L'autonomie de la musique

Comment la philosophie a-t-elle thématisé la spécificité de l'expression musicale ? Cette question relève autant de l'esthétique qu'à nouveau (et dans un premier temps) de la métaphysique. D'un point de vue esthétique, l'idée d'une autonomie de la musique impose qu'elle ne soit plus simplement comprise à l'intérieur d'une hiérarchie des beaux-arts. Comme l'atteste la contribution fondamentale de Schopenhauer, les autres arts objectivent, d'une manière plus ou moins immédiate (ce qui permet de les hiérarchiser), la volonté, en recourant à l'intermédiaire ou à la médiation que constituent les Idées ; ils se fondent sur les forces en jeu dans le monde, qu'ils représentent ou répètent. La musique, au contraire, ne renvoie à rien de ce qui se représente dans le monde, mais à la volonté elle-même : « La musique [...] est une objectivité, une copie aussi immédiate de toute la volonté que l'est le monde, que le sont les Idées elles-mêmes. [...] Elle n'est donc pas, comme les autres arts, une reproduction des Idées, mais une reproduction de la volonté au même titre que les Idées elles-mêmes. »(6). Il en découle deux conséquences fortes.

D'une part, la musique est définitivement détachée du modèle de l'« imitation » des affections, qui prévalait depuis Monteverdi, puisqu'« elle n'exprime jamais le phénomène, mais l'essence intime, le dedans du phénomène, la volonté même. Elle n'exprime pas telle ou telle joie, telle ou telle affliction [...]. Elle peint la joie même, l'affliction même, et tous ces autres sentiments pour ainsi dire abstraitement. » Dès lors, Schopenhauer change l'objet privilégié des philosophies de la musique ; l'opéra n'est plus qu'une forme dérivée de l'expression musicale : « On voit par là que les paroles du chant et le libretto de l'opéra ne doivent jamais oublier leur subordination pour s'emparer du premier rang, ce qui transformerait la musique en un simple moyen d'expression. » Cette position s'accentuera dans les textes ultérieurs, où il sera établi que la musique « se développe sans [le texte] beaucoup plus librement » ; elle « se meut librement dans le concerto, dans la sonate et avant tout dans la symphonie, qui est sa plus belle arène »(7). Les textes de Schopenhauer dépassent ainsi leur inscription romantique pour dégager la possibilité d'une étude formelle du beau musical, qui occupera Hanslick(8) quelques années plus tard.

D'autre part, l'autonomie philosophique de la musique passe par la reconquête d'une dimension cosmologique que l'anthropologie des classiques avait provisoirement recouverte. Si la musique représente non point les Idées, mais la volonté même qui les constitue, il faut considérer qu'elle se trouve en quelque sorte mise sur le même plan qu'elles, selon une parenté non phénoménale, mais bien ontologique : « Il doit exister non pas une ressemblance directe, mais cependant un parallélisme, une analogie entre la musique et les Idées, dont les phénomènes multiples et imparfaits forment le monde visible. »(9).

La musique et le mythe

Le privilège accordé à la musique sur les autres arts (en particulier, sur les arts plastiques) de viser la chose en soi, la volonté en deçà de tout phénomène, s'accomplit, avec Nietzsche, dans une portée métaphysique de l'oreille, qui donne accès à l'être des choses : « La véritable musique dionysienne se présente à nous comme le miroir de la volonté universelle : l'événement qui se reflète en lui s'amplifie aussitôt pour notre sentiment jusqu'à devenir l'image d'une vérité éternelle. »(10). L'intuition fondatrice n'est plus une vision, mais le privilège de l'écoute, selon le témoignage de Schiller : « L'état qui prélude chez lui à l'acte poétique ne consiste pas dans la vision d'une série d'images, liées à un enchaînement rigoureux de pensées, mais bien plutôt à un état d'âme musical. »(11). L'un des enjeux de la Naissance de la tragédie est alors de dégager deux expériences fondamentales de la contradiction à travers les figures d'Apollon et de Dionysos. Apollon construit l'apparence éternelle (l'image médiate), qui triomphe de la souffrance de l'individu, tandis que Dionysos reproduit la contradiction pour la résoudre dans un plaisir supérieur (il atteint, dans la musique, l'image immédiate du vouloir ou son symbole) : « Il existe une violente opposition, non seulement sous le rapport de l'origine mais aussi sous celui de la fin, entre l'art du sculpteur, art apollinien, et l'art non sculptural de la musique, qui appartient à Dionysos. »(12). Ce fut la tâche de la tragédie attique de surmonter cette contradiction, dans une alliance où domine Dionysos (où le chœur, donc, est déterminant). Nietzsche dédie cet ouvrage à Wagner, parce qu'il pense que le drame moderne assume la renaissance de l'art authentique ; mais il reconnaît ensuite, dans le livret wagnérien, le symptôme d'un renoncement maladif au pouvoir de la musique : « La musique pure est la seule musique légitime et la musique dramatique doit être aussi de la musique pure. »(13). L'art de Dionysos s'oppose donc à une musique simplement imitative, qui est liée à l'essor de la rationalité scientifique : « Il nous faut [...] découvrir le point où l'esprit scientifique entre en conflit avec la fécondité mythique de la musique. »(14). L'interprétation nietzschéenne comporte une dimension historique essentielle qui, par la négative, dégage probablement la tâche contemporaine d'une philosophie de la musique : l'esprit de la musique sous-tend le mythe et se tarit lorsqu'il s'en retire ; mais il est sans doute requis, pour penser les avant-gardes, de relire l'évolution du langage musical comme une émancipation par rapport à la pensée mythique.

Vers une explicitation du matériau musical

La question des rapports entre musique et philosophie au xxe s. porte en effet, pour une bonne part, sur les conditions d'une prise de conscience effective des possibilités du « matériau » (qui se sont étendues d'une façon spectaculaire) et sur les limites compositionnelles qui en découlent. Si l'on considère, par exemple, que l'atonalité n'engage pas seulement un certain régime des hauteurs, mais une nouvelle façon de traiter les timbres, qui réalise une réforme de l'orchestration(15), alors il faut admettre que la rationalité moderne et, plus précisément, les modèles mathématiques et les techniques de traitement du signal jouent un rôle essentiel dans l'enrichissement du matériau musical. La dimension critique des philosophies de la musique consiste alors à montrer que le compositeur n'est pas libre de choisir son matériau, car celui-ci obéit à une logique historique et exerce une véritable contrainte(16). Le progrès du matériau et l'affranchissement par rapport aux conventions valent alors comme critères pour apprécier l'œuvre de Schoenberg (contre Stravinsky). S'il est clair que la nature s'efface peu à peu devant le processus d'Aufklärung que connaît le matériau, la rationalité esthétique objective qu'Adorno appelle de ses vœux réclame en même temps le moment d'une mimesis, d'une « affinité élective entre connaissant et connu »(17) qui, au fond, désigne l'épreuve du donné dans l'art.

André Charrak

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Quintilien, La musique, livre III, chap. IX, trad. F. Duysinx, Droz, Genève, 1999.
  • 2 ↑ Aristote, Politique, VIII, 5, 1340 a, 16-25, trad. Tricot, Vrin, Paris, 1987.
  • 3 ↑ Descartes, R., Abrégé de musique, éd. nouvelle et trad. F. de Buzon, PUF, Paris, 1987.
  • 4 ↑ Rousseau, J.-J., Lettre sur la musique française, in Œuvres complètes, Gallimard, Paris, t. 5, 1995.
  • 5 ↑ Langer, S., Philosophy in a New Key : a Study in the Symbolism of Reason, Rite and Art (1942), Harvard UP, Cambridge, 1979.
  • 6 ↑ Schopenhauer, A., Le Monde comme volonté et comme représentation, livre III, § 52, trad. A. Burdeau, PUF, Paris, 1966.
  • 7 ↑ Schopenhauer, A., Parerga et Paralipomena, dissertation III, « Esthétique et métaphysique du beau », trad. A. Dietrich, Librairie générale française, Paris, 1986.
  • 8 ↑ Hanslich, E., Du beau en musique, « essai de réforme de l'esthétique musicale » (1854), trad. C. Bannelier, revue par G. Pucher, Christian Bourgois, Paris, 1986.
  • 9 ↑ Schopenhauer, A., Le Monde comme volonté et comme représentation, livre III, § 52, trad. A. Burdeau, PUF, Paris, 1966.
  • 10 ↑ Nietzsche, Fr., La Naissance de la tragédie (1872), § 17, in Œuvres philosophiques complètes, t. I, Gallimard, Paris, 1971.
  • 11 ↑ Ibid., § 5.
  • 12 ↑ Ibid., § 1.
  • 13 ↑ Nietzsche, Fr., « Richard Wagner à Bayreuth », trad. G. Bianquis (1986), in Considérations intempestives (III & IV), Aubier Montaigne, Paris, 1976.
  • 14 ↑ Nietzsche, Fr., La Naissance de la tragédie, § 17, in Œuvres philosophiques complètes, I, trad. P. Lacoue-Labarthe, Gallimard, Paris, 1977.
  • 15 ↑ Dufourt, H., Musique, pouvoir, écriture, partie III, Christian Bourgois, Paris, 1991.
  • 16 ↑ Adorno, Th., Philosophie de la nouvelle musique (1949), trad. H. Hildenbrand et A. Lindenberg, Gallimard, Paris, 1962.
  • 17 ↑ Adorno, Th., Dialectique négative, Payot, Paris, 1978.

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