faux
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Du latin falsus, de fallere, « tromper ».
Logique, Philosophie Cognitive
Le contraire du vrai, ou : ce dans quoi le vrai manque.
Ainsi défini le faux suppose que son contraire, le vrai, soit lui-même intuitivement évident comme ce qui n'implique pas contradiction. Aristote recherche dans l'apophantique formelle ce que nul autre assemblage de propositions (rhétorique, poésie) ne peut donner : le logos apophantikos peut être dit vrai ou faux du point de vue de la mécanique syllogistique qui l'exhibe. Ainsi le syllogisme :
Tous les hommes sont martiens
Aucun homme n'est vert
Aucun martien n'est vert
est vrai du point de vue de la forme (syllogisme de deuxième figue en Camestres selon la terminologie médiévale) quoique toutes ses propositions, prises une à une, se présentent comme douteuses ou très éloignées de ce que l'on nomme le vrai. Aristote lui-même, dans les Analytiques Seconds, reconnaît que l'apophantique ne suffit pas pour satisfaire à toutes les exigences de rigueur dans la connaissance de la phusis. Le syllogisme scientifique(1) est une forme spéciale du syllogisme dans laquelle la vérité ou la fausseté des parties de la démonstration pèse sur la vérité ou la fausseté de la conclusion.
Chez Descartes c'est le corps et l'imagination qui sont seuls capables d'introduire le faux dans l'enchaînement des intuitions vraies et simples qui constitue le socle de la chaîne d'évidences par où un sujet s'approprie les objets qui sont soumis à son attention. En ce sens le faux est bien une inadéquation constatable entre l'intellectus et la res, selon une définition qui prend son origine dans les catégories de la logique médiévale, mais cette inadéquation est immédiatement saisissable pour un esprit attentif : comme lorsque, dans des calculs, l'erreur et la fausseté se glissent dans un raisonnement et peuvent être trouvés par l'emploi de la décomposition analytique qui fait toute la méthode. Dans l'erreur, ni l'entendement ni la volonté ne sont en cause : c'est la manière dont nous usons de ces facultés qui est à l'origine d'un jugement faux librement produit(2). Plus profondément, chez Descartes, l'innocence foncière de l'entendement ne peut être appliquée à la façon dont nous usons de nos sens : un corps inséré dans une nature y reçoit un certain nombre de leçons et d'impressions qui, contrairement aux idées, peuvent contenir le faux et attiser le désir pour des objets trompeurs(3). Une fois de plus le faux s'introduit dans un processus qui est, par bien des aspects, inadéquat, car la production d'un jugement issu des impressions sensibles n'est en aucun cas imputable à une fausseté qui serait originairement imputable à l'esprit. Dans la perspective classique en général, le vrai constitue la marque de l'esprit et le faux en est une négation dont l'origine est une cause extérieure au règne des idées.
Le faux est donc pour les doctrines classiques bien autre chose que le produit de l'ignorance et on peut dire que paradoxalement, pour ces logiques d'entendement, le vrai et le faux sont les deux faces d'une unique pièce de monnaie(4). Cette image hégélienne caractérise la pensée abstraite qui place le vrai et le faux dans un rapport simple, non devenu, de négation. Selon Hegel, au contraire, le concept ne peut se satisfaire d'une telle pensée en arrêt : le faux est un travail du négatif dans lequel toute effectivité séjourne pour y découvrir ses propres contradictions. Le faux est la découverte d'un point de vue sur le Soi que le Soi ignorait et qui le plonge dans la scission et le déchirement. Les figures dialectiques qui illustrent ce passage sont innombrables dans la philosophie hégélienne : ainsi la contradiction qui frappe la figure la plus primitive (la conscience sensible immédiate) lorsqu'elle découvre que ce qu'elle est (et qui est tout entier contenu dans sa perception immédiate) n'est ni le jour, ni la nuit, ni le maintenant, ni l'après, mais bien tous ces moments dans lesquels elle passe et devient dans le processus de réalisation qui constitue son chemin vers la conscience de soi.
Certes, la logique classique ne peut se défaire du principe d'identité (A=A) et elle ne peut admettre la figure logique induite par le mouvement des essentialités au sens hégélien (¬A implique A). Mais l'enseignement hégélien demeure : pour une pensée qui doit avoir des processus dialectiques comme objets, et non pas de pures relations d'entendement fondées dans l'identité ou dans le tiers-exclus, la contradiction, le faux sont des moments où s'opèrent les déterminations c'est-à-dire la reconnaissance des limites internes qu'un savoir voudrait relever, dépasser, sursumer par le concept.
Fabien Chareix
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Aristote, Seconds Analytiques, Vrin, Paris, 1973, I, 2, pp. 7 et suiv.
- 2 ↑ Descartes, R., voir en particulier les Méditations métaphysiques, Méditation Quatrième, Flammarion, Paris, 1979 (éd. Michelle et Jean-Marie Beyssade).
- 3 ↑ Descartes, R., op. cit., « Méditation Sixième ».
- 4 ↑ Hegel, G.W.F., Préface à la Phénoménologie de l'esprit, Aubier, Paris, 1966.