erreur
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Du latin error, errare, « aller çà et là, se fourvoyer ».
Alors que l'erreur, dans la tradition philosophique, ne peut se définir indépendamment de son symétrique, la vérité, ce couple conceptuel tend à perdre de sa pertinence dans l'épistémologie du xxe s.
Psychologie, Logique, Épistémologie
Conformément à la définition aristotélicienne du faux, affirmation de ce qui n'est pas qu'il est ou de ce qui est qu'il n'est pas. L'erreur surgit lorsque la fausseté est prise pour la vérité. Toutefois, l'erreur n'est pas seulement un accident qui, avec plus de soin, pourrait être évité, mais aussi un moment de la vérité.
L'erreur comme illusion : l'illusion perceptive
La connaissance sensible, acquise par les sens a été, dès l'Antiquité, objet de critique. Comment, en effet, nous assurer que les sens saisissent les choses telles qu'elles sont ? À quelles conditions la perception est-elle fiable ?
La perception sensible est source d'illusion, puisque, par exemple, les mêmes objets se montrent courbés aussi bien que droits, selon qu'ils sont vus dans l'eau ou hors de l'eau(1). Cette apparence est moins une erreur qu'une illusion. Ce qu'on appelle « illusion » ou « tromperie des sens » repose sur un « faux pas de la faculté de juger »(2). Les sens ne se trompent pas. L'erreur ne vient pas des sens, mais de l'entendement, c'est-à-dire du fait que nous jugeons. Parce que les sens ne jugent pas, l'erreur est imputable au seul entendement. Il n'y a pas d'erreur des sens, mais seulement une illusion, une apparence sensible ou empirique. L'erreur, au même titre que la vérité, a son lieu dans le jugement.
Erreur et confusion
Un jugement erroné est « un jugement qui confond l'apparence de la vérité avec la vérité elle-même »(3) Les erreurs naissent alors soit de l'ignorance, soit du fait que nous entreprenons de juger, quand bien même nous ne savons pas encore tout ce qui est exigé pour cela(4). Dans le premier cas, il s'agit moins d'une ignorance absolue que le fait de tenir pour présent ou existant ce qui ne l'est pas. Ainsi, « l'âme n'est point dans l'erreur en tant qu'elle imagine, mais bien en tant qu'elle est privée d'une idée excluant l'existence des choses qu'elle imagine comme présentes »(5). Par exemple, quand nous contemplons le soleil, nous nous imaginons qu'il est éloigné de nous d'environ deux cents pieds. Or, cette erreur ne consiste point dans le seul fait d'imaginer une pareille distance ; elle consiste en ce que, au moment où nous l'imaginons, nous ignorons la distance véritable et la cause de celle que nous imaginons. Par conséquent, la fausseté des idées consiste dans la privation de connaissance qu'enveloppent les idées inadéquates, c'est-à-dire les idées mutilées et confuses(6).
L'erreur ne vient donc ni de l'entendement ni de la sensibilité ou de l'imagination – car les imaginations de l'âme considérées en elles-mêmes ne contiennent rien d'erroné(7) ± mais de l'influence de la sensibilité ou de l'imagination sur l'entendement(8). L'erreur la plus grande se produit lorsque certaines choses présentes à l'imagination sont aussi dans l'entendement, c'est-à-dire lorsque ces choses sont conçues clairement et distinctement et que le distinct se mêle au confus. La certitude, c'est-à-dire l'idée vraie, est indissociable des idées non distinctes. Nous évitons cette erreur, en nous efforçant d'examiner toutes nos perceptions selon la norme de l'idée vraie donnée, nous gardant, comme nous l'avons dit au commencement, des idées qui nous viennent par ouï-dire ou par expérience vague, c'est-à-dire par une expérience qui n'est pas déterminée par l'entendement, mais qui s'est offerte fortuitement à nous sans jamais avoir été contredite par aucune autre(9).
Dans ce cas et en termes kantiens, l'erreur consiste à tenir pour objectives des raisons simplement subjectives, et, en conséquence, à confondre la simple apparence de vérité avec la vérité elle-même(10), autrement dit à tenir pour vraie une connaissance qui est fausse. L'entendement est ainsi abusé, en raison d'un manque d'attention par lequel la sensibilité en vient à l'influencer. Toutefois, l'erreur dans laquelle tombe alors l'entendement humain est seulement partielle. « Une erreur totale constituerait un état d'antagonisme complet à l'encontre des lois de l'entendement et de la raison. »(11). Ainsi, dans tout jugement erroné doit toujours se trouver une part de vérité.
L'erreur de logique
Ce n'est que lorsque l'entendement s'exerce à l'encontre de ses propres règles, notamment à l'encontre du principe d'identité, du principe de non-contradiction et du principe du tiers-exclu, que l'erreur en affecte son usage. Cette loi, étendue aux théories scientifiques, consistant en des systèmes de propositions, permet d'établir que l'erreur est non-consistance, et la vérité, non-contradiction. Une théorie scientifique est consistante, lorsque, à partir de ses axiomes et de ses notions primitives, on ne déduit pas de propositions contradictoires.
Ces critères de vérité, et, réciproquement, de l'erreur et de la fausseté, ne sont toutefois que des critères formels, n'affectant que la forme de la pensée et ses lois, ainsi que les règles de la logique. Or, « une connaissance a beau être tout à fait conforme à la forme logique, c'est-à-dire ne pas se contredire elle-même, elle peut cependant toujours contredire l'objet »(12).
La recherche d'un critère universel de la vérité matérielle, c'est-à-dire de l'accord d'une connaissance avec son objet, est contradictoire, puisqu'il ne pourrait être identifié qu'à condition de faire abstraction du contenu de la connaissance, alors même que la vérité a précisément trait au rapport à l'objet.
Erreur et épistémologie
Ainsi, P. Duhem établit, dans le domaine des sciences physiques, qu'« une théorie fausse [...] n'est pas une tentative d'explication fondée sur des suppositions contraires à la réalité », mais « un ensemble de propositions qui ne concordent pas avec les lois expérimentales »(13).
Dans ce cadre, une hypothèse scientifique est retenue, lorsqu'elle est confirmable et réfutable par l'expérience, dans le cadre de procédures de validation externe. L'opposition de la vérité et de l'erreur se brouille, puisqu'une telle hypothèse n'est pas pour autant vraie, mais seulement satisfaisante, parce que corroborée. Il n'y a alors d'erreur qu'en rapport à des procédures de validation externe.
Contre l'approche positiviste selon laquelle le critère de la réfutabilité par l'expérience est le signe de l'erreur, K. Popper forge le concept de falsifiabilité. « Un énoncé, ou une théorie, est, selon [ce] critère, falsifiable si et seulement si il existe au moins un falsificateur potentiel, autrement dit un énoncé de base possible qui soit en contradiction logique avec lui. »(14). La falsifiabilité établit ainsi la scientificité d'une théorie.
Néanmoins, aucune procédure expérimentale ne permet de dire si une théorie physique est structurellement vraie ou conforme à la réalité, car on n'en teste jamais directement les axiomes ou les principes, mais seulement leurs conséquences. L'expérience ne suffit pas à départager les théories, même si elle suffit, dans un certain nombre de cas, pour réfuter une théorie. Le couple conceptuel erreur-vérité tend donc, en épistémologie, à être abandonné au profit des notions de confirmation ou d'infirmation d'un énoncé ayant la forme d'une loi, par des expériences, au sein de conditions précisément établies.
Caroline Guibet Lafaye
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Platon, République, X, 602 c.
- 2 ↑ Kant, E., Critique de la raison pure, Édition de l'Académie de Berlin, Berlin, tome IV, p. 236.
- 3 ↑ Kant, E., Logique, Introd., VII ; Édition de l'Académie de Berlin, Berlin, tome IX, p. 53.
- 4 ↑ Kant, E., Recherches sur l'évidence des principes de la théologie naturelle et de la morale, 3e Considération, § 2, Gallimard, La Pléiade, t. I, p. 238 ; Édition de l'Académie de Berlin, Berlin, tome II, pp. 292-293.
- 5 ↑ Spinoza, B., Éthique, II, 17, scolie.
- 6 ↑ Ibid., II, 35.
- 7 ↑ Ibid., scolie de II, 17.
- 8 ↑ « Il faudra donc chercher l'origine de toute erreur seulement et uniquement dans l'influence inaperçue de la sensibilité sur l'entendement » (Kant, E., Logique, introduction, VII ; Édition de l'Académie de Berlin, tome IX, pp. 53-57).
- 9 ↑ Spinoza, B., Traité de la réforme de l'entendement, § 12.
- 10 ↑ Kant, E., Logique, introduction, VII ; Édition de l'Académie de Berlin, Berlin, tome IX, p. 54.
- 11 ↑ Loc. cit., Édition de l'Académie de Berlin, tome IX, p. 55.
- 12 ↑ Kant, E., Critique de la raison pure, t. III, éd. de l'Académie, p. 80.
- 13 ↑ Duhem, P., la Théorie physique, chap. II, Vrin, Paris, 1997, p. 26.
- 14 ↑ Popper, K.R., le Réalisme et la Science, Hermann, Paris, 1990, p. 2.