empirique

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du grec empirikos, nom que se donnaient les membres d'une école médicale du iie s. qui restreignaient le champ des connaissances aux seules observations.

Philosophie Générale, Épistémologie

1. Ce qui se limite à des observations ou en provient sans élaboration véritable. – 2. Ce qui se fonde sur l'expérience sensible. – 3. Ce qui est connu au moyen de l'expérience.

1. Les savoirs empiriques, acquis grâce à la pratique, ne réclament, dit-on, que répétition et mémoire. En ce sens, « empirique » sert principalement à distinguer, parmi les connaissances que nous tirons de l'expérience, ce qui est produit de façon spontanée ou sans grande réflexion de ce qui résulte d'une véritable élaboration intellectuelle. Empirique s'oppose alors (1) à scientifique : un savoir empirique n'est pas une connaissance scientifique ; (2) à systématique : avoir une connaissance empirique de x n'est pas avoir une théorie de x ; (3) à expérimental : méthode expérimentale contre méthode empirique, la première élaborant des dispositifs complexes pour obtenir des données bien déterminées, la seconde généralisant à partir d'observations faisables par tous. (« Méthode empirique » a aussi d'autres sens : a) façon de faire issue de la pratique, b) méthode générale des sciences empiriques.)

2. Synonyme de « a posteriori », « empirique » s'applique, à la base, à des assertions. Un jugement est empirique s'il faut faire appel à l'expérience sensible pour établir sa vérité ou sa fausseté ou pour, plus modestement, justifier rationnellement le fait de le tenir pour vrai ou pour faux. Il est a priori dans le cas contraire. Cette dichotomie s'étend aux théories et aux disciplines. Les théories (systèmes d'énoncés) sont empiriques si elles peuvent être justifiées ou réfutées par l'expérience, c'est-à-dire si elles ont comme conséquences des énoncés particuliers (des prédictions) que l'expérience sensible peut confirmer ou infirmer, par exemple : « il y aura une éclipse de soleil à... le... ». Et les disciplines dont les théories sont empiriques le sont elles aussi.

Une deuxième signification, subordonnée à cette première, est : ce qui a sa source dans l'expérience sensible. Ce double sens – l'un relatif à la justification (2a), l'autre à l'origine (2b) – s'explique par le lien existant à l'époque moderne entre théorie de la connaissance et théorie des sources de connaissance. Entendu de cette façon, empirique peut s'appliquer à toutes sortes de contenus : concepts, intuitions, etc. Kant opposait, ainsi, concepts empiriques et concepts purs (tirant tout leur contenu de l'entendement), sensible empirique et sensible pur, matériau empirique de l'expérience (les sensations) et formes a priori, etc.

Au sens 2b sont attachées deux difficultés :
1) La nécessité de lever l'ambiguïté entre deux compréhensions possibles, l'une renvoyant à un ordre psychogénétique, l'autre à un ordre logique. La formation d'un contenu – le nombre 2 – peut être provoquée par une expérience adéquate (voir des couples) et ce contenu peut résulter cependant d'une autre source (formes a priori, par exemple), étant donné une certaine analyse de ce contenu et de ce qu'il présuppose. Cette différence, sans objet dans le cas de l'empirisme classique, est essentielle chez un Leibniz ou un Kant.
2) L'existence d'un décalage entre la nature d'un jugement et celle de ses composants. Un jugement ne comprenant que des concepts a priori doit être lui-même, peut-on supposer, vrai ou faux a priori. La réciproque, par contre, est certainement fausse : « il pleut ou il ne pleut pas » ou « les corps sont étendus », vrais a priori, selon Kant, comprennent des concepts empiriques.

Ces difficultés montrent qu'une articulation des sens 2a et 2b ne va pas de soi, même dans la philosophie classique. Dans les années 1930, avec le néopositivisme, la recherche d'une telle articulation est abandonnée ; au contraire, on fait valoir la nécessité de séparer « contexte de justification » et « contexte de découverte ».

En contexte de justification, « empirique » ne renvoie pas à tout le domaine de l'expérience sensible (de nombreux sens existent : proprioception, sens interne nous permettant de percevoir nos propres états mentaux, etc.). Le fait que, scientifiquement, seul ce qui peut être vérifié par n'importe quel observateur semble devoir valoir de plein droit, ajoute une contrainte supplémentaire. La question d'exclure certains sens ou de pondérer leur valeur se pose. Une restriction aux cinq sens habituels semble aller de soi dans beaucoup de cas, mais pas dans tous. Quel statut la psychologie, comme science empirique, doit-elle accorder à l'introspection ?

L'idée d'une distinction nette, fondée en droit, entre empirique et a priori (ou formel, ou rationnel, ou conventionnel) est, par ailleurs, plusieurs fois mise à mal au cours du xxe s., ce qui aboutit à un certain brouillage de cette séparation. Ainsi, dans le cadre de son conventionnalisme, Poincaré conserve la distinction entre loi empirique et principe (seules les premières sont approximatives, révisables et directement dépendantes de l'expérience), mais il lui retire sa valeur absolue : en montrant que la séparation entre les deux relève, en partie, de choix conventionnels, il la rend relative à une certaine théorie physique. Et, Quine, remettant en cause la distinction analytique-synthétique, aboutit à la conclusion que la science est semblable à un tissu où les fils conventionnels et les fils empiriques s'entrelacent de telle manière qu'aucun morceau ne peut être dit purement conventionnel ni purement empirique.

3. « Empirique » ne s'applique pas seulement à la connaissance et à son expression, mais aussi, de façon dérivée, à ses objets. Ainsi, on qualifiera d'« empiriques » les entités connaissablés par les sens, pour les démarquer de celles, mathématiques ou autres, qui réclament des moyens différents ou supplémentaires : induction, abstraction, intuition, etc.

Françoise Longy

→ a priori / a posteriori, expérience