contrat social

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin contrahere, lier avec.

Politique

Application de la notion de contrat par laquelle une ou plusieurs personnes s'obligent réciproquement sur certaines questions explicitement prescrites – la société civile, constituant, à l'âge classique, le fondement idéal du droit politique.

Il revient aux écoles hellénistiques d'avoir introduit cette notion dans le champ de la philosophie politique (elle est absente chez Aristote qui n'y recourt pas pour fonder sa théorie de l'animal sociable). C'est la contribution spécifique d'Épicure de chercher dans la notion de contrat le fondement le plus ferme possible des relations sociales : il s'agit de montrer que tous les usagers y trouvent leur compte. Cette idée présente une connotation apparemment conventionnaliste ; mais Épicure ne recourt pas à la volonté des contractants, puisque seul importe leur intérêt réciproque : « La justice n'est pas un quelque chose en soi, mais, quand les hommes se rassemblent (...), un certain contrat sur le point de ne pas faire de tort ni d'en subir. »(1). L'ambiguïté se noue chez Lucrèce, sur la question de savoir si l'exposition du contrat est un récit historique ou une construction rationnelle.

À l'âge classique, et après Hobbes en particulier, le modèle du contrat permet de comprendre l'association politique des individus réduits à leur dimension de sujets juridiques. La souveraineté tire toute sa légitimité des volontés individuelles de ceux qui s'y soumettent. Le contrat social désigne alors le moment où chacun a renoncé à ses droits pour les transmettre au souverain afin de protéger sa vie (Hobbes) et / ou ses biens (Locke). Il n'est pas absolument requis de donner à cette origine un sens historique – elle énonce surtout le fondement logique de la société civile : « L'union qui se fait de cette sorte forme le corps d'un État, d'une société, et pour le dire ainsi, d'une personne civile ; car les volontés de tous les membres de la République n'en formant qu'une seule, l'État peut être considéré comme si ce n'était qu'une seule tête ; aussi a-t-on coutume de lui donner un nom propre, et de séparer ses intérêts de ceux des particuliers. »(2).

Les théories du contrat connaissent une reformulation originale avec Rousseau – les sujets ne contractent plus les uns avec les autres, mais chacun avec le souverain, qui est le peuple institué par le pacte lui-même : « Chacun se donnant à tous ne se donne à personne. (...) Chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale ; et nous recevons en corps chaque membre comme partie indivisible du tout. »(3). Dans la mesure où chacun s'aliène entièrement à la communauté, la condition est égale pour tous et ne peut déboucher sur une nouvelle oppression. Chaque citoyen est soumis au même souverain dont il est membre.

La critique essentielle adressée aux thèses contractualistes est formulée par Hegel et porte sur l'enracinement du pacte social dans les volontés en tant qu'individuelles. Tel qu'examiné dans la première partie des Principes de la philosophie du droit, consacrée au droit abstrait, le contrat social est révélé dans la pluralité des actes qu'il entraîne et qui ne comportent pas la médiation requise pour constituer l'unité réelle d'un tout. Hegel dénonce ce préjugé atomiste qui voudrait rendre compte de l'État selon le schéma d'une combinaison proportionnée des intérêts particuliers : « La nature de l'État n'est pas (...) le résultat d'un contrat, que l'on comprenne celui-ci comme un contrat de tous avec tous ou de tous avec le prince ou avec le gouvernement ». Les thèses contractualistes conduisent donc à « transposer les déterminations de la propriété privée dans une sphère qui est d'une nature toute différente et plus éminente »(4). On ne saurait rabattre l'État sur le modèle de la propriété, manifestation immédiate de la volonté individuelle. Ce serait perdre de vue la nécessité qui lui donne son statut de fondement : « C'est à l'État lui-même qu'appartient d'accorder [à l'homme] la permission d'y entrer ou d'en sortir. Cela ne dépend donc pas du libre arbitre de l'individu et l'État ne repose pas sur un contrat, car le contrat suppose le libre arbitre. »(5) Par la négative, l'idée de contrat social est ainsi révélée solidaire d'une conception libérale des relations sociales.

André Charrak

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Épicure, Maximes capitales, XXXIII.
  • 2 ↑ Hobbes, T., De Cive, 2e section, chap. V, § IX.
  • 3 ↑ Rousseau, J.-J., Contrat social, l. I, chap. VI.
  • 4 ↑ Hegel, F., Principes de la philosophie du droit, § 75.
  • 5 ↑ Ibid., addition.

→ état, sociabilité