Mahomet ou Muhammad
en arabe Muḥammad
(La Mecque vers 570-Médine 632), prophète de l'islam.
Confessant la foi monothéiste d'Abraham, Mahomet a prêché aux tribus arabes polythéistes la conversion à un dieu unique, Dieu (en arabe Allah), qui leur a délivré sa parole par son intermédiaire. Homme remarquable, issu d'une communauté en marge des grandes sociétés de l'époque, il a su faire une synthèse idéologique capable de s'imposer de l'Atlantique au Pacifique.
Contexte
À l’époque de Mahomet, le Hedjaz, région occidentale de l'Arabie dont il est originaire, se situe au carrefour d'un mouvement commercial important entre le Yémen (océan Indien) et la Syrie (mer Méditerranée), mais aussi entre l'Arabie et l'Abyssinie chrétienne (l'actuelle Éthiopie). La Mecque est alors une grande étape caravanière, environnée de tribus qui élèvent notamment des chameaux pour le transport des hommes et des marchandises.
Sur le plan politique, cette région forme la marge de l'influence des deux puissances de l’époque : l’Empire byzantin, chrétien, et l’Empire perse sassanide, adepte du mazdéisme (une religion dualiste développée par Zarathushtra). Du point de vue religieux encore, la proximité du Sinaï de Moïse et de la Jérusalem de Jésus se concrétise par la présence, en Arabie, de chrétiens nestoriens ou coptes, et de tribus juives. Les éleveurs arabes, quant à eux, pratiquent une sorte de polythéisme à base tribale. L'un de leurs sanctuaires les plus réputés, la Kaba, se trouve précisément à La Mecque.
Il y a donc place, dans ce contexte, pour un message monothéiste, qui serait spécifiquement adressé aux populations de culture arabe.
La vie du Prophète
La jeunesse
Selon la sira (biographie traditionnelle du Prophète), Mahomet est né à La Mecque, dans le Hedjaz, vers 570. Son père, Abd Allah, appartient au clan de Hachim (les Hachémites), une fraction de la puissante tribu des Quraych (originaire de La Mecque et spécialisée dans le grand commerce caravanier).
Orphelin de père à la naissance, et sa mère, Amina, se trouvant dans une situation précaire, l'enfant est mis en nourrice dans une tribu bédouine, où il demeure jusqu'à l'âge de six ans. Sa mère étant morte peu après l'avoir repris sous son toit, le jeune Mahomet est élevé par son grand-père paternel et chef de clan, Abd al-Muttalib, puis, à la mort de celui-ci, par son oncle Abu Talib (riche marchand mecquois devenu le chef du clan des Hachémites). Ce dernier emmène souvent Mahomet avec lui lors de ses voyages à travers le désert et lui fait découvrir la Syrie.
Les événements de la petite enfance de Mahomet ont une importance capitale sur sa destinée : ils vont marquer la morale sociale du Coran, qui défend inlassablement les veuves et les orphelins, interdit le mariage entre deux personnes placées chez une même nourrice, comme si elles étaient frère et sœur – interdit provenant du code bédouin qui rend frères de sang des frères de lait.
De même, pour gagner sa vie, Mahomet devient caravanier et entre ainsi au service de Khadidja, une riche veuve qui possède les caravanes les plus importantes de La Mecque, qu’il épouse vers 595 (d’ailleurs, Mahomet va la plupart du temps épouser des veuves). Cette première épouse est plus âgée que lui d'une quinzaine d'années ; de leur union naissent trois fils (morts en bas âge) et quatre filles (dont Fatima). Mahomet adopte un de ses esclaves, qu'il affranchit, et adopte également son cousin Ali, fils d'Abu Talib, qui épousera sa fille Fatima ; toute la descendance prophétique de la tradition chiite provient de cette union familiale.
La période mecquoise (612-622)
La vocation prophétique
C'est à La Mecque que Mahomet fonde l'islam. Si les cinq piliers (arkan) de la nouvelle religion ne sont pas au début bien dégagés, les grandes idées sont énoncées sans équivoque : unicité de Dieu, importance du Dernier Jour, le Paradis, l'Enfer, la Fonction propre du Prophète. Celui-ci n'est, à cette époque, que l'envoyé de Dieu, dont la tâche est de rassembler les Arabes en une communauté (umma) qui, soumise aux commandements divins, transcende les liens du sang, dépasse la morale nomade, le cynisme des marchands et l'individualisme des citadins.
La vocation prophétique de Mahomet se précise en 612, dès la première vision à Hira, une colline proche de La Mecque, où il fait des retraites de méditation et de prières. Il entend la voix de l'archange Gabriel (Djabraïl en arabe), qui lui transmet les paroles de Dieu. Il s'habitue à recevoir ces messages, les répète et les dicte. Ceux-ci formeront la matière du Coran (de l'arabe qur'ān, « lecture » ou « récitation »). Les premières révélations dénoncent surtout les riches marchands mecquois. Elles les adjurent de se soumettre au Créateur unique et tout-puissant, qui leur demandera des comptes au jour du jugement. Ils doivent se montrer humbles et justes, donner une part de leur fortune aux pauvres et aux orphelins. Toutefois, Mahomet n'aurait jamais vu la face de Dieu, si ce n'est la nuit du Miradj, qui reste un phénomène surnaturel et symbolique ; la tradition place toujours les archanges Raphaël (Israfil en arabe) et Gabriel (Djabraïl), respectivement comme l'initiateur et le messager, entre Dieu et son Envoyé. La nature prophétique de Mahomet et de son message est également attestée par le fait qu'il ne sait ni lire ni écrire, et qu'il n'a jamais manqué de faire la distinction entre les révélations qu'il transmet et ses propres pensées d'homme.
L'année 614 est celle de la conversion d'al-Arqam, membre de la famille Makhzum (l'une des plus riches et des plus influentes de La Mecque), et qui avait été l'adversaire de Mahomet. Al-Arqam met sa demeure à la disposition du Prophète afin de faciliter les assemblées des premiers croyants, au nombre desquels figurent Hamza et Umar.
Les persécutions
L'année 615 est celle des persécutions. L'extension du ralliement de nombreux clans à Mahomet provoque en effet le développement d'une opposition, appelée boycott des Hachémites. C'est donc entre 615 et 616 que Mahomet conseille à ses fidèles, les musulmans (muslimun, « ceux qui remettent leur âme à Dieu »), de se réfugier en Abyssinie, car sa morale, sa lutte contre les idoles païennes et son influence sociale bouleversent l'équilibre des clans et du mercantilisme mecquois.
En 619, son épouse Khadidja (âgée de 65 ans) et son oncle Abu Talib (approchant les 90 ans) meurent ; la situation personnelle de Mahomet devient précaire, le nouveau chef du clan hachémite (Abu Lahab, frère d’Abu Talib) lui étant très hostile. Mahomet doit s'éloigner de La Mecque. Il tente une prédication à Taif ; c'est un échec. Puis il s'adresse aux tribus nomades, sans plus de succès. C'est en 620 qu'il a ses premiers contacts avec les habitants de Médine, ville oasis du Nord, parmi lesquels se trouvent déjà des convertis. Des Médinois influents, soucieux d'ordre, cherchent alors à l'attirer, car son renom et son autorité ne reposaient pas sur la puissance d'un clan, mais sur la religion et la morale.
L’hégire
En 622, lors du pèlerinage à la Kaba, un groupe de Médinois rencontrent secrètement Mahomet à al-Aqaba et concluent le « serment de guerre » (Bayat al-Harb), selon lequel ils s'engagent à accueillir à Médine les musulmans mecquois et à les protéger. C'est pourquoi Mahomet engage ces derniers à émigrer progressivement à Médine. Lui-même, ainsi qu'Abu Bakr, part le dernier, le 16 juillet 622, après une tentative d'assassinat contre lui, perpétrée par de jeunes Quraychites.
Ce départ est appelé l'hégire (de l'arabe hidjra, « émigration ») ; c’est le commencement de l'ère islamique – la période antérieure étant globalement qualifiée de « temps de la fureur » (djahiliyya).
La période médinoise (622-632)
Mahomet, chef spirituel et temporel
Au temps de Mahomet, la ville oasis de Médine s'appelle Yathrib : c'est avec l'hégire qu'elle devient Madinat al-Nabi, « la ville du Prophète », ou tout simplement Médine. Sa population est composée essentiellement par les tribus juives Qaynuqa, les tribus arabes judaïsées Qurayza et al-Nadir, et les tribus arabes païennes Aws et Khazradj. Ces tribus se livrent une lutte incessante pour la domination de la cité, le pouvoir passant alternativement des Juifs aux Khazradj.
En 621, ralliant les Juifs, les Aws défont les Khazradjites à Buath. Les Médinois ont besoin d'un pacificateur, et Mahomet arrive à Quba, dans l'oasis de Médine, à la fin septembre 622 ; ses partisans à Médine, soit 70 Muhadjirun (émigrés) mecquois, plus les Ansar (les aides, ou ralliés) médinois ont préparé sa venue. À Médine, Mahomet va asseoir son double pouvoir religieux et politique, à la fois comme prophète et comme arbitre des factions. Mahomet étant devenu le maître de la ville, sa maison va être le quartier général de son activité religieuse et séculière ; c'est là qu'on édifiera la mosquée qui est au centre de la ville moderne. C'est là aussi que Mahomet regroupe Sauda, son épouse, ses deux filles, Umm Kulthum et Fatima (que Ali va bientôt épouser), et aussi Abu Bakr et sa propre fille, Aïcha (que Mahomet va épouser).
Jugeant Mahomet dangereux, les Juifs s'engagent dans une opposition complexe contre lui. C'est alors que celui-ci chasse les Qaynuqa et réduit l'opposition des autres clans juifs en proclamant qu'il continue l'œuvre du patriarche biblique Abraham, père de la hanif (la pure religion), qu'eux-mêmes ont abandonnée. Dorénavant, les croyants se tourneront pour prier vers la Kaba de La Mecque et non plus vers Jérusalem. Cela constitue le geste essentiel de rupture avec la Qibla judéo-chrétienne ; cependant, Jérusalem restera pour l'islam une ville sainte, honorée par la mosquée du rocher d'Abraham.
Mahomet, l’unificateur des Arabes
Le pouvoir politique et militaire de Mahomet s'affirme au cours des 74 expéditions, razzias et batailles qu'il mène en vue de la reconquête de La Mecque, du ralliement des nomades et de l'unification des Arabes. On retiendra notamment, dans ce processus, quelques grandes étapes : la première grande victoire de Badr (mars 624), qui alarme les Mecquois ; leur contre-offensive victorieuse de Uhud (mars 625) ; puis le siège de Médine (31 mars 627), qui aurait dû mettre fin à la carrière de Mahomet. Or il bat les Mecquois et consacre même sa réputation de stratège militaire (« Nous t'avons assuré une victoire éclatante », relate le Coran, XLVIII, 1), provoquant l'éclatement de la confédération ennemie de La Mecque, qui se soumet à sa loi la même année.
Mahomet prend alors figure et dimension d'un fondateur d'État : il est l'unificateur des Arabes. La « constitution de Médine », qui est antérieure à la bataille de Badr, est un modèle d'organisation fédérale de communautés différentes, définissant leurs droits et leurs devoirs sociaux respectifs, soumis à l'autorité juridique suprême de Mahomet. En 630, l'armée musulmane entre dans La Mecque. Puis la victoire de Mahomet sur les bédouins à Hunayn entraîne de nombreuses soumissions ; le Prophète envoie des députations auprès des souverains voisins afin de se faire reconnaître comme chef d'État souverain. Lors du pèlerinage de 632, Mahomet fixe les grandes règles de hadjdj des musulmans ; elles excluent les incroyants de la Kaba et les mécréants du Paradis. À son retour, il tombe malade à Médine et meurt, le 8 juin 632.
Mahomet a construit un ensemble remarquable de réformes sociales qui touchent à la sécurité de la vie et de la propriété, à la codification du mariage, à la famille, aux héritages, à l'usure, à l'hygiène de vie. Il a libéré l'individu de la sujétion tribale, le croyant ne rendant compte de sa vie qu'à Dieu.
La question de la succession de Mahomet et l’instauration du califat
L'action de Mahomet fonde l'idéal du dirigeant islamique, en charge du temporel et du spirituel, et dont l'action politique tend vers la réalisation du dessein divin au sein de la société. Médine est devenue le deuxième lieu saint de l'islam ; sa mosquée, qui abrite le mausolée du Prophète, est un passage quasi obligé pour les musulmans, lors du pèlerinage annuel à La Mecque.
Mais le Prophète n'a pas prévu sa succession à la tête de la communauté musulmane. N'ayant pas eu de fils qui soit resté en vie et qui aurait pu poursuivre sa mission, selon la tradition arabe, le choix se porte à l'intérieur du réseau de compagnons et de parents proches, tissé au long d'une vie sociale active par des alliances matrimoniales et politiques nombreuses. Parmi les prétendants possibles, il y a Ali, son cousin et gendre ; Abu Bakr, qui lui a donné en mariage sa fille Aïcha, l'épouse préférée ; Umar, dont il a également épousé une fille, Hafsa, la « lettrée ». Ceux-ci sont tous Mecquois. Mais il y avait aussi des prétendants médinois. Finalement, l'ordre de succession au califat (calife signifie « celui qui vient après [le Prophète] ») a été le suivant : Abu Bakr (632-634), Umar (634-644), Uthman (644-656) et Ali (656-661).
Ces quatre califes sont dits les « Bien-Dirigés » (ar-Rashidun), car après eux les différentes branches familiales se sont opposées pour la conquête du pouvoir politique et religieux. En particulier, l'affrontement de Siffin (657), en Iraq, a consacré l'éclatement de la communauté musulmane, qui va se scinder alors en chiites (partisans du calife Ali et de sa descendance), sunnites (partisans des Omeyyades, parents du calife Uthman) et kharidjites (« ceux qui se sont séparés », anciens partisans de Ali qui se sont retirés du conflit).
Mahomet dans l'islam
Le Messager d'Allah
À la mort du Prophète, après vingt ans de révélations coraniques et d'actions politico-religieuses, et malgré ses divisions internes, la communauté musulmane est en voie de constitution, avec ses croyances, son culte, ses règles de vie, ses types de pouvoir (califat sunnite et imamat chiite). L'unification sera parachevée par l'islam. Cette communauté s'étend vers l'Égypte à l'ouest, la Perse à l'est. Face au monde chrétien byzantin et aux communautés juives, le « vide » arabe se comble peu à peu, religieusement et politiquement, grâce au Messager d'Allah, rassoul Allah. En effet, les Arabes ont été le dernier peuple du monde méditerranéen ancien à embrasser le monothéisme. C'est sans doute pour cela que Mahomet s'est considéré comme le dernier des prophètes, le « sceau des prophètes », de la tradition héritée d'Abraham.
Le complément du Coran
La place capitale occupée par le Prophète dans le système religieux islamique est parfaitement illustrée par la première obligation de celui qui adhère à l'islam, à savoir la récitation de la profession de foi : « Il n'y a d’autre dieu que Dieu et Mahomet est Son Prophète » (La ilah illa'llah wa Muhammad rasul Allah).
L'emprise de la personnalité du fondateur de l'islam a été telle que les générations suivantes se sont empressées de recueillir avec minutie tous ses actes, ses moindres paroles – ses silences même ont fait l'objet d'interprétations –, pour les consigner systématiquement dans des recueils dont le poids dogmatique et juridique équivaut à celui du Coran. Les ouvrages de traditions prophétiques considérées comme les plus authentiques sont les volumineux recueils d'al-Bukhari et de Muslim (ixe s.). Tradition prophétique (sunna) et Coran forment ainsi les deux « sources » de la religion musulmane.
Un modèle à suivre
L'élan missionnaire de Mahomet s’est poursuivi après lui, grâce à une foi et à une organisation fondées sur un ensemble de textes qu'Allah lui a révélés sa vie durant : le Coran.
L'influence du Prophète s'est ainsi fait sentir tout au long de l'histoire musulmane. Imiter sa conduite reste pour chaque musulman pieux l'objectif à atteindre, et cela dans des domaines extrêmement variés : dire telle prière à tel moment, ne pas se servir de la main droite pour telle action, affranchir un esclave, etc.
Mais au-delà de ces comportements, qui relèvent du domaine privé, l'histoire des pays musulmans a vu surgir, surtout dans des moments de crise, des personnages qui ont tenté de rééditer l'histoire prophétique, dans ses actions de réforme religieuse et morale, avec les mêmes moyens politiques et militaires et en imitant la vie du Prophète dans tous ses détails. C'est le phénomène des mahdis (« guidés par Allah »), dont le plus célèbre reste celui du Soudan turco-égyptien (xixe s.), qui a recréé une unité soudanaise et édifié un nouvel État islamique, à l'instar de Mahomet à Médine.