Umberto Eco
Écrivain et sémioticien italien (Alexandrie 1932-Milan 2016).
On serait tenté de croire qu'il y a deux Umberto Eco : le sémioticien, émule de Charles Sanders Peirce et de Roman Jakobson, et l'auteur d'un best-seller international, le Nom de la rose, record de vente aux États-Unis en 1984. L'itinéraire d'Umberto Eco permet pourtant de percevoir plus d'un rapport entre les faces apparemment antinomiques du théoricien et du romancier.
Un érudit qui déchiffre les signes
Après des études de philosophie médiévale, il s'intéresse à l'art et consacre un premier ouvrage, en 1956, au Problème esthétique chez saint Thomas d'Aquin. Sensible aux approches neuves de la communication nées de la linguistique saussurienne et du structuralisme, Eco entreprend une œuvre théorique dont les jalons essentiels sont l'Œuvre ouverte (1962) et la Structure absente (1968). L'Œuvre ouverte postule que toute œuvre d'art n'existe que par son aptitude à susciter des interprétations plurielles, ce qu'inscrivent dans leur refus de toute fixité les mobiles de Calder, le « Livre », infiniment combinable de Mallarmé ou l'Ulysse de Joyce, passible de lectures croisées qu'aucune vérité ultime ne viendrait réduire. La Structure absente reprend cette recherche sur les processus interprétatifs, mais s'oriente plus délibérément vers une sémiotique des codes visuels, interrogeant l'« acte persuasif » au travers du cinéma, de l'affiche ou de l'architecture.
Traité de sémiotique générale (1975), Sémiotique et Philosophie du langage (1988), le Signe : histoire et analyse d'un concept (1988), la Recherche de la langue parfaite dans la culture européenne (1994), parmi de nombreux autres essais, témoignent de l'ampleur de cette réflexion. Il est également l'auteur d’Art et beauté dans l'esthétique médiévale (1986) et d’un essai richement illustré sur le thème de l’énumération : Vertige de la liste (2009). N’espérez pas vous débarrasser des livres (id.), un livre d’entretiens avec Jean-Claude Carrière, aborde la question de l’objet livre et de la lecture face à l’émergence des nouveaux supports numériques.
Le défi de l’écriture romanesque
Parallèlement à cette recherche universitaire, Eco a été tenté de mettre en œuvre ses théories et ses analyses sur la communication en relevant le défi de l'écriture romanesque. Écrire un roman policier décrivant la minutieuse enquête menée autour de sept meurtres pourrait passer pour un délassement d'intellectuel. Mais le Nom de la rose (1980) – où il a, entre autres, relevé le défi de Wystan Hugh Auden, selon lequel le « meurtre dans le monastère » comptait parmi les impossibilités fondamentales du récit criminel – est loin de n'être qu'un clin d'œil aux maîtres du mystère. L'histoire se passe en 1327, et tout le savoir médiéviste d'Eco s'investit dans ce récit « historico-mystérieux », où le xive siècle s'échine aux combats de l'Empire et de la papauté. Plus profondément, le Nom de la rose transpose sur le mode romanesque l'interrogation constante de son auteur sur les signes, leur intelligibilité, leur aptitude menacée à dire le monde. Le roman est porté à l'écran par J.-J. Annaud en 1986.
En 1988, le Pendule de Foucault mêle à son tour le cadre historique médiéval (les Templiers) et une réflexion sur les enjeux du modernisme, en l'occurrence l'informatique et les sectes d'illuminés. En 1994, l'Île du jour d'avant nous entraîne, au siècle de Galilée, de Cervantès et de Spinoza, dans un jeu baroque de miroirs et de métamorphoses, où, derrière le mystère des longitudes, se jouent toute l'histoire de nos interrogations sur la langue, l'espace et le temps. Baudolino (2000) est le récit des aventures rocambolesques d'un gamin, adopté par Barberousse, qui n'a jamais su distinguer entre ce qu'il contemple et ce qu'il aimerait contempler. Dans la Mystérieuse Flamme de la reine Loana (2005), il narre l'histoire d'un collectionneur et bouquiniste devenu amnésique…