Willie Nelson
Compositeur et chanteur de country américain (Abbott, Texas, 1933).
Les chemins de traverse. Cet homme est-il le dernier rebelle de la musique country ? Peut-être. Seule certitude, il n'en fait qu'à sa tête, capable, à chaque instant, de surprendre en bien comme en mal. Capable également de sortir un album aussi chargé qu'une pâtisserie bavaroise (Healings Hands Of Time) et de le promouvoir par un concert entièrement acoustique sur la chaîne country TNN.
Ainsi va Willie qui, à plus de soixante ans, reste le gamin rouquin et sauvage, monté pour la première fois sur les planches en 1937, lors d'un pique-nique méthodiste à Abbott. Fils d'un mécanicien que sa femme abandonne peu de temps après sa naissance, Willie est élevé par ses grands-parents en compagnie de sa sœur Bobbie.
Par la radio, il découvre la country mais aussi le jazz big band ou le Texas swing et ses réminiscences de polka dues à la communauté allemande installée au Texas. En 1943, il est guitariste dans le John Raycjeck's Bohemian Polka Band, puis rejoint The Texans, le groupe de son beau-frère Bud Fletcher. À la sortie du collège, il passe quelques mois en Corée dans l'US Air Force, entame une carrière de disc-jockey au Texas puis à Vancouver (État de Washington), revient au Texas. Là, il exerce trente-six métiers, subit trente-six misères, vend les droits d'une de ses chansons, Family Bible, 50 dollars pour payer la note d'épicerie et une autre, Night Life, 150 dollars afin de s'offrir une vieille Buick. Aujourd'hui, ces titres, qui ont été interprétés par plus de 100 artistes, se sont vendus à 30 millions d'exemplaires… Lorsque, en 1960, Family Bible interprété par Claude Gray entre dans le Top 10, Willie décide de s'installer à Nashville, où il écrit quelques classiques pour Patsy Cline (Crazy), Faron Young (Hello, Walls) et Billy Walker (Funny How Time Slips Away). En 1962, il obtient enfin un tube, Touch Me, sous son propre nom. Sans lendemain. Bien que membre du Grand Ole Opry, apparaissant régulièrement dans le show TV d'Ernest Tubb, il n'est pas vraiment accepté par l'establishment de Nashville, et se débat dans d'inextricables problèmes conjugaux.
Le renouveau texan. Lorsque sa maison brûle le 23 décembre 1970, il embarque ses enfants au Texas, où se manifeste un nouveau public amateur de blues, de rock mais aussi de country. Sa rencontre avec le producteur Jerry Wexler, connu pour des classiques de rhythm and blues, lui permet de concrétiser cette deuxième carrière par l'album Shotgun Willie, bien accueilli en 1973, puis, l'année suivante, par Phases And Stages, enregistré au Texas lors du premier Willie Nelson Fourth Of July Picnic. Il s'investit alors complètement dans le mouvement outlaw, obtient le contrôle de sa production chez Columbia pour Red Headed Stranger, album minimaliste n'ayant coûté que 20 000 dollars et vendu à… plus de un million d'exemplaires avec, en prime, un № 1, Blue Eyes Crying In The Rain, vieux titre de Fred Rose. Dans le même temps, l'album Wanted The Outlaws avec Waylon Jennings répond à l'attente du public et justifie l'éclosion du mouvement.
Mais Willie, toujours amoureux des musiques de son enfance, reprend à sa façon quelques grands classiques en 1979 sur Stardust (5 millions d'albums vendus !), qui l'impose définitivement comme une star américaine, dont l'audience traverse tous les publics grâce à des reprises comme Georgia On My Mind, Blue Skies et All Of Me. La même année, The Electric Horseman lui permet de débuter au cinéma (avec Jane Fonda et Robert Redford), puis, accessoirement, de placer un nouveau hit, My Heroes Have Always Been Cowboys, précédant Always On My Mind, autre tube tout terrain, suivi de On The Road Again.
On réédite alors à tour de bras les anciens disques. Willie Nelson multiplie les duos parfois magnifiques (Waylon Jennings), parfois surprenants (Leon Russell, Boxcar Willie, Julio Iglesias), se fend d'hommages au Texas swing avec une brochette de vieux barbons comme Ray Price, Webb Pierce, Hank Snow, et trouve tout naturellement sa place au sein des Highwaymen.
Un activiste. La gloire, la reconnaissance ne lui font cependant pas perdre une conscience sociale toujours revendiquée. En 1985, il réussit à collecter des millions de dollars dans le cadre du Farm Aid, afin de venir au secours des familles frappées par la crise agricole. Et lorsque le fisc (The IRS) lui tombe dessus, réclamant seize millions de dollars d'impôts impayés, Willie reprend la route pour enregistrer, en 1991, The IRS Tapes (Who'll Buy My Memories), que le public achète afin de l'aider à éponger ses dettes. Père de sept enfants issus de quatre mariages, il touche le fond lorsque son seul fils, Billy Nelson, se suicide à l'âge de trente-trois ans, dans la nuit du nouvel an 1991.
En 1993, Across The Borderline — enregistré en compagnie d'artistes aussi divers que Paul Simon, Dylan, Bonnie Raitt, Sinead O'Connor ou le pianiste de jazz Mose Allison — lui attire un nouveau public. Ensuite, Willie revient à des musiques jazzy (Moonlight Becomes You) avant de s'engluer dans une country chantilly (Healing Hands Of Time).
On peut toujours tout attendre du « Good Ol'e Willie », le meilleur et le pire : souffler soixante bougies n'a pas altéré sa voix légèrement nasale, ni entamé une farouche volonté de n'en faire qu'à sa tête de cochon. Compositeur sachant capter l'air du temps, adepte de toutes les expériences musicales, il fait un drôle de gardien du temple, tenant la porte ouverte aux jeunots avec une préférence… pour les fortes têtes.