Sun Yat-sen ou Sun Zhongshan
surnommé Sunwen
Homme d'État chinois (Xiangshan, Guangdong, 1866-Pékin 1925).
Introduction
Sun Yat-sen est la forme coutumière cantonaise d'un nom dont la forme pékinoise serait Sun Yixian. La transcription phonétique de la forme cantonaise s'écrit traditionnellement Sun Zhongshan.
Les débuts
Sun Yat-sen naît dans une famille de paysans pauvres de la province du Guangdong. Après un début d'éducation traditionnelle, il rejoint son frère aîné à Honolulu en 1879, va à l'école anglaise et se convertit au protestantisme. De retour au village natal (1883), il brise les idoles du temple communal avant de s'inscrire au Queen's College de Hongkong. Il effectue des études de médecine occidentale et se marie à l'ancienne mode. Dès 1885, il se donne pour tâche le renversement de la dynastie mandchoue et l'établissement de la république. Il participe alors à l'activité de sociétés secrètes et fonde en 1894 avec d'autres jeunes révolutionnaires cantonais un parti politique, l'« Association pour le redressement de la Chine », juste avant la défaite humiliante de la Chine devant le Japon (1895). Un premier soulèvement – contre le palais du gouverneur de Canton – échoue en septembre 1895. Sun Yat-sen échappe à la répression et se réfugie au Japon.
Il va aux États-Unis, puis en Grande-Bretagne, où il est kidnappé le 11 octobre 1896 par la police secrète mandchoue et libéré quelques jours plus tard grâce à l'intervention d'un ami anglais et l'appui de la presse. Le voici brusquement célèbre. Il visite l'Europe avant de rejoindre le Japon. Ce premier périple sera capital dans la formation de sa pensée politique.
Les Trois Principes du peuple et la révolution de 1911
En 1900, une seconde tentative de soulèvement échoue. Mais, cette fois, la paysannerie a soutenu le mouvement. Sun Yat-sen repart autour du monde. À son retour à Tokyo en 1905, au moment de la victoire du Japon sur la Russie, il crée un nouveau parti, la Ligue d'union jurée (Tongmenghui), dont l'audience dépasse de beaucoup la première association et qui possède un véritable programme politique. Celui-ci est constitué par les « Trois Principes du peuple » : son « indépendance », sa « souveraineté » et son « bien-être ». Le manifeste du parti fixait quatre objectifs immédiats à la révolution chinoise : chasser les Mandchous ; restaurer la Chine comme État national républicain, dans lequel l'égalité des droits politiques serait assurée grâce en particulier au Parlement et au président de la République ; enfin égaliser la propriété de la terre. Personne ne pourrait plus monopoliser la force de travail du peuple. Malgré les apparences, l'intervention active de la population ne dépassait guère les pétitions de principe et les membres du nouveau parti préféraient s'en tenir à une pratique de société secrète. D'autre part, les révolutionnaires mettaient plus l'accent sur la lutte anti-mandchoue que sur la lutte anti-impérialiste.
En 1907, Sun Yat-sen et ses amis préparent une série d'insurrections avec l'aide très hypothétique de la France ; une nouvelle tentative échoue en mars 1911, à Canton, où soixante-douze révolutionnaires perdent la vie. Sun Yat-sen repart pour l'Occident chercher subsides et encouragements. Il se trouve aux États-Unis quand, le 10 octobre 1911, éclate à Wuchang le soulèvement qui va faire tomber le plus vieil empire du monde. Mais le succès de la révolution de 1911 tient moins à sa préparation par le Tongmenghui qu'au renversement inéluctable de l'équilibre des forces. Les membres du parti de Sun Yat-sen récoltent les fruits d'un grand mouvement qui secoue alors la Chine. Sun Yat-sen rentre au pays, non sans tenter d'obtenir en Grande-Bretagne et en France des soutiens politiques et financiers.
La première présidence de la République
Les délégués de toutes les provinces, dont la réunion prend le nom d'« Assemblée nationale », élisent Sun Yat-sen président provisoire de la République le 29 décembre 1911. Mais les membres du Tongmenghui forment une minorité au sein du premier gouvernement, et leur force militaire est pratiquement nulle. Au nord, le général Yuan Shikai fait la loi. Il bénéficie du soutien des notables et des puissances. Entre l'affrontement et l'effacement, Sun Yat-sen choisit : il laisse la place à son ambitieux rival, qui devient président de la République le 14 février 1912 et qui obtient l'abdication du dernier empereur mandchou.
La traversée du désert
En août, le Guomindang – parti national du peuple, plus souvent appelé parti nationaliste – remplace le Tongmenghui. Son programme se situe nettement en deçà de celui qui fut énoncé par Sun Yat-sen en 1895. Celui-ci visite alors la Chine et rencontre Yuan Shikai, qui le nomme directeur général des chemins de fer. L'entente entre les deux hommes et les deux courants ne dure pas longtemps. Un conflit armé les oppose bientôt. La « seconde révolution » (1913) tourne court, et Sun Yat-sen est contraint de se réfugier au Japon. Son amertume est tempérée par un second mariage avec Song Qingling, la fille d'un membre de son parti, qui deviendra vice-présidente de la République populaire de Chine.
Pendant plusieurs années, le vieux révolutionnaire va reprendre, sans les approfondir, les idées d'antan et essayer de réorganiser son parti. Il revient à son rêve panasiatique au moment même où le Japon veut imposer à la Chine « 21 demandes » qui auraient abouti à faire pratiquement de celle-ci une colonie nippone. Le gouvernement de Tokyo profite de l'absence des autres puissances et de son entrée en guerre contre l'Allemagne pour mener à bien sa politique expansionniste. Yuan Shikai accepte la majorité de ces « demandes » (mai 1915).
En Chine, où le président de la République tente de restaurer à son profit la monarchie, une nouvelle guerre civile éclate. La mort de Yuan Shikai en juin 1916 clôt le débat et ouvre une ère encore plus confuse. Contre l'avis de beaucoup de Chinois et de Sun Yat-sen en particulier, qui souhaitent que leur pays reste neutre dans un conflit où les responsabilités entre impérialistes sont partagées, le gouvernement de Pékin choisit de passer du côté des Alliés en août 1917. Des « seigneurs de guerre » se constituent des petites principautés dans les provinces.
De retour à Canton, Sun Yat-sen entreprend de constituer une base révolutionnaire restreinte en se servant des « seigneurs de guerre » cantonais et assume la présidence d'un gouvernement militaire (septembre 1917). Mais il perd dès mai 1918 tout pouvoir au sein de cette alliance douteuse, dont il fut un temps le « Grand Maréchal », et repart pour Shanghai en 1919. C'est là qu'il assiste au Mouvement du 4 mai, qui marque un tournant décisif dans l'histoire de la Chine contemporaine. Les étudiants de Pékin protestent ce jour-là contre les décisions de la conférence de la Paix à Paris, qui remettent au Japon les anciens privilèges allemands en Chine. Le mouvement s'étend bientôt à tout le pays. Pour la première fois, un puissant courant populaire met en cause avec vigueur les défenseurs de l'ordre ancien et les puissances étrangères. Pour la première fois aussi, l'intelligentsia, le prolétariat et la bourgeoisie urbaine font cause commune. Sun Yat-sen ne tardera pas à percevoir quelles nouvelles voies s'ouvrent désormais à la révolution chinoise.
Une politique nouvelle
Sun Yat-sen est de nouveau à Canton en 1920 grâce à l'alliance avec le seigneur de guerre local, le général Chen Jiongming, et se fait élire le 5 mai 1921 président de la République. Canton devient alors la première expérience chinoise de gestion municipale sur une base démocratique. Une fois de plus, son « allié » se retourne contre lui (juin 1922), et Sun Yat-sen revient à Shanghai, où le parti communiste, malgré sa faiblesse numérique et sa jeunesse – il a tout juste un an –, s'affirme déjà une force politique. Des contacts s'établissent. Sun n'est pas indifférent à la révolution russe et à la décision du gouvernement soviétique de renoncer aux « traités inégaux ».
En janvier 1923, à la veille de se réinstaller à Canton, il signe à Shanghai avec l'envoyé officiel de Moscou une déclaration précisant sur quelles bases l'U.R.S.S. accordera son appui au Guomindang. Cette fois, il ne négligera ni la jeunesse intellectuelle, ni le mouvement paysan, ni le mouvement ouvrier. Cette nouvelle politique se fera en collaboration avec les communistes chinois et avec le soutien de l'U.R.S.S. Mikhaïl Borodine (1884-1951) devient le conseiller politique de Sun Yat-sen. Le Guomindang, dont le premier congrès national se réunit à Canton en janvier 1924, est alors réorganisé suivant un modèle léniniste. Une académie militaire présidée par Jiang Jieshi (Tchang Kaï-chek) est fondée à Huangpu (Whampoa). Canton se transforme bientôt en une véritable base révolutionnaire de mieux en mieux contrôlée par des milices syndicales. À la fin de l'année 1924, Sun Yat-sen quitte Canton via le Japon pour négocier avec le nouveau maître de Pékin, le général Feng Yuxiang, qui affirme vouloir favoriser les forces de progrès et qui a proposé la réunion à Pékin d'une conférence de restauration de la Chine. Le 12 mars 1925, il meurt sans avoir réussi à mener à bien l'unité nationale qu'il souhaitait réaliser.
Premier homme d'État moderne de la Chine, Sun Yat-sen a été profondément marqué par son empirisme : il a fini par s'appuyer sur les forces organisées du monde du travail après avoir cru que la bourgeoisie des villes était capable de diriger la révolution et par dénoncer l'impérialisme des puissances après avoir rêvé de parlementarisme à l'occidentale. De même, les « Trois Principes du peuple », qu'il invoquera toujours, prennent sur le tard une autre signification : le nationalisme auquel il fait référence s'oppose à l'« impérialisme occidental », la suppression du militarisme est le préalable indispensable à toute évolution démocratique, et le « bien-être du peuple » prend à la fin de sa vie l'aspect du « socialisme ».