Roald Amundsen
Explorateur norvégien (Borge, Østfold, 1872-dans l'Arctique 1928).
1. Une vocation d'explorateur
Fils d'un petit armateur, il est très vite attiré par les voyages dans les régions polaires et dira combien il a été marqué par les œuvres de John Franklin – « Le passage qui, dans le récit de sir John, me frappa tout particulièrement, fut celui où il relate les souffrances que ses hommes et lui eurent à supporter. Je me sentis brûler de la curieuse ambition d'endurer les mêmes souffrances [...] je pris la résolution définitive de devenir explorateur des régions arctiques. »
Sa mère, devenue veuve, obtient pourtant de lui qu'il entame des études de médecine. Elle meurt à son tour et le jeune Amundsen peut songer à ses ambitions personnelles : il s'entraîne par de grandes randonnées dans la montagne puis il s'engage à vingt-et-un ans à bord d'un navire chasseur de phoques ; il effectue trois campagnes apprend le métier de marin sur des bâtiments qui l'emmènent au large du Groenland.
En 1897, le jeune homme se fait engager comme officier en second à bord du navire le Belgica dans l'expédition que le Belge de Gerlache de Gomery conduit vers l'Antarctique : Amundsen participe ainsi, en 1898, au premier hivernage effectué par l'homme dans ces régions.
2. Le passage du Nord-Ouest
Cette expérience polaire n'était que le tremplin d'une tentative à laquelle Amundsen pensait depuis longtemps : si depuis la fin du xvie s., avec Cabot, jusqu'à l'exploit avorté de McClure (1850-1854), les essais avaient été nombreux pour trouver un passage navigable vers l'Orient, au nord de l'Amérique, par les chenaux de l'Amérique arctique, on avait, depuis, abandonné toute recherche d'un nouvel itinéraire que l'on pensait, désormais, impraticable pour le commerce (il a fallu attendre 1969, avec l'exploit du pétrolier brise-glace Manhattan, pour que l'on envisage de nouveau une utilisation commerciale du passage). Mais, à l'aube du xxe s., Amundsen peut trouver des motifs scientifiques très forts pour appuyer ses recherches. Avec la caution du grand Nansen, il va d'abord étudier le magnétisme terrestre chez un spécialiste de Hambourg : la recherche de la nouvelle position du pôle magnétique est un but essentiel de son expédition. En 1901, il dirige des recherches océanographiques au-delà du nord-est du Groenland. En 1902, Amundsen acquiert un vieux cotre de 47 tonneaux, long de 22 m, le Gjoa. Il le remet en état, le pourvoit d'un moteur et, appareillant d'Oslo, prend la mer le 16 juin 1903, avec six compagnons. Après une escale au Groenland, le Gjoa traverse la mer de Baffin et pénètre dans le détroit de Lancaster, redoutable passage qui a été fatal à bien des prédécesseurs. Cependant, le tout petit navire d'Amundsen peut se faufiler sans difficulté entre les icebergs, et longe bientôt la péninsule de Boothia. Il faut affronter un début d'incendie et une terrible tempête, mais les navigateurs sont en mesure, en septembre, de se préparer à l'hivernage sur le rivage de l'île du Roi-Guillaume, dans le nord-est du Groenland. Un raid avec des traîneaux et des chiens permet à Amundsen de déterminer le pôle magnétique, dont il confirme le continuel déplacement. L'été revenu, les conditions de séjour sont si bonnes, et la recherche scientifique si fructueuse, que l'on décide d'hiverner de nouveau à « Port-Gjoa ».
Le Gjoa ne repart que le 13 août 1905, avec une foule de documents scientifiques. Mais on va aborder désormais d'étroits passages, que nulle embarcation n'a franchis, entre la grande île Victoria et le continent. Naviguant avec d'infinies précautions, Amundsen réussit à franchir les détroits, contourne la côte nord du Canada et aborde à Herschel (Yukon, Alaska), en août 1905 : le passage du Nord-Ouest est ouvert. Amundsen a réussi à joindre l'Atlantique à la mer de Beaufort, à travers le dédale de l'archipel arctique. Cependant, les glaces coupent déjà la voie vers le détroit de Béring, et il faut encore hiverner, près de l'embouchure du Mackenzie. Amundsen reprend la mer au début de juillet 1906 et atteint, avec difficulté, le détroit de Béring à la fin d'août. Un petit triomphe est fait, à Nome, au chef de l'expédition et à ses compagnons.
3. Les pôles
La gloire permet à Amundsen de faire de fructueuses tournées de conférences à travers le monde. Il va désormais pouvoir s'attaquer au pôle arctique, dont il prévoit la conquête en utilisant la lente dérive des glaces polaires vers le nord. Pour cet exploit, Nansen lui confie son beau navire, le Fram. Mais une grande déception attend les Scandinaves : c'est à l'Américain Robert E. Peary que revient l'honneur de planter, le 6 avril 1909, la bannière de son pays au pôle... Amundsen ne renonce pas, officiellement, à son projet de dérive, et le Fram part le 6 juin 1910 pour tenter l'expérience à partir des passages du détroit de Béring. En fait, l'objectif secret du Norvégien, c'est le pôle Sud : cette fois, il va l'emporter sur un autre Anglo-Saxon, Robert Falcon Scott.
4. À la conquête du pôle Sud
Parti soi-disant pour effectuer une dérive dans l'Arctique, à partir du détroit de Béring, Amundsen annonce, à son passage à Madère, le but réel de son expédition : le sud ; il n'a pas l'intention, après la victoire de Peary au nord, de se laisser souffler par Scott un exploit aussi glorieux que la conquête du pôle Antarctique. Son navire, le Fram, un baleinier rendu célèbre par l'explorateur norvégien Fridtjof Nansen qui, en 1895, s'était laissé dériver vers le pôle, à la plus haute latitude septentrionale jamais atteinte (86° 13'), double le cap Horn, longe la terre du Roi-Édouard-VII et va mouiller, le 13 janvier 1911, dans une large ouverture de la plate-forme de Ross, la baie des Baleines. Son expédition dans l'Antarctique devient alors une course au pôle Sud, le capitaine britannique Robert Falcon Scott ayant conçu le même projet. À 4 km du rivage de glace, il monte sa maison, où il va hiverner avec sept compagnons, et établit ses magasins, pendant que Scott se prépare lui aussi à affronter l'hiver, au cap Evans. La différence de préparation jouera un grand rôle dans le succès ou l'infortune de ces expéditions : la base d'Amundsen est située à 96 kilomètres au sud de celle de Scott. Jusqu'aux derniers jours de lumière, en avril, Amundsen reconnaît soigneusement la route du pôle sur près de 400 km, et, au cours de plusieurs raids, prudent, établit des dépôts de vivres successifs sur la route qu'il compte emprunter à l'aller et au retour. Et tandis que Scott utilise pour le transport des poneys sibériens, peu résistants au froid, Amundsen s'équipe de traîneaux tirés par des chiens.
Amundsen part pour le pôle le 20 octobre 1911, avec quatre compagnons et quatre traîneaux tirés chacun par treize chiens, et assez de vivres pour quatre mois. La traversée de l'immense champ de glace peu accidenté que limite la barrière de Ross s'effectue sans grandes difficultés : plus de 1 700 km sont parcourus en moins d'un mois. Le temps est favorable, et le voyage se déroule sans encombre. Mais le voyage devient plus difficile à travers un massif montagneux qu'Amundsen appelle la chaîne de la Reine-Maud, qui limite le haut plateau antarctique. L'expédition s'insinue à travers elle par le grand glacier Axel Heiberg. D'autres obstacles sont contournés. Au pied de la chaîne des monts Dominion, c'est un terrible glacier, labouré d'innombrables crevasses et baptisé par Amundsen la « Salle de bal du Diable ». Il faudra seize étapes pour franchir les 320 km de la région montagneuse. Enfin, le 6 décembre, le point culminant du parcours est franchi, quand l'équipe escalade un sommet de 3 276 mètres. Peu après, les plus grandes difficultés surmontées, le plateau est abordé. Le 14 décembre 1911, à trois heures de l'après-midi, des observations du ciel confirment qu'ils ont atteint le pôle Sud, dans une région plane qu'Amundsen baptise Terre du Roi-Haakon-II. Le drapeau norvégien est planté. Rendant hommage à ses compagnons, Amundsen les décrit ainsi : « Après avoir été à la peine, ils devaient être aujourd'hui à l'honneur. Saisissant tous les cinq la hampe, nous élevâmes le pavillon et, d'un seul coup, l'enfonçâmes dans la glace. » L'équipe demeure sur place jusqu'au 17 décembre, effectuant des relevés et des observations, abandonnent une tente surmontée du drapeau norvégien, et font des raids dans toutes les directions pour couper court à toutes contestations possibles quant à leur localisation du pôle : l'un d'eux, de toute façon, aura foulé la latitude 90°. Le retour, par le même itinéraire qu'à l'aller, s'effectue vite et sans grandes difficultés. Les dépôts de vivres sont retrouvés, et les explorateurs sont à leur base le 25 janvier 1912. En 97 jours, ils ont franchi 2 400 km. Le 30 janvier, le Fram quittait la baie des Baleines, et, le 8 mars, Amundsen pouvait télégraphier à son roi et au Daily Chronicle la nouvelle de son exploit. Entre-temps, Scott et quelques membres de son groupe ont atteint le pôle le 17 janvier, après un périple épuisant. Ils y trouvent le drapeau d'Amundsen et les messages qu'il a laissés. Scott et tous ses compagnons périssent sur le chemin du retour.
5. Le passage du Nord-Est et les dernières expéditions
Cet extraordinaire exploit se conclut également par des conférences très applaudies dans la plupart des grandes capitales. Amundsen peut réunir les fonds nécessaires pour se faire construire un nouveau navire, le Maud, et tente encore une dérive en 1918, en partant du passage du Nord-Est. Il ne peut dépasser le cap Tcheliouskine, à proximité duquel il doit hiverner. En 1919, la banquise est si compacte qu'il doit employer la dynamite pour repartir : il ne retrouve une mer un peu libre que le 12 septembre. Après avoir dépassé les îles de la Nouvelle-Sibérie, il se dirige vers le nord pour se faire prendre par le pack. Au bout de quelques jours, c'est l'affreuse déception, qui condamne toute sa tentative : la banquise dérive dans cette région vers le sud ! Amundsen n'a plus qu'à dégager le Maud des glaces : il va hiverner près de l'extrémité orientale de la côte sibérienne, dans la baie de la Tchaoun. Nouvel échec pendant l'été de 1920. Découragé, Amundsen abandonne sa tentative de dérive et se tourne vers l'aviation : il a appris le pilotage dès 1913. Après des essais malheureux en Alaska avec un Junker (1923), il atteint la latitude de 87° 44' au cours d'un raid, avec Ellsworth et quatre autres compagnons sur deux hydravions Dornier, en mai 1925. Il est contraint d'atterrir à 218 kilomètres du but. L'un des appareils est endommagé, et le deuxième aura beaucoup de difficultés pour ramener tout le monde au Spitzberg.
Toujours à la pointe du progrès, Amundsen va encore essayer une nouvelle technique pour explorer l'Arctique : avec un dirigeable construit par l'Italien Umberto Nobile, le Norge, il part du Spitzberg, survole le pôle Nord le 11 mai 1926, et gagne ensuite l'Alaska. Si Byrd l'a précédé par la voie aérienne, Amundsen n'en connaît pas moins un véritable triomphe lorsqu'il rentre par les États-Unis. Cette expédition lève un des derniers doutes que l'on gardait sur la géographie de l'Arctique : aucune terre ne s'étend entre le pôle et la pointe Barrow, sur la côte de l'Alaska.
La mort d'Amundsen ajoutera encore à sa gloire : le 24 mai 1928, Nobile avait conduit un nouveau dirigeable, l'Italia, au-dessus de l'Arctique, mais sans Amundsen, auquel l'oppose une certaine rivalité. On apprend le 9 juin, par la radio, que le dirigeable a dû se poser sur la banquise le 25 mai, et que la situation des Italiens est difficile.
Amundsen veut faire quelque chose pour son ancien compagnon. À Tromsø, en Norvège, le 18 juin, il monte à bord d'un avion fourni par la France, un Latham piloté par René Cyprien Guilbaud (1890-1928), qui avait fait le tour du monde avec un appareil de ce type. Nobile sera sauvé plus tard, mais le Latham disparaît à jamais, quelque part dans l'océan Arctique, sous des latitudes dignes de recevoir la dépouille du conquérant du pôle.
Le célèbre explorateur a écrit plusieurs ouvrages : To the North Magnetic Pole and Throught the Northwest Passage (1907), The South Pole (1913) et My Life as an Explorer (1927).