Marguerite de Crayencour, dite Marguerite Yourcenar
Femme de lettres de nationalité française et américaine (Bruxelles 1903-Mount Desert Island, Maine [É.-U.], 1987).
Marguerite Yourcenar fut, en 1980, la première femme élue à l'Académie française. Son œuvre érudite et spirituelle – riche en poèmes, en essais, en pièces de théâtre et en romans historiques ou autobiographiques – témoigne d'une intense curiosité intellectuelle.
La passion du cosmopolitisme
Orpheline de mère, Marguerite de Crayencour est élevée par un père aristocrate qui lui transmet son goût des voyages et de la culture antique. Installée à Paris (1912), elle apprend l'anglais à Londres, où elle se réfugie un an pendant la Première Guerre mondiale (1914), puis, après son retour en France, passe un baccalauréat latin-grec à Nice (1919). Elle fait son entrée en littérature avec deux recueils de poèmes : le Jardin des chimères (1921), bientôt suivi de Les dieux ne sont pas morts (1922). C'est à cette époque qu'elle invente, avec l'aide de son père, l'anagramme Yourcenar, qui deviendra son nom légal aux États-Unis en 1947. Très rapidement, la jeune femme éprouve le besoin de varier ses sources d'inspiration. De 1921 à 1925, elle compose une vaste fresque romanesque, dont elle ne conservera que trois fragments qui paraîtront sous le titre La Mort conduit l'attelage (1934). Dès 1926, elle termine une biographie de Pindare (publiée en 1932), inaugurant ainsi la veine des essais.
C'est grâce à ses talents de romancière que Yourcenar se fait remarquer. En 1929, elle signe Alexis ou le Traité du vain combat, histoire d'un jeune homme avouant son homosexualité à sa femme – où se lit l'influence d'André Gide. Deux ans plus tard, la critique souligne de nouveau le ton gidien de la Nouvelle Eurydice. Après Denier du rêve (1934 ; version définitive en 1959), un roman qui traite de l'Italie fasciste sur un mode « mi-réaliste, mi-symbolique », Yourcenar fait en 1937 une rencontre déterminante sur le plan amoureux : celle de Grace Frick, une enseignante américaine qui deviendra par ailleurs sa traductrice en langue anglaise. Elle publie des Nouvelles orientales (1938), qui revisitent les mythes de l'Extrême-Orient, et poursuit son œuvre romanesque avec le Coup de grâce (1939, repris en 1953 ; porté à l'écran par Volker Schlöndorff en 1976), qui raconte une passion impossible sur fond de guerres balkaniques. En 1939, elle rédige une Présentation critique de Constantin Cavafy (publiée en 1958), suivie d'une traduction des Poèmes de ce dernier. Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, Yourcenar, qui sillonnait l'Europe (Suisse, Grèce, Italie, Belgique, Angleterre), part pour les États-Unis. Elle devient enseignante, obtient la naturalisation sans toutefois perdre la nationalité française (1947), puis s'installe sur l'île de Mount Desert (1950) avec Grace Frick, qui demeurera sa compagne jusqu'à ce que la mort les sépare (1979).
Les honneurs du monde des lettres
En 1951, Yourcenar accède à la notoriété grâce aux Mémoires d'Hadrien, roman méditatif qui prend la forme d'une lettre écrite par l'empereur Hadrien à son successeur, Marc Aurèle. Auteure de pièces de théâtre (la Petite Sirène, 1943 ; Électre ou la Chute des masques, 1954 ; le Mystère d'Alceste, 1963 ; Qui n'a pas son Minotaure ?, id.), de poèmes (les Charités d'Alcippe, 1956), d'essais (Sur quelques thèmes érotiques et mystiques de la Gîta-Govinda, 1957 et 1982 ; Mishima ou la Vision du vide, 1981), elle fait preuve d'une inlassable curiosité intellectuelle : elle traduit Henry James (Ce que savait Maisie), Virginia Woolf (les Vagues), des negro spirituals (Fleuve profond, sombre rivière, 1966), des poètes lyriques de la Grèce ancienne (la Couronne et la Lyre, 1979). Conférencière, elle s'intéresse notamment aux Tragiques d'Agrippa d'Aubigné, à l'architecture de Piranèse, à la dimension épique chez Selma Lagerlöf (Sous bénéfice d'inventaire, 1962, augmenté en 1978). En 1968, elle signe un nouveau chef-d'œuvre : son roman l'Œuvre au noir, qui est à la Renaissance de l'Europe du Nord ce que les Mémoires d'Hadrien étaient à l'Antiquité latine, obtient le prix Femina.
Reçue à l'Académie royale de Belgique (1971), première femme élue à l'Académie française – grâce au soutien de Jean d'Ormesson (1980) –, Yourcenar exhume ses souvenirs familiaux dans une trilogie intitulée le Labyrinthe du monde (Souvenirs pieux, 1974 ; Archives du Nord, 1977 ; Quoi ? l'Éternité, 1988[inachevé et posthume]). On lui doit aussi un autoportrait, les Yeux ouverts (1980), fruit d'entretiens accordés au journaliste Mathieu Galey (1934-1986). Entrée de son vivant dans la Bibliothèque de la Pléiade (1982), elle jette un dernier regard, à la fois curieux et apaisé, sur le monde et la mémoire dans les nouvelles de Comme l'eau qui coule (1982)et dans les essais du Temps, ce grand sculpteur (1983). Elle s'éteint à l'âge de 84 ans, alors qu'elle travaille à la rédaction de Quoi ? l'Éternité. Son abondante correspondance, reflet de la finesse et de la profondeur de sa pensée, est toujours en cours de publication (D'Hadrien à Zénon, 1951-1956, 2004 ; « Une volonté sans fléchissement », 1957-1960, 2007).