Mahalia Jackson
Chanteuse américaine (La Nouvelle-Orléans 1911-Chicago 1972).
Après avoir chanté (dès 1927) dans les églises de Chicago, elle connut le succès à partir de 1946. Elle fut l'une des plus grandes chanteuses de negro spirituals et de gospel songs, la première « star » du chant évangélique.
Repoussant toutes les tentations d'une carrière profane, elle n'a dû qu'à son seul génie de devenir la seule star du chant sacré. Pourtant, le chant des sirènes a toujours sollicité cette incorruptible fidèle de l'Église baptiste. Dès l'enfance, elle s'imprègne des formes les plus authentiques du chant afro-américain : dans cette Mount Moriah Church qui jouxte l'humble maison familiale, et où son père, barbier en semaine, prêche le dimanche, ni orgue ni chœur ; les hymnes éclatent au son des seules percussions, et la transe ouest-africaine ressuscite naturellement. Mahalia se dira toujours fascinée par ce joyful noise unto the Lord, ce « joyeux vacarme adressé à Dieu » dont parlent les psaumes de David, et qui contraste si fort avec l'austérité des rites protestants. Mais, en même temps, l'adolescente profite des corvées domestiques pour écouter en cachette Bessie Smith qui restera (avec Caruso !) sa seule idole. Lorsqu'à seize ans elle ouvre à Chicago une échoppe de cosmétiques, la « Cité des Vents » vit dans un fantastique tourbillon musical où disparaît le tabou qui séparait la « musique de Dieu » et « celle du Diable ». Thomas E. Dorsey (1899-1993) y est le pionnier du gospel moderne, dont il s'affirme le compositeur le plus inspiré (Precious Lord). Or, quelques années plus tôt, il était sous le nom de Georgia Tom un des bluesmen les plus sarcastiques…
Mahalia enregistre son premier disque en 1937. Puis Dorsey devient son mentor, et, pendant dix ans, elle forme un duo avec lui avant de connaître son heure : avec Move On Up a Little Higher (1947), vendu à plus de deux millions d'exemplaires, puis avec Silent Night. Elle triomphe à Carnegie Hall, anime sa propre émission sur la chaîne CBS-TV, et tourne en Europe. En 1958, elle chante au festival de Newport et grave avec Duke Ellington une nouvelle version de sa célèbre suite Black, Brown and Beige. Très liée à Martin Luther King, elle prête sa voix au mouvement pour les droits civiques, et se produit dans le monde entier, malgré des problèmes cardiaques. Mais sa célébrité universelle ne représente en fait que la facette superficielle d'un destin presque exclusivement dédié à son Église : dès son arrivée à Chicago, elle avait refusé le pont d'or que lui offrait Earl Hines, le plus célèbre chef d'orchestre de la ville aux mille night-clubs… De même, cette autodidacte farouche, qui considérait le « naturel » comme un don inaltérable de Dieu, n'accepta jamais de cours de chant, et subit à peine les conseils affectueux de ses aînées, Sallie Marin et Willie Mae Ford Smith. Curieusement, sa gloire et surtout son contrat avec la firme « blanche » CBS lui ont un peu fait perdre son propre public, celui de ces ghettos dont elle a révélé au monde entier l'expression la plus sacrée…