Keith Jarrett
Pianiste et compositeur de jazz américain (Allentown, Pennsylvanie, 1945).
Son jeu sensuel se caractérise par un engagement physique et une ferveur mélodique et rythmique intenses (The Köln Concert, 1975).
Lorsque Jarrett se produit pour la première fois en France (festival d'Antibes 1966, au sein du quartette de Charles Lloyd), public et critiques sont médusés par ce petit homme qui plonge avec gourmandise dans le ventre du piano, se déchaînant sur les touches, pinçant et grattant les cordes, parsemant de lambeaux free ses solos qui chantent et qui dansent, débordant d'un lyrisme extrême ; déjà, le « style Jarrett » transparaît, celui d'un romantique moderne nourri de l'Église noire, du stride, du folklore américain, de la pop music, de l'avant-garde, et, plus tard, de Schumann, Ravel, John Cage et… Jarrett. Car, loin de ressembler à un patchwork, sa musique s'alimentera d'elle-même au fur et à mesure qu'elle se déroulera en un « perpetuum mobile ».
Avant son passage chez Lloyd, il aura été l'un des « Jazz Messengers » d'Art Blakey ; après, il formera un trio avec Charlie Haden et Paul Motian avant de rejoindre (lui aussi) Miles Davis (1970-1971), qui lui demandera de jouer du piano électrique et de l'orgue. Pour la compagnie munichoise E.C.M., Jarrett enregistre Facing You en piano solo (1971), et triomphe dans cette formule lors de nombreux concerts en Europe gravés sur disques : Brême, Lausanne (1973), Cologne (1975), Munich (1981), ou au Japon (un album de dix disques, Sun Bear Concerts, 1976).
Devenu la coqueluche d'un public de plus en plus large, Jarrett, qui ne sacrifiera pas à la mode électronique, a maîtrisé sa démarche qui consiste à s'aventurer dans des mondes modaux dont les climats varient et s'interfèrent avec une constante disponibilité, fluidité, vitalité, générosité, une tendance au maniérisme ; déambulations labyrinthiques, ses longues prestations aboutissent en leur milieu à une sorte d'incantation mélodico-rythmique, de paroxysme qui s'apaise progressivement, quand ce n'est pas le tissage d'infinis réseaux de sensations extatiques, hypnotiques, le tout formant « quelque chose comme Chopin et Art Tatum descendant ensemble le cours d'une rivière en canoë » (le critique S. Davis).
Il aura formé deux quartettes entre 1972 et 1979 (avec Dewey Redman, Haden, Motian, et « Belonging » avec le Norvégien Jan Garbarek), enregistré avec des orchestres symphoniques avant de revenir en 1983 aux standards du jazz qu'il transcende, en compagnie de Gary Peacock (basse) et Jack DeJohnette (batterie), avec un nouveau bonheur de jouer.