Johnny Clegg
Chanteur, auteur-compositeur et guitariste de rock et de world music sud-africain (Rochdale, Lancashire, Grande-Bretagne, 1953 – Johannesburg 2019).
Rarement un artiste aura autant exprimé et accompagné les changements majeurs de son pays. Ses origines, sa biographie et ses options musicales en sont la cause.
Johnny Clegg passe une bonne partie de son enfance entre le Zimbabwe, où sa mère est née, et l'Afrique du Sud. Il passe aussi deux ans en Zambie, loin du régime de l'apartheid, où il découvre la musique et les instruments africains. À Johannesburg, deux personnes lui ouvrent les portes du monde musical : son beau-père, journaliste passionné de cultures africaines (fait plutôt rare pour un Blanc), et un homme de ménage employé dans une maison voisine : le danseur et guitariste zoulou Mntonganazo « Charlie » Mzila. Il conserve en même temps une connexion musicale avec l'Angleterre, dont il écoute le folklore traditionnel.
Johnny Clegg n'a pas quinze ans lorsqu'il suit son guitariste-éclaireur dans les ghettos noirs. Fasciné par la culture zouloue, il se met aussi à la danse, se jouant de l'apartheid et de ses règles, marginal parmi les marginaux (fille d'émigrés russes, sa mère s'était elle aussi retrouvée en porte-à-faux avec son milieu d'origine, composé de juifs orthodoxes).
Le Zoulou blanc. À l'occasion d'un concours de guitare, Clegg rencontre Sipho Mchunu, Zoulou du Natal arrivé à Johannesburg en 1969. C'est le début d'une longue amitié : le duo noir et blanc bouscule tous les schémas de la musique sud-africaine, dominée jusqu'à présent par un son importé des pays anglo-saxons. Dès 1972, on les voit ensemble sur les campus — Clegg étudie l'anthropologie sociale —, où ils multiplient concerts et conférences, subissant souvent injures et tracasseries policières.
Sur le plan musical, ils ouvrent une voix totalement nouvelle : celle du métissage entre les rythmes noirs et blancs. Résultat : un rock zoulou mêlant les chants africains à la guitare électrique. De quoi séduire la nouvelle génération antiapartheid, qui applaudit le groupe Juluka (« sueur », en zoulou), mis sur pied en 1976, avec six musiciens, trois Blancs et trois Noirs. Sept albums verront le jour : Universal Men en 1979 >, African Litany en 1981, Ubulhe Bemvelo et Scatterlings Of Africa en 1982, Work For All en 1983, Musa Ukungilandela en 1984 et The Good Hope Concerts en 1985.
Malgré la censure qui les interdit à la radio, Juluka rafle cinq disques d'or et deux disques de platine d'affilée, tandis que Johnny Clegg approfondit la symbolique des danses zouloues (sujet de la thèse qu'il prépare : le symbolisme et la gestuelle dans l'ishihamani). Le groupe entame en 1982 une carrière internationale. Concerts en Angleterre, où les comités antiapartheid accueillent plutôt fraîchement le Zoulou blanc, soupçonné de piller la culture noire. Concerts en France, où la maison Celluloid édite deux disques. Concerts plus timides aux États-Unis.
En 1985, alors que la chanson Scatterlings Of Africa devient un hit mondial, Sipho Mchunu ne trouve plus son compte dans le tourbillon du show-business occidental. Il décide de mettre fin au duo et regagne son Zululand natal. Johnny Clegg s'investit alors davantage dans la politique. Il soutient les prisonniers d'opinion et milite au sein de l'UDF (United Democratic Front), la vitrine légale de l'ANC (African National Congress). Côté musique, il monte le groupe Savuka (« Nous nous sommes levés »), qui donne l'un de ses premiers concerts au Festival métis d'Angoulême. Les chorégraphies guerrières de Savuka emportent l'adhésion du public.
Clegg triomphe au Printemps de Bourges en 1988, avec Asibonanga, une chanson en hommage à Nelson Mandela. Chaque album accompagne le processus historique qui est en train de transformer l'Afrique du Sud : ainsi, peu avant la libération, en 1990, du plus vieux prisonnier du continent noir, il enregistre One Man, One Vote, reprenant l'un des slogans de l'ANC. Mais la politique va bientôt se retourner contre celui qui l'a vécue, en tant qu'artiste, si intensément. La mort de son percussionniste et ami Dudu Zulu, en 1992, marque profondément Johnny Clegg. Une mort stupide, parce que le musicien a voulu s'interposer dans une bagarre de chauffeurs de taxi. Plus largement, la fin de l'apartheid, en changeant les enjeux politiques et culturels dans le pays, pèse sur la musique de Clegg, fortement teintée jusque-là d'un punch très militant.
Pop, rock et tambours. Chantant en anglais comme en zoulou, Johnny Clegg fait tourner la rythmique à grande vitesse, sur des mélodies le plus souvent enjouées. Pratiquant au moins trois sortes de danses traditionnelles, il lance son rock and roll dans un corps à corps irrémédiable avec les rythmes zoulous. « Je suis un Zoulou celte », dit-il parfois, en référence à ses origines écossaises, convaincu qu'il existe un lien de parenté entre la guitare zouloue et la cornemuse. Clegg est l'un des seuls à marier trois styles de guitare dans un même morceau : une guitare highlife, une guitare mbaqanga et une troisième très rock. Ses dernières créations se rapprochent cependant d'une musique pop plus banale, plus internationale. Comme s'il voulait prendre ses distances avec les dérives du nationalisme zoulou, avatar politique du tribalisme, il fait appel au reggae et à la pop techno. Les chœurs zoulous n'en continuent pas moins de donner à son rock une coloration franchement africaine, à la fois rurale et urbaine. Après une éclipse de trois ans, il retrouve en 1997 son vieux complice Sipho Mchunu pour l'album Crocodile Love, où, tout en conservant sa guitare zouloue, il s'ouvre au hip-hop, au rap et à la techno.