Greta Lovisa Gustafsson, dite Greta Garbo
Actrice de cinéma suédoise, naturalisée américaine (Stockholm 1905-New York 1990).
Greta Garbo incarna l'un des idéaux de la femme au cinéma. Son insondable beauté – Barthes alla même jusqu'à consacrer à son visage une de ses Mythologies – tout autant que sa personnalité secrète firent d'elle une figure de légende, qu'on surnomma la « Divine ».
La star éthérée du muet
Troisième enfant d'une famille pauvre, Greta Gustafsson est orpheline à l'âge de 14 ans. En 1922, après quelques apparitions dans des films publicitaires, elle décroche un petit rôle dans une comédie burlesque, Peter le vagabond (Erik A. Petschler [1881-1945]). Elle prépare alors et réussit le concours d'entrée à l'Académie royale d'art dramatique. Mauritz Stiller la remarque et lui offre un rôle de comtesse dans la Légende de Gösta Berling (1924). Le cinéaste s'éprend d'elle et la rebaptise Greta Garbo (« bonne fée » en norvégien). La Légende est un succès, spécialement en Allemagne, pour l'actrice, superbe, qui transmet déjà ce sentiment de mélancolie lointaine qui la caractérisera. Mais, endetté, Stiller doit « louer » sa vedette à Georg Wilhelm Pabst, qui donne à Garbo le premier rôle dans la Rue sans joie en 1925.
La même année, le producteur Louis B. Mayer (1885-1957) engage Stiller pour le compte de la Metro-Goldwyn-Mayer (MGM), et aussi, sans conviction, Garbo. Pourtant, en 1926, celle-ci tourne son premier film hollywoodien sans Stiller : le Torrent (Monta Bell [1891-1958]), qui plaît et fait recette. La société de production commence à croire en l'étoile de Garbo, laquelle exige que la Tentatrice (1926) soit confiée à Stiller ; mais ce dernier, qui ne s'adapte pas aux méthodes d'Hollywood, est remplacé par Fred Niblo (1874-1948). La MGM semble avoir très tôt défini sa politique vis-à-vis de sa vedette : elle jouera la carte de l'exotisme. Ainsi, Garbo est blonde et espagnole dans le Torrent, brune et parisienne dans la Tentatrice. Elle est russe dans Anna Karenine (Edmund Goulding [1891-1959], 1927 ; deuxième version de Clarence Brown [1890-1987], 1935), comtesse hongroise dans la Chair et le Diable (Brown, 1927) et espionne russe dans la Belle Ténébreuse (Niblo, 1928). Elle est parisienne encore dans la Femme divine (Victor Sjöström, id.) et lyonnaise dans le Baiser (Jacques Feyder, 1929). Rentré en Suède, malade et aigri, Stiller meurt en novembre 1928, laissant Garbo désemparée. L'actrice se retire. La MGM redoute que le cinéma parlant ne lui soit fatal.
La femme aux deux visages
La crainte s'avère sans fondement : dès 1930, Anna Christie (Brown) impose la « voix de contralto profond » de Garbo. Le réalisme poétique du film ne contredit pas le mythe ; bien au contraire, il le nourrit de pouvoirs nouveaux. Une féconde compétition commence bientôt entre la MGM et la Paramount, entre Greta Garbo et Marlene Dietrich. Tandis que Dietrich tourne dans Blonde Vénus (Sternberg, 1932), Shanghai Express (ibid.), l'Impératrice rouge (Sternberg, 1934) et la Femme et le Pantin (id., 1935), Garbo joue dans l'Inspiratrice (Brown, 1931), Grand Hôtel (Goulding, 1932), Mata-Hari (George Fitzmaurice [1885-1940], 1932) et la Reine Christine (Rouben Mamoulian [1897-1987], 1933). Un passionnant réseau d'échos, de correspondances et de symétries s'engage entre les deux actrices. Dans ses premiers rôles américains (muets), Garbo incarnait une vamp pure et passionnée que le destin châtie à la fin. Désormais, elle devient la victime de l'égoïsme masculin et du puritanisme dominant. Son impossibilité d'être aimée se révèle impossibilité de vivre, nostalgie de l'absolu, une sorte d'exil au sein de la condition humaine.
Après le Roman de Marguerite Gautier (Cukor, 1937), le phénomène du « divisme » décline. Bientôt, la Seconde Guerre mondiale prive Hollywood du marché européen grâce auquel les films de Garbo font l'essentiel de leurs recettes. L'« étrangère » doit être convertie en Américaine (elle sera naturalisée en 1951), l'étoile inaccessible ramenée sur la terre ferme. Ernst Lubitsch trouve en elle une merveilleuse actrice comique pour Ninotchka (1939). Dans la Femme aux deux visages (Cukor, 1941), elle incarne la femme américaine type, gaie, sportive, conquérante épanouie. Mais Garbo se plie difficilement à l'entreprise. Le film est un échec. L'actrice décide d'abandonner l'écran, jusqu'à la fin de la guerre disent certains. Mais elle n'y reviendra plus, scellant ainsi sa légende dans la jeunesse et la beauté.