Earl " Fatha " Hines
Pianiste et chef d'orchestre de jazz américain (Duquesne, Pennsylvanie, 1905-Oakland 1983).
Il est un des pères du piano moderne et a développé le « trumpet-piano style », caractérisé par l'action de la main droite, qui joue des phrases exécutées en octaves, certaines notes étant prolongées par un trémolo correspondant au vibrato de la trompette. Parmi ses enregistrements, citons : E. H. Big Band (1945-1946), Piano solos (1965).
Quand on est le seul à mériter des autres le surnom à la fois respectueux et familier de « Fatha » (Papa), ce n'est pas sans raison : premier grand créateur du jazz originaire du nord des États-Unis, Earl Kenneth Hines a gagné à vingt-cinq ans un pari dont l'enjeu était peut-être rien moins que l'avenir du jazz comme musique savante. Il s'agissait de savoir si le piano, avec toutes ses ressources percussives, mélodiques et harmoniques, deviendrait un grand instrument soliste du jazz au même titre que la clarinette et les cuivres…
Or Hines, dont le père jouait du cornet, a appris cet instrument en même temps que le piano. D'instinct, il élabore au clavier, dès ses débuts à Pittsburgh, un style claironnant et même tonitruant, qui lui permet de rivaliser avec les « souffleurs ». Ses longs doigts et son sens inné des contrastes donnent à ce trumpet-piano-style une efficacité redoutable.
Plongé dès 1924 dans l'extraordinaire effervescence musicale de Chicago où il fonde son propre groupe, Hines se retrouve miraculeusement voisin d'immeuble de Louis Armstrong. C'est comme pianiste de ce dernier, au sein du Hot Five et du Hot Seven, ou en duos mémorables qu'il affirme ses dons de soliste. Leur collaboration servira de modèle initial à tout le jazz de petite formation jusque vers 1940.
De 1929 à 1948, Hines dirige au Grand Terrace Ballroom de Chicago (l'équivalent du Cotton Club new-yorkais) un big band où défileront les plus grands créateurs du jazz moderne, notamment Dizzy Gillespie, Charlie Parker et Sarah Vaughan.
Hines est aussi l'un des premiers pianistes de jazz qui joue et enregistre en solo (dès 1928). Éblouissant d'invention et de swing, il exerce par ses disques et par la radio un impact décisif sur les grands maîtres de la génération suivante : Art Tatum, Teddy Wilson, Count Basie, Nat Cole, et même Bud Powell par l'intermédiaire de son élève Billy Kyle. Mais lui-même a toujours reconnu honnêtement l'influence de Fats Waller…
Fixé très tôt, le « style Hines » est très complexe : alternance de stride et de basse ambulante, avec à la main gauche des intervalles de dixième ; à la droite, longues phrases monodiques brusquement interrompues par un trille, un silence, un saut à l'octave ou tout autre effet surprenant ; tempo doublé sur quelques mesures ; décalages rythmiques et contretemps ultra-syncopés à la main gauche… On est déjà loin du stride pur qui restera pourtant, au grand dam du « Fatha », le style dominant jusqu'à la fin des années 1930.