Carl Theodor Dreyer
Cinéaste danois (Copenhague 1889-Copenhague 1968).
Carl Theodor Dreyer fut un des maîtres du cinéma. Son œuvre, qui explore l'intériorité des êtres en se fondant sur la beauté plastique du noir et blanc, allie la profondeur de la démarche spirituelle et l'élégance formelle d'un style rigoureux.
Les films d'apprentissage
Journaliste de 1909 à 1915 (il débute par des critiques théâtrales qu'il envoie à des journaux de province), Dreyer se partage entre le reportage et l'écriture de billets satiriques ou pittoresques. Entré dès 1912 à la Nordisk Film, il y est rédacteur d'intertitres, adaptateur, conseiller artistique et scénariste. Il y tourne son premier film en 1918 (le Président). Ses exigences esthétiques, son intransigeante rigueur, aussi bien que l'exiguïté cinématographique de son pays, feront de lui un cinéaste rare, nomade et international. En cinquante-six années d'activité, il réalisera quatorze films, dans cinq pays différents. Sa période muette sera de loin la plus féconde : en moyenne, un film par an, contre un tous les dix ans pour le parlant.
Influencé par Griffith (il voit Intolérance en 1918), par Mauritz Stiller, Victor Sjöström et l'école suédoise (son intimisme, sa spiritualité, son sentiment du paysage), Dreyer doit peu à l'expressionnisme cinématographique allemand. En deux ans, avec le Président, Pages arrachées au livre de Satan (1920) et la Quatrième Alliance de dame Marguerite (id.), il invente son écriture, établit sa vision morale et définit ce « réalisme métaphysique » qui rend son art sans pareil. En 1924, il tourne en Allemagne Mikaël, qui se déroule dans les milieux artistiques de Berlin autour de 1900. Le « dialogue » entre les personnages est d'une profonde et élégante subtilité. On y retrouve, sur un registre mineur, la peinture d'une foi bafouée ou déçue et néanmoins généreuse – le don et le sacrifice compensant victorieusement l'échec ou la frustration. En 1925, il tourne le Maître du logis. Le film a un humour que Dreyer, non sans malice, ensevelira ultérieurement dans la gravité de ses œuvres les plus tragiques. Il montre aussi une férocité extrême à l'endroit de la société et du moralisme bourgeois. Dans ce film, le cinéaste réussit la gageure de ressusciter plastiquement la spiritualité d'une époque, saisie dans la lumière, le décor et le rythme de la mise en scène.
Les œuvres majeures
Le Maître du logis remporte un éclatant succès en France. Dreyer est invité à venir y travailler. C'est ainsi que naît la Passion de Jeanne d'Arc (1928). Couronnement des recherches de l'avant-garde française, allemande et soviétique (Eisenstein), le film démontre que le cinéma est un art et que, art absolu, le muet parle. Surmontant les contraintes du genre, Dreyer bâtit dans cette œuvre un langage fondé sur une succession obsédante de gros plans de Jeanne et de ses juges.
Le parlant venu, le cinéaste tourne Vampyr (1932). Le relief des sons, l'extrême rareté des paroles contribuent, avec une lumière onirique et une envoûtante lenteur, à suggérer l'envers du réel, cauchemardesque et néanmoins banal. Malheureusement, l'échec commercial de Vampyr compromet la carrière de Dreyer. Appelé en Grande-Bretagne, il ne parvient pas à s'intégrer à l'école documentariste. En 1934, il refuse de tourner dans l'Allemagne hitlérienne une adaptation du Pan de Knut Hamsun. Il rentre au Danemark, retourne au journalisme et se fait critique de cinéma. En 1943, il peut enfin se consacrer à Dies Irae (Jour de colère). Bien que ce film soit situé au xviie siècle, le procès de l'intolérance et de la barbarie doctrinaire y revêt sa pleine signification politique et sa dimension d'actualité : le Danemark est en effet occupé par l'armée nazie. Dreyer se réfugie alors en Suède. En 1946, rentré d'exil, il crée une école documentariste soutenue par l'État danois. Il y dirigera, entre 1946 et 1956, six courts-métrages et collaborera à cinq autres.
À partir de 1949, Dreyer s'attelle à un immense projet qui restera inachevé : Jésus juif. En 1955, avec Ordet, il réalise le seul de ses films qui exige un spectateur croyant. À côté de cette œuvre magistrale, Gertrud (1964) peut apparaître comme un film mineur et bien profane. Gertrud reste néanmoins un film religieux en ce sens que l'héroïne, après avoir sacrifié son existence à un idéal d'amour, réaffirme à la fin de sa vie que « l'amour est tout », en dépit des échecs. Après Gertrud, Dreyer projette un film sur Médée, mais il ne trouvera pas les fonds pour le réaliser, car, depuis des années déjà, il en est réduit, pour vivre, à diriger un cinéma à Copenhague.