trompe-l’œil
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la peinture ».
Le trompe-l’œil est l’art de représenter des objets par la peinture de manière qu’ils paraissent exister réellement.
Les tentatives opérées en ce sens peuvent être regardées comme extrapicturales, voire antipicturales, si l’on admet qu’un tableau, même conçu selon l’esthétique classique, se doit avant tout d’être lui-même un objet dont le caractère essentiel est d’être plat. Le trompe-l’œil se justifie pourtant sur le plan plastique par la nécessité devant laquelle un artiste peut se trouver placé, en peinture monumentale, d’intégrer sa composition à l’édifice en y introduisant des éléments d’ordre architectonique ou sculptural, tout en maintenant une unité que pourrait compromettre une exécution en volume réel, où ces éléments seraient soumis aux variations de la lumière extérieure. Indépendamment de la donnée économique, qui peut évidemment se poser, il est parfois plus aisé d’accorder avec un ensemble peint une imitation de bois ou de marbre que ces matières elles-mêmes.
Mais le trompe-l’œil a une signification esthétique plus large et plus profonde, applicable à la peinture de chevalet. Il peut toujours arriver, en effet, que les formes et les couleurs mises en œuvre par le peintre puissent capter l’attention du spectateur au point de lui faire oublier qu’elles sont liées à la matérialité du tableau. Ainsi est-il probable que des peintures essentiellement appréciées aujourd’hui pour leurs qualités plastiques aient été ressenties comme facteurs d’illusion. Il reste que, dans le cadre des possibilités d’appréhension de la réalité par la peinture, le trompe-l’œil est un courant qui a ses caractères propres.
Trompe-l’œil et nature morte
À partir de la seconde moitié du xve s., c’est dans la nature morte que se trouvent les effets de trompe-l’œil les plus convaincants. C’est que, tout d’abord, dans ce genre, les tableaux ne sont généralement pas très grands ; le regard peut donc embrasser l’image entière sans avoir trop à se déplacer. Il est aisé d’agencer les éléments de la composition sans se préoccuper de la logique qu’impose un sujet, ce qui permet de recourir à maint artifice, tel que celui de l’objet dépassant légèrement le rebord d’une table. On peut encore noter qu’aucune recherche de mouvement ne vient perturber l’essence de l’objet, qui peut en outre être observé en toute tranquillité dans une lumière stable.
Ainsi, dans une nature morte de l’école allemande (v. 1470-1480), on voit, au-dessus d’un ensemble de bouteilles, cruches et autres objets auxquels sont mêlés des livres, les deux portes d’une armoire, dont l’une est entrouverte. La décoration et les ferrures de ces portes ainsi que le trousseau de clés qui pend à la serrure sont traités selon un trompe-l’œil très réussi. Dans un curieux tableau où un bouquet de fleurs est présenté dans une niche ouverte sur un paysage (Mauritshuis), c’est au contraire une sorte de profondeur en trompe-l’œil que réalise Ambrosius Bosschaert le Vieux. On n’oubliera pas non plus l’exploitation du trompe-l’œil dans le domaine de la marqueterie qui utilise notamment en Toscane et à Urbino toutes les ressources de la perspective (Urbino, Studiolo de Federico da Montefeltro), ni les œuvres des Lendinara (Padoue, basilique S. Antonio), de Fra Giovanni de Vérone (Vérone, S. Maria in Organo) ou celles du peintre Lorenzo Lotto réalisées à Bergame (S. Maria Maggiore).
Au xviie s., on sait de quelle virtuosité les peintres néerlandais font preuve dans le rendu de la matière des objets et des fruits, quitte à répéter fréquemment certains poncifs, comme celui de la pelure de citron, dont la spirale crée un volume qui semble sortir du tableau (D. de Heem, Nature morte au citron pelé, Louvre).
Le trompe-l’œil comme genre
Mais les natures mortes que l’on peut considérer sans équivoque comme de pures recherches de trompe-l’œil sont, au xviie s., au xviiie s. et au xixe s., celles dont les éléments sont des objets plats tels que papiers, enveloppes, plumes, rubans, instruments de géométrie, plaqués sur une planche. Seules les petites irrégularités du papier corné ou légèrement froissé, par exemple, donnent le sentiment du relief. Parmi ces curieux assemblages d’objets, on peut citer ceux qu’exécuta J. F. de Le Motte vers 1650, celui de Wallerand Vaillant (1658, Dresde, Gg), ceux de Gabriel-Gaspard Gresly, de François Vipré, de Jean Cossard, de Jean Valette Penot et de Piat-Joseph Sauvage.
C. N. Gysbrecht également (actif à Anvers au xviie s.) a laissé de curieuses natures mortes de ce genre, où, par exemple, une draperie découvre des objets disposés en désordre et retenus par des rubans tendus (Copenhague, Statens Museum for Kunst).
Le trompe-l’œil d’Antonio Forbera, dit Antoine de Fort-Bras (1686, déposé au musée d’Avignon), mérite une attention particulière. La forme du panneau, délimitée par celle des objets représentés, contribue à renforcer l’illusion d’un chevalet réel supportant l’attirail de la profession. En haut est imité un dessin à la sanguine représentant l’Empire de Flore d’après Poussin, dont on voit au-dessous une version inachevée peinte à l’huile. On est ici au comble du trompe-l’œil, dans la mesure où on essaie par la peinture à l’huile d’imiter un tableau exécuté selon cette même technique.
Dans la nature morte de J. F. de Le Motte (Dijon, musée des Beaux-Arts), une « vanité » signée du nom de l’auteur commence à se détacher de son châssis fixé à un fond de planches vermoulues sur lesquelles sont accrochés des objets divers et des gravures plus ou moins détériorés, tandis qu’une palette et d’autres ustensiles d’atelier sont disposés au premier plan. Le trompe-l’œil contribue ainsi à donner sa dimension la plus dramatique au thème de la vanité.
L. L. Boilly, quant à lui, a mis son étonnante habileté au service du trompe-l’œil dans une série d’une vingtaine de peintures imitant une ou plusieurs gravures encadrées sous un verre dont une fêlure atteste l’existence. Aussi bien les tableaux de ce genre sont-ils souvent délibérément appelés des « trompe-l’œil ».
Si le trompe-l’œil se manifeste avant tout dans la nature morte au point de constituer parfois un genre en soi, on le voit apparaître encore dans des techniques telles que la silhouette peinte, qui fut pratiquée en Allemagne et en Hollande aux xviie, xviiie et xixe s. De petits portraits font penser à des estampages de médailles, et des scènes de genre sur fond noir semblent avoir été exécutées en léger relief, à l’aide de plâtre, par exemple.
Ainsi, paradoxalement, le trompe-l’œil, parti du monumental et de la perspective, à laquelle il a peut-être même donné naissance, trouve son acception la plus accomplie dans des tableaux de chevalet et de petits ouvrages où la profondeur joue un rôle pratiquement négligeable.