François Boucher
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la peinture ».
Peintre français (Paris 1703 –id. 1770).
Il fit une carrière brillante, connut tous les honneurs, reçut d'incessantes commandes royales et jouit de l'amitié de nombreux amateurs (outre Mme de Pompadour, citons Tessin, ambassadeur de Suède à Paris, le duc de Chevreuse, l'abbé de Saint-Non, le banquier Eberts ou le garde des Joyaux Blondel d'Azaincourt, qui possédait 500 dessins de l'artiste) ; et pourtant, dès 1760, le public du Salon ne se presse plus autour de cet art élégant qui lui semble facile et qui ne l'émeut pas (v. le Salon de Diderot de 1763). Dès lors, la critique boude l'artiste pour un siècle. Au moment où l'impératrice Eugénie réinvente un xviiie s. à son goût, Thoré Bürger et les Goncourt en redécouvrent le peintre le plus représentatif. Une série de livres paraît à la charnière du xixe s. et du xxe s. : Mantz, Michel, Nolhac, Kahn, Fenaille remettent le peintre en honneur et donnent bonne conscience à un public qui l'a toujours apprécié. La monographie de G. Brunel et l'exposition (New York, Detroit, Paris, 1986-1987) ont permis de mesurer l'importance du peintre admiré de Chardin, Oudry et David.
La jeunesse (1720-1735)
Fils d'un obscur ornemaniste et marchand d'estampes (Nicolas Boucher), il passe v. 1720 dans l'atelier de F. Lemoyne, dont il reprendra la leçon colorée à côté de celle, plus imprécise, des Italiens. Mais sa première formation reste celle d'un illustrateur : pour gagner sa vie, le jeune artiste entre dans l'atelier de J. F. Cars (père de Laurent, qui travaillera longtemps pour Boucher) et fournit des vignettes de thèses, participe à l'Histoire de France de Daniel gravée par Baquoy. Ces travaux lui valent d'être choisi par le collectionneur Jullienne pour reproduire les Figures de différents caractères de paysages et d'études de Watteau (1726-1728). Entre-temps, Boucher obtient le premier prix à l'Académie (Evilmérodach délivre Joachim prisonnier de Nabuchodonosor, 1723, perdu). Au retour d'un séjour en Italie (1728-1731 ?) dont on sait peu de choses, il épouse Marie-Jeanne Buseau qui lui servira très souvent de modèle, continue de publier des gravures (Molière, 1734-1737 ; Cris de Paris, 1737), et commence à recevoir de grandes commandes (modèles des Fêtes italiennes commandées par Oudry pour la manufacture de Beauvais, 1734). Ces premières années sont toutes consacrées au dessin, à la copie et à la gravure qui lui donnent une facilité qui lui permet, d'emblée, d'affirmer son talent dans la diversité que sert une incroyable puissance de travail ; et, sa carrière durant, l'artiste ne cessera de fournir des dessins à des éditeurs, participant au Boccace de 1757, au Rodogune de 1760 et à l'Ovide de 1767.
L'apogée (1736 – v. 1760)
Sa réception à l'Académie (Renaud et Armide, 1734, Louvre) inaugure pour lui une longue carrière officielle de professeur (1737), directeur de l'Académie et premier peintre du roi (1765). C'est une période d'intense activité pour l'artiste, qui partage son temps entre les manufactures royales, les décors de théâtre et d'opéra, les commandes du roi et de Mme de Pompadour et celles, moins importantes, de ses amis amateurs. Les manufactures sont Beauvais, dirigée par Oudry depuis 1734, et les Gobelins, dont Boucher devient inspecteur (1755-1765). Dès 1736, il entreprend une série de Pastorales en 14 pièces ; en 1739, c'est l'Histoire de Psyché (Psyché recevant les honneurs divins, musée de Blois). La fiction et l'invraisemblance du sujet lui assurent un succès immédiat (entre 1741 et 1770, l'Histoire de Psyché est reprise huit fois pour le roi de Suède, pour celui de Naples, pour l'ambassadeur d'Espagne...). Boucher montre ici une réelle originalité, transformant l'art grandiose de Le Brun en une décoration où la mise en page est volontairement décentrée, où courbes et contre-courbes jouent sur des perspectives très étudiées, où enfin les coloris pâles se trouvent beaucoup plus proches de l'effet obtenu par les soieries que ceux de J.-B. Oudry.
Pour les Gobelins, ce sont essentiellement les deux séries célèbres des Amours des dieux, dont certaines compositions seront reprises dans les Métamorphoses en 1767 (Apollon et Issé, 1749, musée de Tours), et la série d'Aminte (1755-56, musée de Tours et Paris, Banque de France). La tenture des Divertissements chinois (offerte en 1764 par Louis XV à l'empereur K'ien Lung ; esquisses au musée de Besançon, 1742), les dessins d'ornements pour la manufacture de Sèvres (1757-1767) et les très nombreux ensembles qu'il dut réaliser pour le théâtre et l'opéra font de lui le décorateur le plus fantaisiste du siècle. De 1742 à 1748, en effet, Boucher reprend à Servandoni la charge de l'Opéra : il réalise Issé, de Destouches (le Hameau d'Issé, 1742, musée d'Amiens), les Indes galantes, de Rameau et Fuzelier (1735), Persée, de Lulli et Quinault (1746), Atys, de Lulli (1747).
Dès 1735, Boucher exécute en camaïeu le plafond de la chambre de la reine à Versailles (les Vertus royales, in situ). On lui confie deux tableaux pour la galerie des Petits Appartements de Versailles (Chasse au tigre, 1736, musée d'Amiens, et Chasse au crocodile, 1739, id.). Découvrant à ce moment, à côté d'Oudry, le site champêtre des environs de Beauvais, il introduit dans ces compositions la prééminence du paysage, non plus à l'italienne, mais au naturel (Scène de forêt, 1740, Louvre). Entre 1743 et 1746, il travaille pour la Bibliothèque du roi à Paris (l'Histoire, B. N.) et, à la même époque, pour Choisy et pour l'appartement du Dauphin à Versailles (Légende d'Énée, 1747, dont Vénus et Vulcain du Louvre, placé dans la chambre du roi à Marly). Mme de Pompadour joue alors un rôle particulièrement important dans la carrière de Boucher, lui obtenant le logement au Louvre en 1752, lui commandant une décoration pour la salle à manger de Fontainebleau (1748), le plafond du cabinet du Conseil (1753, en place) et des projets de tapisserie pour La Muette, et l'utilisant surtout à Bellevue (la Lumière du monde, 1750, musée de Lyon) et à Crécy (dessins des statues du parc, petites allégories anacréontiques, série des Saisons, où l'on retrouve maintes réminiscences de Watteau [les Amusements de l'hiver, 1755, New York, Frick Coll.]).
C'est surtout un répertoire de mythologie galante et d'allégorie (hôtel de Soubise, Paris), et de fantaisie réaliste parfois teintée d'intimisme (le Déjeuner, 1739, Louvre ; la Marchande de modes, 1746, Stockholm, Nm, 1746), que Boucher met au point dès 1739 : Tessin emporte la Léda et le Triomphe de Vénus en 1740 (Stockholm, Nm) et commande ensuite les Quatre heures du jour (seul le Matin est exécuté en 1746 ; Stockholm, Nm), et le duc de Penthièvre la série d'Aminte en 1755 (Paris, Banque de France).
La vieillesse
Dès 1752, Reynolds, de passage à Paris, constate que Boucher travaille beaucoup " de pratique ". Le peintre, surchargé de commandes, a accumulé un matériel énorme dans lequel il puise ses sujets (il avoue lui-même avoir exécuté plus de dix mille dessins) ; Diderot lui reproche sa facilité et ses coloris (" déflagration de cuivre par le nitre "). À la mort de Mme de Pompadour en 1764, Marigny ne l'abandonne pas et lui confie, en même temps qu'à Deshays, la première commande officielle de goût antiquisant pour Choisy que Boucher doit refuser pour des raisons financières. Le premier peintre continue d'exposer au Salon, bien que le public regarde désormais vers Greuze ou vers Fragonard. Malgré une vue affaiblie, Boucher déploie jusqu'au bout une activité débordante : voyage en Flandre avec Boisset (1766), tableaux religieux (Adoration des bergers, 1764, cathédrale de Versailles), décoration de l'hôtel de Marcilly (1769) et nombreux décors d'opéra (Castor et Pollux, 1764 ; Thésée, 1765 ; Sylvia, 1766). Quelques mois avant sa mort, il est désigné par l'Académie comme associé libre honoraire de l'Académie de Saint-Pétersbourg.
L'art de Boucher
Son génie avait fait de Le Brun le maître de l'art français pour près de quarante ans ; d'emblée, Watteau crée le genre de la fête galante et l'exploite à fond ; Boucher, élève de Lemoyne, qui renouvelle entièrement la peinture d'histoire dans le premier tiers du siècle, et maître d'artistes aussi différents que ses gendres Baudoin et Deshays ou Fragonard, peut-il être considéré comme un chef d'école, alors qu'il survit à son art ? L'importance de son œuvre est pourtant sans égale. Le peintre établit d'abord, dans son hymne à la femme, un nouveau canon parfaitement adapté à la société parisienne, et qui plaira tant à celle du second Empire ; sensible au bonheur intimiste et bourgeois (le Déjeuner, 1739, Louvre), il néglige la tendresse ou une retenue un peu sauvage et ne cherche pas à émouvoir, mais à saisir la beauté épanouie ou le charme piquant (l'Odalisque brune, Louvre ; Hercule et Omphale, Moscou, musée Pouchkine), qui lui vaut à tort la réputation d'un libertin ; il est bien le peintre du bonheur, moins érotique que d'une sensualité raffinée et parfaitement accomplie dans ses dessins : c'est aussi cela qu'il faut voir dans ses scènes mythologiques, qui constituent l'essentiel, voire le meilleur, de son œuvre, et dans ses très beaux portraits plus arrangés que psychologiques (Madame de Pompadour, Munich, Alte Pin.), quand il demeure un paysagiste plein de fantaisie et de charme (Frère Luce, 1742, Ermitage), un grand décorateur (le Repos en Égypte, Ermitage) et l'ornemaniste le plus prodigieux du xviiie s., tant imité au xixe s. et dont l'œuvre incarne l'esprit encyclopédique qui séduit les amateurs de l'Europe du Nord. D'une culture très étendue (il connaît l'œuvre des Vénitiens à Paris et collectionne les tableaux nordiques [vente en 1771]), Boucher sait prouver sa virtuosité dans des esquisses fougueuses, mais dessine avec attention et " finit " ses toiles : il marque toute la fin du siècle, de Fragonard à David, de son goût pour le beau métier et de sa vision d'un monde heureux. Une rétrospective Boucher a été présentée (New York, Detroit, Paris) en 1986.