Madame Bovary
Mœurs de province
Roman de Gustave Flaubert, publié en feuilleton dans la Revue de Paris du 1er octobre au 15 décembre 1856, puis en deux volumes chez Michel Lévy (avril 1857).
Emma Rouault, fille d'un paysan normand aisé, croit échapper à sa condition en épousant Charles Bovary, jeune veuf et médecin de campagne de second ordre. Très vite, elle déchante : Charles est un lourdaud sans avenir ni imagination, et la platitude de ses propos et de la vie qu'il mène écrase la romanesque Emma, qui rêve d'une vie comme dans les livres. Ni la maternité ni son charme ne pallieront la médiocrité de sa vie ; ses amants ne sont, eux aussi, que des leurres : Rodolphe refuse de s'enfuir avec elle, et Léon se lasse d'elle. Couverte de dettes et désespérée, elle se suicide à l'arsenic, suivie de près dans la mort par l'infortuné Charles.
Emma ou le bovarysme
Inspirée de réels faits divers, l'histoire ici n'est qu'apparence, la trame est délibérément banale. La vie d’Emma est une suite de désillusions et d'échecs, dont les élans romantiques donnent lieu à des situations si grotesques qu'elles en sont pathétiques. L'écriture, faussement neutre et détachée, fait mouche ; Flaubert détruit, par l'ironie, les médiocrités de chacun. Ce n'est pas naturellement que Gustave Flaubert est parvenu à cette maîtrise dans la neutralité du style : c'est volontairement, sur les conseils de ses amis, qu'il a cherché à se départir du lyrisme de sa Tentation de saint Antoine et choisi un sujet plus terre à terre. On connaît le mot de Flaubert selon lequel il voulait faire « un livre sur rien », c'est-à-dire finalement un livre sur des petits riens, des faits, des pulsions et des souffrances si humaines que leur narration aboutit à un livre sur tout et à une héroïne universelle.
L'insatisfaction chronique, l'ennui désespérant qu'Emma cherche à combler dans le rêve, sont passés dans la langue.
Un parfum de scandale
Le roman a demandé cinq ans de maturation (1851-1856). À sa publication en feuilleton, c'est le scandale, bien que la Revue de Paris en ait déjà retranché des passages. La censure pointilleuse du second Empire s'alarme ; Flaubert, le gérant et l'imprimeur du journal comparaissent (janvier 1857) devant la 6e chambre du Tribunal correctionnel de la Seine (l'instance qui condamnera les Fleurs du mal de Baudelaire la même année) pour avoir outragé la morale publique et la religion. Selon l'accusation, le roman glorifie l'adultère. Selon la défense, il incite à la vertu en montrant l'horreur du vice.
Les accusés sont acquittés (février 1857), eu égard notamment à la cohérence de l'ensemble, le peu de passages concernés et au fait qu'il s'agisse d'« une œuvre qui paraît avoir été longuement et sérieusement travaillée ». Le roman est un succès.
Morceaux choisis
Elle songeait quelquefois que c’étaient là pourtant les plus beaux jours de sa vie, la lune de miel, comme on disait. Pour en goûter la douceur, il eût fallu, sans doute, s’en aller vers ces pays à noms sonores où les lendemains de mariage ont de plus suaves paresses ! Dans des chaises de poste, sous des stores de soie bleue, on monte au pas des routes escarpées, écoutant la chanson du postillon, qui se répète dans la montagne avec les clochettes des chèvres et le bruit sourd de la cascade.
(Première partie, chapitre VII).
Alors Homais inclina vers le Pouvoir. Il rendit secrètement à M. le préfet de grands services dans les élections. Il se vendit enfin, il se prostitua. Il adressa même au souverain une pétition où il le suppliait de lui faire justice ; il l’appelait notre bon roi et le comparait à Henri IV.
Et chaque matin, l’apothicaire se précipitait sur le journal pour y découvrir sa nomination ; elle ne venait pas.
(Troisième partie, chapitre XI).