Oracle

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de mythologie grecque et romaine ».

Réponse d'un dieu à un fidèle indécis, et lieu où la volonté du dieu se fait connaître.

D'après Pausanias et Strabon, à l'époque héroïque, les rois passant pour les médiateurs directs entre les hommes et les dieux, les oracles ne revêtent qu'une importance mineure. En l'absence de royauté, leur l'influence et celle de leurs ministres augmente.

Les oracles abondent : Arès a son oracle en Thrace ; Hermès à Patras ; Aphrodite à Paphos et en Phénicie ; Athéna à Mycènes ; Artémis en Colchide ; Pan en Arcadie ; Asclépios à Épidaure et [Esculape] à Rome ; Héraclès à Athènes et à Thèbes (Béotie) ; Sérapis à Alexandrie ; Trophonios à Lébadée (Béotie) ; Mopsos en Cilicie ; Apollon à Milet, à Patare (Lycie), à Argos, à Claros, à Délos, à Delphes ; Zeus à Dodone et à Olympie...

Tous les oracles ne se rendent pas de la même manière : ici, le prêtre ou la prêtresse se fait l'interprète du dieu (oracle de Delphes, où les proférations de la pythie étaient transcrites en hexamètres par les prêtres avant d'être remis au consultant) ; là, on obtient la réponse à travers les songes (oracle d'Amphiaraos) ; là encore, les volontés divines se manifestent dans le bruissement des feuilles des arbres (oracle de Dodone), ou dans l'eau qu'on a bue (oracle de Colophon)...

Voir aussi : Delphes, Dodone, Amphiaraos

À Rome, il n'y a pas d'oracles semblables à ceux de la Grèce : quand la situation l'exige, les Romains consultent les Livres sibyllins. On connaît cependant l'oracle de Faunus, sur l'Aventin ; celui de la Fortune à Préneste et à Antium ; celui de Cumes, près du lac Averne.

Des oracles en songes

Le nombre est fort grand des oracles qui se rendaient par songes. Cette manière avait plus de merveilleux qu'aucune autre, et avec cela, elle n'était pas fort difficile dans la pratique.

Le plus fameux de tous ces oracles était celui de Trophonius, dans la Béotie. Trophonius n'était qu'un simple héros ; mais ses oracles se rendaient avec plus de cérémonies que ceux d'aucun dieu. Pausanias, qui avait été lui-même le consulter, et qui avait passé par toutes ces cérémonies, nous en a laissé une description fort ample, dont je crois qu'on sera bien aise de trouver ici un abrégé exact.

Avant que de descendre dans l'antre de Trophonius, il fallait passer un certain nombre de jours dans une petite chapelle, qu'on appelait de la Bonne-Fortune et du Bon-Génie. Pendant ce temps, on recevait des expiations de toutes les sortes : on s'abstenait d'eaux chaudes ; on se lavait souvent dans le fleuve Hercyna, on sacrifiait à Trophonius et à toute sa famille, à Apollon, à Jupiter, surnommé roi, à Saturne, à Junon, à une Cérès-Europe, qui avait été nourrice de Trophonius, et on ne vivait que des chairs sacrifiées. Les prêtres apparemment ne vivaient aussi d'autre chose. Il fallait consulter les entrailles de toutes ces victimes, pour voir si Trophonius trouvait bon que l'on descendît dans son antre : mais quand elles auraient été toutes les plus heureuses du monde, ce n'était encore rien ; les entrailles qui décidaient étaient celles d'un certain bélier qu'on immolait en dernier lieu. Si elles étaient favorables, on vous menait la nuit au fleuve Hercyna. Là, deux jeunes enfants de douze à treize ans vous frottaient tout le corps d'huile. Ensuite, on vous conduisait jusqu'à la source du fleuve, et on vous y faisait boire de deux sortes d'eaux, celles de Léthé, qui effaçaient de votre esprit toutes les pensées profanes qui vous avaient occupé auparavant, et celles de Mnémosyne, qui avaient la vertu de vous faire retenir tout ce que vous deviez voir dans l'antre sacré.

Après tous ces préparatifs, on vous faisait voir la statue de Trophonius à qui vous faisiez vos prières ; on vous équipait d'une tunique de lin, on vous mettait de certaines bandelettes sacrées, et enfin vous alliez à l'oracle.

L'oracle était sur une montagne, dans une enceinte faite de pierres blanches, sur laquelle s'élevaient des obélisques d'airain. Dans cette enceinte était une caverne, de la figure d'un four, taillée de main d'homme. Là s'ouvrait un trou assez étroit, où l'on ne descendait point par des degrés, mais par de petites échelles. Quand on y était descendu, on trouvait une autre petite caverne, dont l'entrée était assez étroite. On se couchait à terre : on prenait dans chaque main de certaines compositions de miel, qu'il fallait nécessairement porter ; on passait les pieds dans l'ouverture de la petite caverne, et aussitôt on se sentait emporté au-dedans avec beaucoup de vitesse.

C'était là que l'avenir se déclarait, mais non pas à tous d'une même manière. Les uns voyaient, les autres entendaient. Vous sortiez de l'antre, couché par terre, comme vous y étiez entré, et les pieds les premiers. Aussitôt on vous mettait dans la chaise de Mnémosyne, où l'on vous demandait ce que vous aviez vu ou entendu. De là, on vous ramenait dans cette chapelle du Bon-Génie, encore tout étourdi et hors de vous. Vous repreniez vos sens peu à peu, et vous recommenciez à pouvoir rire, car jusque-là la grandeur des mystères et la divinité dont vous étiez rempli vous en avaient bien empêché. Pour moi, il me semble qu'on n'eût pas dû attendre si tard pour rire.

Pausanias nous dit qu'il n'y a jamais eu qu'un homme qui soit entré dans l'antre de Trophonius et qui n'en soit pas sorti. C'était un certain espion que Démétrius y envoya pour voir s'il n'y avait pas dans ce lieu saint quelque chose qui fût bon à piller. On trouva loin de là le corps de ce malheureux, qui n'avait point été jeté dehors par l'ouverture sacrée de l'antre.

Il ne nous est que trop aisé de faire nos réflexions sur tout cela. Quels loisirs n'avaient pas les prêtres, pendant tous ces différents sacrifices qu'ils faisaient faire, d'examiner si on était propre à être envoyé dans l'antre ! Car assurément Trophonius choisissait ses gens et ne recevait pas tout le monde. Combien toutes ces ablutions, et ces expiations, et ces voyages nocturnes, et ces passages dans des cavernes étroites et obscures, remplissaient-elles l'esprit de superstition, de frayeur et de crainte ? Combien de machines pouvaient jouer dans ces ténèbres ? L'histoire de l'espion de Démétrius nous apprend qu'il n'y avait pas de sûreté dans l'antre pour ceux qui n'y apportaient pas de bonnes intentions ; et de plus, qu'outre l'ouverture sacrée qui était connue de tout le monde, l'antre en avait une secrète qui n'était connue que des prêtres. Quand on s'y sentait entraîné par les pieds, on était sans doute tiré par des cordes, et on n'avait garde de s'en apercevoir en y portant les mains, puisqu'elles étaient embarrassées de ces compositions de miel qu'il ne fallait pas lâcher. Ces cavernes pouvaient être pleines de parfums et d'odeurs qui troublaient le cerveau ; ces eaux de Léthé et de Mnémosyne pouvaient aussi être préparées pour le même effet, je ne dis rien des spectacles et des bruits dont on pouvait être épouvanté ; et quand on sortait de là tout hors de soi, on disait ce qu'on avait vu ou entendu à des gens qui, profitant de ce désordre, le recueillaient comme il leur plaisait, y changeaient ce qu'ils voulaient, ou enfin en étaient toujours les interprètes.

Fontenelle