Argonautes
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de mythologie grecque et romaine ».
Nom donné à Jason et à ses compagnons qui partent à la conquête de la Toison d'or, en Colchide, à bord de l'Argo.
L'Argo est un vaisseau de chêne qui, le premier, franchit les étendues d'eau salée et parcourt les routes de la mer. Dans les Argonautiques de Valerius Flaccus, nombreuses sont les références à des navires précédents ; alors faut-il croire que l'Argo n'ait pas été la première, mais simplement la meilleure des embarcations, d'une conception inédite (novam molem et nova puppis imago) ? Diodore écrit : Jason fait d'abord construire au pied du mont Pélion un vaisseau qui surpasse par la grandeur et par son appareil tous ceux que l'on a vus jusqu'alors. Car, avant ce temps-là, on ne navigue que dans des barques ou de petits vaisseaux marchands. Mais la magnificence de ce vaisseau et la hardiesse du motif qui l'a fait construire frappent d'étonnement toute la Grèce, et inspirent à tout ce qu'il y a de jeunes gens distingués par leur naissance ou par leur valeur, un désir ardent d'accompagner Jason dans cette expédition.
Voir aussi : Argo
Combien sont les Argonautes ? Il serait hasardeux d'avancer un chiffre. Les listes dressées par les différents auteurs, si elles se ressemblent globalement, se distinguent par le nombre des héros qu'elles énumèrent. Le dénombrement est d'autant moins aisé que des Argonautes meurent au cours de l'expédition, et que d'autres se joignent au groupe. Le chiffre se situe entre cinquante et soixante-cinq.
L'histoire
Éson est chassé du trône d'Iolcos (Thessalie) par son demi-frère Pélias, qui décime également sa famille, à l'exception de Jason mis à l'abri chez le Centaure Chiron. Un oracle prédit à Pélias qu'il sera tué par un homme chaussé d'une seule sandale. Or, devenu adulte, et ayant appris qu'il est le légitime héritier du trône, Jason retourne à Iolcos réclamer son dû. En chemin, il aide une vieille femme (Héra déguisée, dont il deviendra le protégé) à traverser une rivière, bonne action qui lui vaut de perdre une chaussure. Lorsque Pélias l'aperçoit, et se souvenant de la prophétie, il fait semblant d'accéder à ses exigences en y mettant toutefois une condition : le trône contre la Toison d'or, qui se trouve en Colchide, pendue dans un bois consacré à Arès et sous la garde d'un reptile insomniaque. En réalité, Pélias se moque bien de cette peau de bélier, si brillante soit-elle : son marché ne vise qu'à expédier Jason le plus loin possible, dans une aventure où il trouvera la mort assurément.
Mais Jason relève le défi. Malgré l'opposition d'Hélios (Éétès, le détenteur de la Toison est son fils), il s'embarque à bord de l'Argo avec les plus grands héros de la Grèce, et dont il devient, par leur volonté même, le chef. Les escales sont nombreuses (et ponctuées d'aventures), parmi lesquelles : Lemnos, Samothrace, Cyzique, Bithynie, Symplégades, île d'Arès. Lorsqu'ils arrivent en Colchide, les Argonautes se heurtent au roi Éétès. Ce dernier consent à leur céder la Toison à condition que Jason s'acquitte d'épreuves particulièrement ardues.
Et, de fait, Jason y eût sûrement laissé la vie si Médée, la fille d'Éétès, n'était tombée amoureuse de lui. Grâce aux pouvoirs magiques de la jeune femme, Jason réalise les exploits exigés par le souverain. Mais Éétès, informé de la supercherie, refuse de donner la Toison. C'est une fois de plus grâce au concours de Médée que les Argonautes peuvent s'emparer de la précieuse relique. Médée, ayant trompé son père, se décide à suivre Jason, notamment parce qu'il lui a promis le mariage. Les Argonautes, en fuite, sont pris en chasse par toute la flotte du roi Éétès, avec Absyrtos, le propre frère de Médée, comme commandant en chef. On parlemente bientôt, chaque camp désirant trouver une solution à l'amiable. Mais Médée, hostile à toute transaction, fomente l'assassinat de son frère. Le crime consommé, l'Argo remet à la voile ; suivant la volonté de Zeus, furieux du meurtre d'Absyrtos, le navire fait escale sur l'île de Circé. Cette sœur d'Éétès accepte de purifier les meurtriers, mais leur refuse l'hospitalité. Les Argonautes reprennent donc la mer, toujours poursuivis par les Colques qui craignent un châtiment impitoyable s'il reviennent bredouilles. Les deux camps se retrouvent sur l'île d'Alcinoos, à Drépané. Là, ils s'en remettent au jugement du roi pour éviter un affrontement : Jason mérite-t-il de conserver la Toison ? Médée doit-elle revenir auprès de son père ? Mais après que Jason et Médée ont eu fait l'amour, la question est entendue, et les Argonautes remettent à la voile. La nef s'échoue dans la Syrte, navigue ensuite le long des côtes libyennes, traverse la Méditerranée jusqu'à Carpathos, et fait escale en Crète. Puis, d'Anaphé, les Argonautes regagnent Iolcos. Partis d'Iolcos au mois de juin, les Argonautes y sont de retour en novembre. Ce périple dure entre quatre et six mois selon les versions.
Des héros très humains
On situe le voyage des Argonautes vers 1225 av. J.-C., suivant le calcul d'Ératosthène. S'il est possible de donner à l'expédition des Argonautes une couleur historique, on dira qu'à l'origine elle a pour objectif de purger les mers du nord de la Grèce et du Pont-Euxin des pirates qui les infestent. Ces individus peu recommandables, Phéniciens, Cariens ou Athéniens, Minos les a déjà poursuivis dans la mer Égée ; vainqueur, le roi de Crète interdit ensuite, afin d'enrayer le phénomène, de faire naviguer des embarcations emmenées par plus de cinq hommes. Si l'on considère les dimensions du navire Argo, et le nombre de rameurs, on peut avancer que Jason s'est bien moqué du décret royal. Mais, après tout, n'est-ce pas pour chasser les pirates, mission ô combien louable ! que Jason entreprend la construction d'un navire si imposant ?
Tout héros qu'ils sont, les Argonautes n'en demeurent pas moins des hommes soumis, comme le plus bas d'entre eux, à leur cupidité, à leur appétit de pouvoir et d'argent, en un âge héroïque, qui plus est, où « acte de guerre » et « acte de piraterie » revêtent des aspects très semblables. Et ce n'est pas un autre héros, postérieur au fils d'Éson, qui le démentira : Ulysse, revenu à Ithaque incognito, se fait passer auprès d'Eumée pour un guerrier digne d'admiration, en lui tenant ce discours :
« Mais, si brave au combat, je n'avais aucun goût pour le travail des champs et les soins de ménage qui font les beaux enfants : ce que j'aimais c'étaient les rames, les vaisseaux, les flèches, les combats, les javelots polis ; tous les outils de mort, qui font trembler les autres, faisaient ma joie ; les dieux m'en emplissaient le cœur : à chacun, n'est-ce pas ? son plaisir et sa tâche. Donc, avant qu'en Troade, on eût vu débarquer les fils des Achéens, j'avais neuf fois déjà, en pays étranger, emmené mes vaisseaux rapides et mes braves : un énorme butin m'en était revenu ; je prélevais d'abord une prime à mon choix, puis je tirais ma part. Aussi, de jour en jour, ma maison s'accroissait ; elle m'aurait valu quelque jour le respect des Cretois, et leur crainte [...]. Cinq jours, et nous entrons au beau fleuve Égyptos. Une fois arrivé, j'ordonne à tous mes braves de garder les vaisseaux sans bouger de la rive, tandis que j'envoyais des vigies sur les guettes ; mais, cédant à leur fougue et suivant leur envie, les voilà qui se ruent sur les champs merveilleux de ce peuple d'Égypte, les pillant, massacrant les hommes, ramenant les enfants et les femmes. »
On dit aussi que les Argonautes, abordant en Colchide, restent plus qu'émerveillés par la richesse de la contrée : les torrents charrient de l'or que les Soanes recueillent au moyen de claies ou avec des toisons : ainsi aurait pris naissance le mythe de la Toison d'or. Oubliant leur mission première, Jason et ses compagnons s'emparent par la force des trésors de la Colchide.
Liste des argonautes établie par Hygin
Jason, Orphée, Astérion fils de Pyrémos, Polyphème fils d'Élatos et d'Hippée, Iphiclos fils de Phylacos et de Clyméné, Admète fils de Phérès et de Périclymène, Eurytos et Échion fils d'Hermès et d'Antianire, Éthalides fils d'Hermès, Coronos fils de Cænéus (ou Cænéus lui-même), Mopsos fils d'Ampycos ou de Ctiménos, et de Chloris, Eurydamas et Eurytion fils d'Iros et de Démonassa, Thésée, Pirithoos, Ménoetios fils d'Actor, Éribotès fils de Téléon, Améléon, Ixition, Oïlée fils d'Hodoedocos et d'Agrianomé, Clytios et Iphitos fils d'Eurytos et d'Antiope, Pelée et Télamon, Butès fils de Téléon et de Zeuxippe, Phaléros fils d'Alcon, Tiphys fils de Phorbas et d'Hyrmines, Argos fils de Polybe, ou de Danaos, et d'Argia, Phliasos fils de Dionysos et d'Ariane, Héraclès, Hylas fils de Théodamas et de la nymphe Ménodicé, Nauplios fils de Neptune et d'Amymoné, Idmon fils d'Apollon ou d'Abas et de la nymphe Cyrène, Castor et Pollux, Lyncée et Idas fils d'Apharée et d'Aréné, Périclymène fils de Nélée et de Chloris, Amphidamas et Céphée fils d'Aléos et de Cléobulé, deux Ancée l'un fils de Poséidon et d'Althée, Augias fils d'Hélios et de Nausidamès, Astérion et Amphion fils d'Hypérasios, Euphémos fils de Poséidon et d'Europe, Erginos fils de Poséidon ou de Périclymène, Méléagre, Laocoon fils de Porthaon, Iphiclos fils de Thestios et de Leucippé, Iphitos fils de Naubolos ou d'Hippasos, Zétès et Calaïs, Phocos et Priasos fils de Cænéus, Eurymédon fils de Dionysos et d'Ariane, Palémonios fils de Lernos, Actor fils d'Hippasos, Thersanor fils d'Hélios et de Leucothoé, Hippalcimos fils de Pélops et d'Hippodamie, Asclépios, Nélée, Iolaos, Deucalion fils de Minos et de Pasiphaé, Philoctète, Acaste fils de Pélias et d'Anaxibie, Argos, Mêla, Phrontis, Cylindros (les quatre derniers, venus tardivement à bord de l'Argo, portent également les noms de Phronios, Démoléon, Autolycos, Phlogios).
Liste des argonautes établie par Apollodore
Orphée fils d'Œagre ; Zétès et Calaïs fils de Borée ; Castor et Pollux fils de Zeus ; Télamon et Pélée fils d'Éaque ; Héraclès fils de Zeus ; Thésée fils d'Égée ; Idas et Lyncée fils d'Apharée ; Amphiaraos fils d'Oïclès ; Cénée fils de Coronos ; Palémon fils d'Héphaïstos ou d'Étolos ; Céphée fils d'Aléos ; Laërte fils d'Arcisios ; Autolycos fils d'Hermès ; Atalante, fille de Schoénée ; Ménécée fils d'Actor ; Actor fils d'Hippasos ; Admète fils de Phérès ; Acaste fils de Pélias ; Eurytos fils d'Hermès ; Méléagre fils d'Œnée ; Ancée fils de Lycurgue ; Euphémos fils de Poséidon ; Poeas fils de Taumachos ; Butès fils de Téléon ; Phanos et Staphylos fils de Dionysos ; Erginos fils de Poséidon ; Périclymène fils de Nélée ; Augias fils d'Hélios ; Iphiclos fils de Thestios ; Argos fils de Phrixos ; Euryale fils de Mécistée ; Pénélos fils d'Hippalmos ; Leitos fils d'Alector ; Iphitos fils de Naubolos ; Ascalaphe et Ialmène fils d'Arès ; Astérios fils de Cométès ; Polyphème fils d'Élatos.
Liste établie par le Pseudo-Orphée
Héraclès, Tiphys, Castor, Mopsos, Pelée, Aethalides, Érytos et Échion, Actoridès, Coronos, Iphiclos, Boutès, Canthos, Phaléros, Iphitos, Laodocos, Talaos, Aréios, Iphidamas, Erginos, Périclymène, Méléagre, Iphiclos, Astérion, Eurydamas, Polyphème, Éneios, Eurytion, Idas, Lyncée, Télamon, Idmon, Ménoetios, Phlias, Céphée, deux Ancée, Nauplios, Euphémos, Palémonios, Augias, Amphion, Astérios, Zétès, Calaïs, Hylas.
Le départ de l'Argo
Mais quand la splendide aurore, de ses yeux brillants, vit les hautes cimes du Pélion, et qu'en signe de beau temps la mer agitée par le vent battait les promontoires, Tiphys s'éveilla, et exhorta ses compagnons à embarquer sur l'Argo et à mettre les rames en place. Un cri terrible jaillit du port de Pagases et d'Argo elle-même, enfant du Pélion, qui les pressait de partir. Il y avait dans la nef une poutre sacrée, qu'Athéna avait tirée d'un chêne de Dodone, et qu'elle avait placée au milieu de la carène. Les héros, montés sur les bancs, les uns derrière les autres, à la place que leur avait assigné le sort, s'assirent en bon ordre, chacun à son poste, près des rames. Au milieu prirent place Ancée, et le puissant Héraclès qui posa près de lui sa massue ; sous ses pieds, la quille du navire s'enfonça. Et déjà on retirait les amarres, et on versait une libation de vin dans la mer. Jason, en pleurant, détournait ses regards du rivage de sa patrie. Tels des jeunes gens à Pythô, à Ortygie, ou près des eaux de l'Isménos, dansent en chœur en l'honneur d'Apollon, et autour de son autel, tous ensemble, de leurs pieds rapides tapent en cadence le sol au son de la phorminx ; tels, au son de la lyre d'Orphée, les héros frappaient de leurs rames l'eau impétueuse de la mer, et les flots se brisaient. Des deux côtés l'onde noire s'enflait d'écume, terriblement frémissante sous la vigueur de ces hommes. Les armes, au soleil, brillaient comme des flammes, tandis que le navire avançait, et qu'inlassablement blanchissait derrière eux le long sillage, distingué comme un sentier au milieu de la verte prairie.
Ce jour-là, du haut du ciel, tous les dieux contemplaient le navire, et cette race de demi-dieux qui, avec tant de bravoure, parcouraient la mer. Sur les cimes du Pélion, les nymphes, stupéfiées, admiraient l'ouvrage d'Athéna Itonide, et les héros qui serraient les rames dans leurs mains. Du sommet de la montagne, Chiron, le fils de Philyra, descendit sur le rivage, là où l'onde blanche se brise, et de sa main puissante il adressa un salut aux héros qui partaient, en leur souhaitant un retour heureux. À son côté, sa mère tenait dans ses bras le jeune Achille, le fils de Pelée, qu'elle montrait à son père.
Quand ils eurent quitté le port et son golfe circulaire, grâce à la prudente habileté de Tiphys, le fils d'Hagnias, qui, de ses mains expertes tenait la barre polie, assurant une route rectiligne, ils dressèrent le grand mât dans l'étambrai et le fixèrent avec des cordages, tendus d'un côté et de l'autre. Ils hissèrent la voile au haut du mât, puis ils la larguèrent. Un vent sonore la gonfla. Après avoir fixé les cargues autour des chevilles polies, ils voguèrent tranquillement au-delà du long cap Tisai. Pour eux, le fils d'Œagre, sur sa phorminx, célébrait en un chant harmonieux l'illustre Artémis, fille de Zeus, qui veille sur les navires et protège les roches marines, et la terre d'Iolcos. Les poissons, bondissant de la mer profonde, petits et gros mêlés, suivaient la route humide. Telles ces milliers de brebis rassasiées d'herbe, revenant du pâturage, suivent les pas du berger qui entonne sur sa flûte aiguë un air champêtre, ainsi les poissons suivaient Argo qu'un vent impétueux poussait sans répit.
Bientôt s'effaça dans la brume la terre fertile des Pélasges ; ils longèrent les falaises du Pélion, naviguant toujours de l'avant : le cap Sépias disparut ; apparut Sciatos au milieu de la mer ; apparurent, dans le lointain, Pirésias et, par ce temps clair, les côtes de Magnésie et la tombe de Dolops. C'est là que, vers le soir, un vent contraire les contraignit de débarquer.
Apollonios de Rhodes