Serge Rachmaninov
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la musique ».
Pianiste et compositeur russe (Oneg 1873 – Los Angeles 1943).
Manifestant de bonne heure des talents de pianiste, il entre à douze ans au conservatoire de Moscou dans les classes de Zverev (piano), Taneiev (contrepoint) et Arensky (composition). Il travaille également le piano avec son cousin A. Ziloti. En 1892, il obtient la médaille d'or du conservatoire pour son opéra Aleko. Il entame alors une brillante carrière de virtuose qui durera toute sa vie, et le fera reconnaître comme l'un des plus grands pianistes de son temps.
Son activité de compositeur, encouragée par Tchaïkovski, s'exprime dès 1892 dans des Pièces-fantaisies pour piano op. 3, une Fantaisie-tableau pour deux pianos op. 5 (1893), le poème symphonique le Rocher (1893), le Trio élégiaque (piano, violon, violoncelle ; 1892) à la mémoire de Tchaïkovski, ainsi que de nombreuses mélodies.
Mais, en 1897, l'échec de sa 1re symphonie paralysera sa créativité pendant près de trois ans. La même année, cependant, il est engagé comme chef d'orchestre à l'opéra privé de Mamontov à Moscou. Il s'y lie d'amitié avec Chaliapine. Ayant suivi un traitement de psychothérapie auprès du docteur Niels Dahl, il compose en 1901 son 2e concerto pour piano, qui reste son œuvre la plus populaire. La période 1901-1917 est la plus productive : Sonate pour piano et violoncelle (1901), Variations sur un thème de Chopin pour piano (1903), les opéras, le Chevalier avare écrit à l'intention de Chaliapine (1903-1905, créé le 24 janvier 1906), et Francesca da Rimini (1904-1905, créé le 24 janvier 1906), la 2e Symphonie (1907), le poème symphonique l'Île des morts (1909) d'après un tableau de Böcklin, le 3e Concerto pour piano (1909), et surtout des œuvres pour piano seul dont les deux cahiers de Préludes op. 23 et 32 (1901-1903 et 1910), les Études-tableaux op. 33 et 39 (1911 et 1916-17) et deux Sonates (1907 et 1913, rév. 1931).
Intéressé d'autre part par le renouveau qui s'élabore depuis la fin du xixe siècle dans la musique religieuse, il compose pour solistes et chœur a cappella les deux cycles monumentaux de la Liturgie de saint Jean Chrysostome (1910) et des Vêpres (1915). En décembre 1917, profitant d'une tournée en Suède, il émigre. Il vit ensuite aux États-Unis jusqu'en 1928, puis en France et en Suisse, avant de retourner définitivement aux États-Unis en 1935.
Il ne s'adaptera jamais véritablement au mode de vie occidental et souffrira de la nostalgie jusqu'à la fin de ses jours. Son activité de concertiste lui assure pourtant la renommée et la fortune. Mais, au cours de ses vingt dernières années, ses œuvres s'espacent. Si le 4e concerto pour piano (1926, rév. 1941) porte l'empreinte de la musique américaine et apparaît moins personnalisé que les autres, c'est un Rachmaninov d'une incontestable originalité qu'on découvre dans la Rhapsodie sur un thème de Paganini pour piano et orchestre (1934), et dans les Variations sur un thème de Corelli (1931), qui sont un des sommets de ce genre dans la littérature pianistique. Sa 3e Symphonie (1936, rév., 1938) est traversée d'un souffle épique. Son testament musical est constitué par les Danses symphoniques (1940).
Contemporain de Scriabine, de Ravel et de Bartók, Rachmaninov, immuablement attaché au système tonal, est sans conteste le dernier compositeur romantique, dans la lignée de Chopin, de Liszt et de Tchaïkovski, ses trois principaux modèles. Si cela explique le peu d'estime que lui portent les musicologues, sa faveur auprès des mélomanes et des interprètes n'en a jamais souffert. Il serait inexact de voir en Rachmaninov un compositeur exclusivement imitatif. Son style pianistique en particulier et son invention mélodique possèdent un cachet indiscutablement personnel. Son lyrisme tourmenté, tumultueux, douloureux n'est pas une prise de position délibérée par rapport à un courant esthétique, mais le reflet direct de sa personnalité nerveuse, angoissée et introvertie.
La totalité de son œuvre pianistique a survécu, même si le succès démesuré du 2e Concerto ou du Prélude en ut dièse mineur a pu nuire à d'autres compositions non moins intéressantes. Parmi ses nombreuses mélodies, certaines font partie du répertoire courant des chanteurs (les Eaux printanières, le Lilas, Chanson géorgienne, Le Christ est ressuscité, Vocalise). Ses opéras connaissent relativement peu les faveurs de la scène, en dépit de pages d'une incontestable puissance dans le Chevalier avare et dans Francesca da Rimini. De son œuvre symphonique, l'Île des morts est un chef-d'œuvre trop peu connu, dans lequel Rachmaninov se montre authentiquement symboliste. Le thème du Dies irae médiéval qui s'y profile a également trouvé place dans la Rhapsodie sur un thème de Paganini et dans les Danses symphoniques, ces diverses citations reflétant la crainte latente et constante de la mort. Le même pessimisme se retrouve dans la cantate les Cloches (1913) sur un poème de Balmont.
Rachmaninov a laissé un grand nombre d'enregistrements de ses œuvres et de celles d'autres auteurs, qui révèlent une interprétation fortement personnalisée, bien que contestable dans certains cas (la Marche funèbre de Chopin). Les œuvres pour piano et violon jouées avec Kreisler constituent des documents inoubliables.