Jacques Offenbach
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la musique ».
Compositeur français d'origine allemande (Cologne 1819 – Paris 1880).
Connu comme le plus grand compositeur d'opérettes, le roi des divertissements du second Empire, le « Mozart des Champs-Élysées » (Wagner), il a été pour cela aussi fêté d'un côté que mésestimé de l'autre. Parce qu'on s'amuse à la Belle Hélène, ou à Orphée aux Enfers, on tend à considérer la musique de ces œuvres comme indigne d'être mesurée à celle des grands alors que, comme l'a relevé René Leibowitz, c'est une véritable musique d'opéra ample et inventive.
Jacob Eberst était le fils d'un cantor de la synagogue de Cologne, qui était originaire de la localité d'Offenbach-sur-le-Main. De là vient le pseudonyme qu'il prit par la suite. Il apprend le violon avec sa mère, ainsi que le violoncelle, instrument où il deviendra un virtuose. C'est par des récitals de violoncelle dans les salons qu'il commencera à entrer dans la carrière en 1834, avec un répertoire de pièces qu'il écrivit pour cet instrument (duos, romances, danses) et qui restent les seules pièces de « musique pure » dans sa production. En 1833, il est amené à Paris, et accepté, par Cherubini comme élève au Conservatoire de Paris, malgré son origine étrangère (qui, selon les règles en usage, devait lui en interdire l'accès).
Particulièrement indiscipliné, il n'y reste qu'un an, dans la classe de violoncelle de Veslin, et finit par être engagé comme violoncelliste de fosse dans des orchestres d'opéra-comique, d'abord à l'Ambigu-Comique, puis à l'Opéra-Comique, salle Favart. Il travaille la composition avec Jacques Fromental Halévy, oncle de Ludovic Halévy, qui devait collaborer avec lui comme librettiste. Sa première œuvre, Pascal et Chambord, est créée en 1839 sans succès. Pendant huit ans, il n'en compose pas d'autre, et gagne sa vie comme violoncelliste en tournée, en Allemagne, en Autriche, en Angleterre. En 1844, il épouse Herminie d'Alcain, après s'être converti au catholicisme ; il aura d'elle cinq enfants.
Après d'autres tentatives dans l'opérette, il finit par accepter, sur la proposition d'Arsène Houssaye, le poste de chef d'orchestre à la Comédie-Française. Il a sous sa baguette un petit ensemble qui joue pendant les entractes et accompagne d'éventuelles romances et chansons introduites dans l'action. Celle qu'il compose pour le Chandelier de Musset (la « Chanson de Fortunio ») ne peut être chantée par l'acteur Delaunay, trop inhabile au chant.
Devant la difficulté de faire jouer et réussir les opérettes qu'il se remet à écrire (comme Pepito, 1853 ; Oyayaie ou la Reine des Îles, 1855), il prend en 1855, l'année de l'Exposition, la gestion d'un minuscule théâtre situé aux Champs-Élysées et qu'il baptise Bouffes-Parisiens. C'est là que ses opérettes, encore de petite dimension (comme le règlement lui en faisait obligation pour son théâtre), commencent à obtenir un succès qui se répand à l'étranger. Il cumule les rôles de compositeur, directeur de troupe, répétiteur de l'orchestre, intervient dans la mise en scène, etc., manifestant son tempérament d'infatigable travailleur. Les Bouffes-Parisiens déménagent dans un théâtre plus grand, passage Choiseul. Ses librettistes sont de Forges et Riche, Jules Moineaux (les Deux Aveugles, 1855), Hector Crémieux (Élodie, 1856), Ludovic Halévy (à partir de Ba-Ta-Clan, 1855), Michel Carré (à partir de la Rose de Saint-Flour, 1856), Meilhac, Tréfeu, Scribe, etc.
Après une série de succès obtenus par des opéras bouffes en un acte, il fait donner ses pièces dans des théâtres plus importants, pour s'attaquer à des entreprises de plus grande dimension. Orphée aux Enfers (1858, livret de Crémieux et Halévy), avec ses deux actes, inaugure la série des grandes opérettes parodiques et frondeuses, et lui fait passer ce cap décisif. Suivent une multitude de créations, dont on retiendra Monsieur Choufleuri restera chez lui le… (1861, livret de Crémieux, Halévy, Lépine et du duc de Morny), Barkouf (1860, opéra-comique écrit par Scribe et Boisseau), la Belle Hélène (1864, livret de Meilhac et Halévy), Barbe-Bleue (1866), la Vie parisienne (1866), et la Grande-Duchesse de Gerolstein (1867), avec la même équipe, Robinson Crusoë (1867), opéra-comique où il prouve son art dans le style « sérieux », la Périchole (1868, livret de Meilhac et Halévy), etc.
Il devient la vedette du second Empire et de sa cour. Son interprète favorite, celle pour qui fut écrite la Belle Hélène, est Hortense Schneider. Il aime, tout en travaillant, vivre en société, s'occuper des autres, et sa réputation est immense. La guerre de 1870, avec la fin du second Empire, interrompt cette période heureuse, et l'expose à des attaques xénophobes, bien qu'il se soit fait naturaliser français en 1860. Il doit quitter Paris quelque temps, puis après les événements de 1870 et 1871, il tente de repartir avec le Roi Carotte (1872, livret de Sardou), le Corsaire noir (créé à Vienne, 1872, sur un livret de lui-même) et Fantasio, d'après Musset (1872).
Il prend en 1872 la direction de la Gaîté-Lyrique, où il monte ses œuvres avec plus de fastes et de machineries (nouvelle version d'Orphée en 1874, le Voyage dans la lune, 1875, que suivirent le Docteur Ox, 1877, Madame Favart, 1878, la Fille du tambour-major, 1879). Mais cette entreprise le ruine, et, en 1876, il doit abandonner le théâtre, vendre une partie de ses biens et entreprendre une tournée (triomphale) aux États-Unis pour rétablir sa situation.
Tourmenté par la « goutte » (diathèse), il revient encore plus souffrant, mais toujours en activité, écrivant sur un livret des frères Barbier les Contes d'Hoffmann, vieux projet d'opéra-comique dans lequel il voulait mettre le meilleur de son inspiration fantasmagorique. Mais il meurt le 3 octobre 1880 avant de les avoir achevés. La première des Contes d'Hoffmann, orchestrés par Ernest Guiraud, a lieu le 10 février 1881, dans une atmosphère de consécration posthume.
Comme on l'a dit, Offenbach est un musicien dont la réputation a eu à souffrir de l'absurde hiérarchie des genres : souvent seul l'humour des paroles et des situations place ses opérettes sous le signe du divertissement sans prétention. La musique d'Orphée aux Enfers, ou de la Belle Hélène égale ou surpasse en invention, en qualité mélodique, en sens dramatique bien des opéras sérieux. S'il pastiche l'opéra, ce n'est pas pour singer un genre dont il ne posséderait pas l'étoffe ; c'est en grand musicien doué d'une certaine vertu d'intelligence, d'ironie et de goût pour l'humour, qui lui fait facilement voir toute chose sous l'angle drôle. De surcroît, il travailla souvent avec des librettistes de grand talent, extrêmement efficaces dans un humour de parodie et de « nonsense ». On a relevé cependant dans maint passage de son œuvre une mélancolie à peine cachée non pas mélancolie romantique, « spleen » cultivé avec amour, mais mélancolie très humaine et sans pose. On peut le rapprocher de ces burlesques géniaux du cinéma muet (Chaplin, Langdon, Keaton), ou d'un Boris Vian dont on ne connaîtrait que le visage de l'amuseur.