Mikhaïl Ivanovitch Glinka
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la musique ».
Compositeur russe (Novospasskoïe, province de Smolensk, 1804 – Berlin 1857).
Ses premières impressions musicales furent celles de la musique religieuse et d'un orchestre de serfs que possédait sa famille. À partir de 1817, faisant ses études classiques à l'Institut pédagogique de Saint-Pétersbourg, il prit quelques leçons de piano avec Field puis avec Carl Meyer, et de violon avec Bœhm. Sa première œuvre importante, Variations sur un thème de Mozart pour harpe (1822), fut écrite alors qu'il n'avait pas encore de réelle formation de compositeur. La même année, un voyage au Caucase lui fit découvrir la musique orientale. Pendant plusieurs années, il fit de la musique en autodidacte, produisant des mélodies russes et italiennes et une sonate en 2 mouvements pour alto et piano (1826). En 1830, il partit pour un voyage de trois ans en Italie afin d'y étudier l'art du chant. Il y découvrit les opéras de Bellini, Donizetti, Rossini. En revenant d'Italie, il s'arrêta à Berlin, où, pendant cinq mois, il allait étudier le contrepoint et mettre en ordre ses connaissances musicales avec S. Dehn, qui resta son seul véritable maître.
Rentré en Russie, en 1834, il se mit à travailler à un opéra russe, Ivan Soussanine, sur un sujet historique proposé par le poète Joukovski et mis en livret par le baron Rosen. Le même sujet avait été traité en 1815 par l'Italien Cavos : au début du xviie siècle un paysan sauva le futur tsar Michel Romanov d'un attentat, grâce à un subterfuge par lequel il sacrifia sa propre vie. Pour plaire à Nicolas Ier, Ivan Soussanine fut intitulé la Vie pour le tsar et représenté à Saint-Pétersbourg le 27 novembre 1836. Il connut un immense succès auprès du public, mais provoqua la mauvaise humeur de certains critiques qui y virent « de la musique de cochers ». De 1837 à 1839, Glinka fut chef de chœur à la chapelle impériale. En 1840, il composa la musique de scène pour une tragédie de Koukolnik, le Prince Kholmsky. Au cours de ces années, il travailla à son second opéra Rouslan et Ludmilla d'après un conte en vers de Pouchkine, qui fut représenté six ans jour pour jour après le précédent, le 27 novembre 1842. Il semblait devoir bien se maintenir au répertoire, mais l'année suivante, une troupe italienne arrivée à Saint-Pétersbourg détourna l'attention des mélomanes russes. Déçu, Glinka quitta la Russie (1844) et entreprit un long voyage en France et en Espagne. Il passa la saison 1844-45 à Paris, se lia avec Berlioz et put, grâce à lui, faire exécuter plusieurs de ses œuvres lors de trois concerts en mars et avril 1845. Il était le premier Russe joué en France. Il resta ensuite deux ans en Espagne (1845-1847), y étudiant le folklore espagnol. De ce séjour devaient naître deux fantaisies pour orchestre, la Jota aragonaise (1845) et Souvenir de Castille devenue après remaniement Une nuit d'été à Madrid (1848-49). Les années 1847-1852 se passèrent entre Novospasskoïé, Varsovie et Saint-Pétersbourg. 1848 vit la composition de la Kamarinskaïa, fantaisie pour orchestre sur deux thèmes populaires russes. En 1852-1854, Glinka vécut de nouveau à Paris, mais mena une vie retirée, en raison de sa santé défaillante. Il travailla à une symphonie ukrainienne, Tarass Boulba d'après Gogol, qu'il ne put achever et détruisit. De retour à Saint-Pétersbourg, il entreprit de rédiger ses Mémoires (1854-55). En avril 1856, il partit pour Berlin afin d'y travailler avec son vieux maître Dehn à l'étude des anciens modes religieux et de chercher sur cette base un nouveau style d'harmonisation des chants de l'Église russe. Mais il mourut prématurément le 15 février 1857.
Il serait inexact d'affirmer que Glinka ait été le premier à citer des chants russes dans ses œuvres ou à s'inspirer de sujets nationaux, ce qu'avaient déjà fait, à titre de divertissement, Pachkévitch, Fomine et d'autres compositeurs de la fin du xviiie siècle. Mais Glinka a été le premier à imprégner véritablement son langage des tournures mélodiques populaires et à donner à l'opéra russe une dimension dramatique, le transformant en « une solennité religieuse et patriotique » (Henry Mérimée). Certes, dans ses deux opéras, l'influence italienne reste sensible dans la division par numéros, la tendance à la virtuosité vocale et le peu de souci de la prosodie. Mais les chœurs et les airs d'Ivan Soussanine donnent toute leur dimension épique au peuple et au héros qui le représente, et nombre de scènes annoncent les opéras de Moussorgski. De son côté, Rouslan et Ludmilla, avec ses tableaux de l'Antiquité russe et sa féerie orientalisante, se retrouve dans les opéras-contes de Rimski-Korsakov. Dans Rouslan, Glinka met pour la première fois en scène un barde russe chantant une cantilène allégorique, de même qu'il est le premier à utiliser des mélodies et des rythmes orientaux (chœur persan, lezghinka, marche de Tchernomor). L'orientalisme, qui s'est déjà fait sentir dans le Prince Kholmsky, se retrouve dans les fantaisies espagnoles. À la base de l'école symphonique russe, la Kamarinskaïa établit le principe de la paraphrase et de la variation instrumentale des thèmes, opposé au développement de la symphonie germanique.
L'orchestration de Glinka révèle un sens des coloris sonores et des nuances qui lui valut l'éloge de Berlioz lui-même. Ses hardiesses harmoniques sont souvent remarquables (gamme par tons dans Rouslan). Les nombreuses mélodies de Glinka, notamment le cycle Adieu à Saint-Pétersbourg (1840), laissent ressentir les influences de l'aria italienne, de la romance française, mais aussi de la chanson russe et de la ballade romantique. Ses pièces et cycles de variations pour piano relèvent de la musique de salon et présentent beaucoup moins d'intérêt.