Charles Gounod
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la musique ».
Compositeur français (Paris 1818 – Saint-Cloud 1893).
Orphelin à cinq ans, il est élevé par sa mère, femme de caractère, intelligente et musicienne qui lui fait donner de solides humanités (entrée au lycée Saint-Louis en 1829 ; baccalauréat de philosophie en 1836), tout en développant ses dons artistiques (enfant, il écoute la Malibran dans Don Giovanni, Otello de Rossini ; la 6e et la 9e Symphonie de Beethoven). Entré au Conservatoire, il est successivement élève de Reicha, de Paer, puis de Halévy (fugue, contrepoint), de Lesueur (composition). Second prix de Rome en 1837, premier en 1839, il vit à Rome jusqu'en 1841. Au cours de cette époque d'intense maturation, il lit beaucoup (Goethe, Lamartine), fréquente l'Opéra (Donizetti, Bellini) et la Sixtine (Palestrina). Étudiant Lully, Gluck, Mozart et Rossini, il rencontre souvent également Ingres, qui l'invite à cultiver ses dons pour le dessin, et Lacordaire il en naît une première crise de mysticisme qui lui dicte plusieurs œuvres religieuses (Te Deum, deux Messes brèves, Hymne, Requiem). Après son départ de la villa Médicis, il passe par Vienne, où il dirige deux de ses œuvres à la Karlkirche et par Leipzig où Mendelssohn lui révèle Bach, avant de retrouver Paris (printemps 1843), où il devient organiste et maître de chapelle aux Missions étrangères. Sa crise mystique s'accuse (il porte soutane et signe « Abbé Gounod »), mais sa famille l'en détourne, ainsi que ses amis dont Pauline Viardot rencontrée à Rome et pour qui il compose son premier opéra, Sapho (16 avril 1851). En 1852, il épouse Anna Zimmermann, fille du grand pianiste, et devient directeur du chant dans les écoles communales, puis inspecteur des Orphéons (d'où, en 1853, la Messe dite aux orphéonistes). De cette époque datent ses premières grandes œuvres : l'Ange et Tobie (Lyon, 1854) ; la Nonne sanglante (Opéra de Paris, 1854) ; deux Symphonies (1855-56), la première dirigée par Pasdeloup. Mais une troisième crise mentale (1857) l'oblige au repos (internement dans la clinique du docteur Blanche). En 1859, Faust est créé (2e version, 1869). Entre ces deux dates, Gounod donne notamment Philémon et Baucis (1860), la Reine de Saba (1862), Mireille (1864), dont les succès le conduisent à l'Académie des beaux-arts (1866). En 1867, dernier grand succès avec Roméo et Juliette. Retiré en Angleterre chez la baronne Luisa Brown durant la guerre de 1870, Gounod ramène sa famille à Paris après les hostilités, puis retourne à Londres « vivre la plus grande erreur de (sa) vie ». En fait, il s'immisce dans le ménage Weldon, où Georgina l'ensorcelle jalousement par son charme sensuel et sa belle voix de soprano (elle crée à ce titre l'élégie biblique Gallia). Prisonnier de lui-même et de ses hôtes, Gounod revient à Paris sur les instances de son fils et du docteur Blanche. Mrs. Weldon refuse alors de rendre le manuscrit de Polyeucte ce qui va dégénérer en procès. Condamné à une amende de 10 000 livres, Gounod ne pourra pas, ainsi, assister à Birmingham en présence de la reine Victoria à la création de sa trilogie sacrée Mors et vita (26 août 1885). Cet ultime triomphe efface les succès d'estime de Cinq-Mars (1877), Polyeucte (1878) et l'échec total du Tribut de Zamora (1881).
Atteint d'hémiplégie, mais vite remis (1891), Charles Gounod est frappé, le 15 octobre 1893, d'une attaque d'apoplexie en rangeant la partition de son dernier Requiem écrit à la mémoire de son petit-fils (orchestré par H. Busser). Mort doucement trois jours plus tard, il a droit à des funérailles nationales (le 27 octobre) à la Madeleine.
D'un abord facile, de conversation enjouée, doué d'un esprit rapide, plus enclin à l'admiration qu'à la raillerie, ami sûr et dévoué, tel fut l'homme, à la fois sensuel et mystique. Le musicien apparaît plus complexe. On peut lui reprocher facilités et platitudes, une certaine pauvreté de la langue harmonique et du rythme (notamment dans ses œuvres religieuses) ; des efforts trop visibles pour créer de classiques symétries. En fait, son écriture a peu évolué ; mais son style demeure néanmoins personnel, qui recherche la pureté de l'écriture, la beauté de la ligne, la sobriété du discours. Qualités importantes et peu partagées à son époque, où l'art français est écartelé entre l'italianisme (Rossini et ses successeurs) et les recettes sans gloire de l'opéra historique (Meyerbeer). Finalement, l'importance de Gounod se mesure autant à son œuvre (Faust, Mireille, Roméo et Juliette renouvellent le genre) qu'à son action. Dans la mélodie de salon, son souci de la prosodie renforce un tendre et pénétrant lyrisme bien étranger à la romance contemporaine : Biondina évoque Schumann, Venise annonce Fauré. Si sa musique d'église s'accommode d'un mysticisme à la fois mondain et théâtral, à l'opéra, en revanche, il a su donner le meilleur de lui-même et apporter une poésie certaine face aux débordements du bel canto ou du romantisme germanique : à cet égard, Georges Bizet, Édouard Lalo, Massenet, Saint-Saëns lui seront redevables. Ainsi, Charles Gounod aura-t-il contribué à réorienter la musique française vers son propre génie : sa dilection pour la mesure et pour la clarté.