Carl Maria von Weber
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la musique ».
Compositeur, pianiste et chef d'orchestre allemand (Eutin, Holstein, 1786 – Londres 1826).
Son père, Franz Anton (1734-1812), était le frère cadet de celui de la femme de Mozart, Constance. Mozart et Weber étaient donc cousins germains par alliance. Franz Anton, entrepreneur théâtral, fit mener à ses enfants une vie itinérante. Carl Maria reçut ses premières leçons de son demi-frère Fridolin (1761-1833), qui avait lui-même étudié avec Haydn. Il travailla également avec Heuschkel à Hildburghausen, avec Michael Haydn à Salzbourg (1797), et avec Kalcher à Munich (1798-1800). Au cours d'un nouveau séjour à Salzbourg, il termina sous la direction de Michael Haydn son troisième opéra, Peter Schmoll und seine Nachbarn (1801, créé à Augsbourg en 1803). L'hiver 1803-1804 fut passé à Vienne, où Weber étudia non avec Joseph Haydn, comme il l'avait espéré, mais avec l'abbé Vogler. De cette époque datent, entre autres, les Variations pour piano op. 5 et op. 6 sur des thèmes de l'abbé Vogler (tirés respectivement de Castor et Pollux et de Samori).
Ayant accepté le poste de maître de chapelle à Breslau, Weber y arriva en juin 1804. Ses projets de réforme ayant rencontré une forte opposition, il démissionna bientôt. En 1806, il obtint à Carlsruhe (Haute-Silésie) un poste d'intendant du prince Eugène de Wurtemberg, pour l'orchestre duquel il écrivit alors ses deux symphonies, et en 1807, il devint à Stuttgart secrétaire du duc Ludwig, frère du prince, et professeur de musique de ses filles. Là, il se lia avec Franz Danzi. Malheureusement, divers incidents, dont un provoqué par son père Franz Anton, le firent expulser à perpétuité du territoire du Wurtemberg. À Stuttgart, il avait composé notamment son opéra Silvana (Francfort, 1810), une musique de scène pour Turandot de Schiller (1809), la Grande Polonaise op. 21 pour piano et plusieurs lieder.
Weber se rendit d'abord à Mannheim et à Heidelberg, puis à Darmstadt, où il reprit ses études auprès de l'abbé Vogler, avec entre autres condisciples Meyerbeer. Il termina alors son Premier Concerto pour piano, et commença son singspiel Abu Hassan (Munich, 1811). En outre, il se produisit de plus en plus comme pianiste. En février 1811, il quitta Darmstadt pour une tournée qui le mena à Bamberg, puis à Munich, où avec le clarinettiste Heinrich Bärmann il donna un concert avec au programme son Concertino pour clarinette. Cette œuvre eut un tel succès que le roi de Bavière lui commanda deux concertos pour clarinette. Pour l'orchestre, qui lui en avait demandé plusieurs pour divers instruments, il n'écrivit que celui pour basson.
Ayant refusé un poste de maître de chapelle à Wiesbaden, Weber entreprit de nouvelles tournées, d'abord en Suisse, puis (avec Bärmann) à Prague, Leipzig, Dresde, Gotha, Weimar, Francfort, Nuremberg, Bamberg et Berlin, où il arriva en février 1812, et composa notamment sa Première Sonate pour piano (ut majeur, op. 24). En décembre, il joua à Gotha son Deuxième Concerto pour piano et, en janvier 1813, il arriva à Prague.
Il s'y vit offrir le poste de directeur de l'Opéra, devenu vacant, et qu'il devait occuper jusqu'en 1816. Il effectua dans l'établissement de profondes réformes, et réunit une troupe de chanteurs de premier plan, et dont fit partie, à dater de décembre 1813, la soprano Caroline Brandt, sa future femme. En trois ans, Weber fit représenter à Prague soixante-deux opéras de plus de trente compositeurs différents. Parmi ces derniers, beaucoup de Français ou de Français d'adoption (Dalayrac, Grétry, Catel, Méhul, Isouard, Boieldieu, Cherubini, Spontini), mais aussi Beethoven (Fidelio). À Prague, Weber composa entre autres son Quintette pour clarinette et sa cantate Kampf und Sieg (1815). Ayant démissionné de son poste après divers incidents, il partit en juin 1816 pour Berlin, où il acheva son Grand Duo concertant pour clarinette et piano et ses sonates pour piano no 2 (la bémol majeur, op. 39) et no 3 (ré mineur, op. 49).
Le 25 décembre 1816, il fut nommé maître de chapelle de la cour de Saxe à Dresde : ce devait être son dernier poste officiel. Les traditions d'opéra de la ville étaient italiennes, et une des tâches confiées à Weber consistait à y développer l'opéra allemand (ce qui devait provoquer pour lui de nombreuses difficultés dans ses rapports avec Fr. Morlacchi, chargé de l'opéra italien). Le 30 janvier 1817, Weber fit ses débuts à Dresde en dirigeant Joseph de Méhul. Le 4 novembre, à Prague, il épousa Caroline Brandt. À Dresde, il poursuivit son habituelle politique de réformes, tout à fait comparable à celle à laquelle, à la fin du siècle, Gustav Mahler devait attacher son nom, et rencontra le poète Friedrich Kind, futur librettiste du Freischütz. Weber commença à travailler à cette œuvre peu après son mariage. Ses deux messes de maturité, en mi bémol et en sol, datent respectivement de 1817-18 et de 1818-19.
Un projet d'opéra avec Kind (Alcindor) ayant été abandonné, Weber, tout en poursuivant le Freischütz, se tourna vers la musique instrumentale : Polacca brillante op. 72 pour piano (1819), Rondo brillante op. 62 pour piano (1819), Invitation à la valse (1819), Trio pour flûte, violoncelle et piano (1819). Il composa également une musique de scène pour Preciosa de P. A. Wolff (1820, création à Berlin le 14 mars 1821). Et le 18 juin 1821, jour de la création à Berlin du Freischütz, il termina son Konzertstück en fa mineur pour piano et orchestre.
Le Freischütz connut un triomphe non seulement à Berlin mais dans toute l'Allemagne, et fut le premier opéra allemand à conquérir immédiatement l'Europe entière ou presque. Ce triomphe fut à l'origine de la commande, par le théâtre de la Porte-de-Carinthie à Vienne, d'un nouvel opéra « dans le style du Freischütz ». Le résultat devait être Euryanthe (Vienne, 25 octobre 1823). Entre-temps, le Freischütz avait été donné à Dresde (26 janvier 1822) et à Vienne (ce qui avait été l'occasion d'une rencontre avec Schubert), et Weber avait composé à Dresde en 1822 sa 4e Sonate pour piano (mi mineur, op. 70). Parallèlement, il avait renoncé définitivement à un opéra entrepris en 1820 sur un livret de Theodor Hell, les Trois Pintos (terminé par Gustav Mahler en 1888).
Weber, qui souffrait de phtisie, vit alors sa santé se détériorer rapidement. Il dirigea Euryanthe à Dresde le 31 mars 1824, puis durant l'été les Saisons de Haydn et le Messie de Haendel pour les fêtes du centenaire de Klopstock à Quedlinburg. En août, il reçut de Covent Garden la commande d'un opéra. Il choisit le sujet d'Oberon (livret de James Robinson Planché). En décembre 1825, il dirigea Euryanthe à Berlin. Avec comme compagnon le flûtiste Kaspar Fürstenau, il quitta Dresde en février 1826, arrivant le 25 à Paris (où le jeune Berlioz courut après lui toute une journée sans réussir à le voir), et le 4 mars à Londres. Il y dirigea la première d'Oberon le 12 avril, et mourut dans la nuit du 4 au 5 juin chez sir George Smart, qui l'avait accueilli dès son arrivée. En 1844, ses restes furent transférés à Dresde à l'instigation de Wagner, qui occupait alors son ancien poste dans cette ville.
Né seize ans après Beethoven et onze ans avant Schubert, Weber mourut le premier des trois, un an avant Beethoven et deux ans avant Schubert. Tous trois furent donc largement contemporains. Une des meilleures façons d'aborder Weber, le premier grand musicien romantique allemand, est de réfléchir sur son attitude envers Beethoven. On connaît sa déclaration (1810) : « Je diffère trop de Beethoven dans mes vues pour que je puisse jamais me rencontrer avec lui. Le don brillant et incroyable d'invention qui l'anime est accompagné d'une telle confusion dans les idées, que ses premières compositions seules me plaisent, tandis que les dernières ne sont pour moi qu'un chaos, qu'un effort incompréhensible pour trouver de nouveaux effets, au-dessus desquelles brillent quelques célestes étincelles de génie qui font voir combien il pourrait être grand s'il eût voulu maîtriser sa trop riche fantaisie. Ma nature ne me porte pas à goûter le génie de Beethoven. »
Du génie de Beethoven, Weber était évidemment persuadé comme tout un chacun. Significatif est le fait que de tous les grands compositeurs romantiques, il ait été avant Chopin le seul à ne pas se réclamer expressément de Beethoven. Loin de s'en indigner, il faut y voir de sa part un trait de lucidité, car Weber mit ainsi en accord ses déclarations officielles avec sa pratique. Il fut au xixe siècle le premier grand compositeur à ne plus se mouvoir dans l'orbite de Vienne. Certes, on peut tracer une lignée des Saisons de Haydn à son propre Freischütz. Certes, pour lui, Mozart était un dieu, et nul n'ignore que, comme lui, il magnifia la clarinette. Mais en Mozart, il admira le dramaturge plutôt que le symphoniste. Bref, sa rupture avec le classicisme viennois fut beaucoup plus radicale que celle de Schubert, natif de la capitale des Habsbourg et qui y passa toute sa vie, et il en fit bénéficier des genres bien précis : ni la symphonie (les deux qu'il écrivit en 1807 sont d'importance secondaire), ni le quatuor à cordes (il n'en composa aucun), mais l'opéra, le concerto, la variation brillante.
Il ne fut pas un maître de la forme sonate, et dans ses concertos, les premiers mouvements lui donnèrent toujours le plus de mal, au point qu'il les écrivit généralement en dernier, et que dans certains cas (Concertino pour cor, Andante e Rondo ungarese pour alto révisé plus tard pour basson), il alla jusqu'à s'en passer.
À la place du travail thématique rigoureux et de la variation organique surgirent avec lui l'élan, le geste conçu comme un mouvement chargé de signification (dramatique ou non) : Weber était virtuose ! Et on s'aperçoit que les tendances humanitaires et tendant vers l'universel des classiques viennois, échos des idéaux officiels de la Révolution française, firent place chez lui à une attitude velléitaire fondée largement sur l'irrationnel, avec comme toile de fond une catastrophe toujours possible, pas toujours évitée. La scène de la « Gorge aux loups » du Freischütz est typique, et s'oppose dans son fantastique à celle de la mort de Don Giovanni chez Mozart.
Adorno l'a noté : « (Cette scène) est composée d'images, elle est presque allusive comme dans un film, à chaque image correspond une situation ou une apparition de fantômes. C'est justement de cette réserve, du fait qu'elle ait su se limiter à la musique de scène et renoncer au vaste finale intégré du type deuxième acte de Figaro ou scène du cachot (de Fidelio), que la scène principale du Freischütz tire son originalité fondamentale. Sans crainte, elle se met à la merci de la fuite des images. Des prétentions d'ordre symphonique seraient ici déplacées, elles jureraient avec les couleurs de ces instants changeants, avec cette vision d'enfer en miniatures Biedermeier. Au moment précis où fut composé le Freischütz, on inventa le kaléidoscope : quelques-uns des besoins qui provoquèrent cette invention devinrent musique dans la Gorge aux loups. »
Le romantisme de Weber, son germanisme, ses couleurs orchestrales, son sens de la nature et du fantastique, découlent de telles prémisses. Avec le Freischütz, il fit passer dans la musique les grands espaces de la forêt allemande, le romantisme de la nature. Avec Euryanthe et Oberon, il y fit passer également, en contemporain de Walter Scott, un romantisme chevaleresque et historicisant, celui qu'on retrouve dans beaucoup d'opéras-comiques français du temps de Charles X, par exemple dans la Dame blanche de Boieldieu (que Weber ait préféré l'opéra français à l'opéra italien n'a rien que de très normal).
Entre la nature dans la Pastorale de Beethoven et dans le Freischütz, peu de points communs : dans un cas, on ressent, ou à la rigueur on contemple un tableau, dans l'autre on y est plongé. On y est même tellement plongé que cette nature est tout, sauf pittoresque, sauf innocente. C'est déjà celle, consolatrice et menaçante à la fois, de la Symphonie no 3 de Mahler. Elle dégage un parfum national sans verser dans le nationalisme : en tant que spécimens du germanisme en musique, le Freischütz et les Maîtres chanteurs ne se ressemblent pas.
Au niveau exceptionnel qui est le sien, et par-delà ses tenants et aboutissants, le Freischütz apparaît pour ainsi dire comme une œuvre exterritoriale, presque sans tradition. Un demi-siècle plus tôt, alors que le classicisme viennois prenait son essor, les opéras de Gluck s'étaient comportés de même. Or de Berlioz, ce pourfendeur de ce qui à son avis sentait l'école, qui furent les ancêtres vénérés ? Beethoven bien sûr, mais surtout Gluck et Weber.
Comme compositeur pour piano et comme virtuose du piano, Weber personnifia génialement des aspirations plus que latentes chez Clementi, Dussek, Hummel et même le premier Beethoven. Bien que d'une taille au-dessous de la moyenne, il avait des doigts d'une longueur lui permettant de couvrir sans difficulté un intervalle de douzième. Son art du crescendo combla d'aise, à Weimar en 1812, le vieux Wieland. Il brilla surtout dans l'improvisation, et sortit vainqueur de nombreux tournois. Il passa la plus grande partie de sa brève existence comme chef d'orchestre d'opéra, mais après sa mort, un journaliste remarqua qu'il « jouait de l'orchestre comme un virtuose d'un instrument ».
Les pièces pour piano ne se groupent pas en grands cycles solides comme les sonates de Beethoven ou de Mozart, mais s'éparpillent en variations, rondos, polonaises, valses, pièces de danse, pièces à quatre mains (même les quatre sonates sont rarement perçues comme formant un ensemble) : c'est une des raisons de leur peu de renommée. Elles méritent beaucoup mieux, malgré leurs tendances curieusement opposées, voire contradictoires. Le virtuose se rappelle à nous par la fréquence des intervalles très larges, comme dans le rondo du Concerto no 2 ou dans le menuet de la Sonate no 1, des gammes rapides en tierces ou en glissandi d'octaves, des traits agiles, des accords brisés (pour en augmenter la difficulté, il arrivait à Weber de jouer en ut dièse le finale de la Sonate no 1 en ut, parfois publié isolément sous le nom de Mouvement perpétuel).
Mais parallèlement se manifestent un goût très prononcé pour la couleur orchestrale (Weber fut un des plus grands orchestrateurs de tous les temps) et des souvenirs d'opéra d'autant plus remarquables que l'écriture pour piano reste toujours impeccable. Sous cet angle, contrairement à Beethoven, et contrairement à ce qu'il fit lui-même ailleurs, Weber fut un très grand styliste.
Fidèle à une tendance du temps qui lui était particulièrement chère, il mit souvent son imagination au service d'une expression plus ou moins exotique : plusieurs pièces pour piano ont un parfum espagnol, hongrois, polonais, russe, bohémien. Or là aussi, on ne peut qu'admirer leur sûreté de main, leur goût parfait, avec, unifiant le tout, ces qualités si typiques de Weber au meilleur de lui-même : la bravoure, le panache. Ne parla-t-il pas, dans une de ses professions de foi, de l'indispensable « énergie de l'expression » ?
Il exerça aussi des activités de critique, et ses lettres et écrits divers, fort intéressants, ont fait l'objet de plusieurs éditions. Son fils Max Maria (1822-1881) fut son premier biographe (Carl Maria von Weber : ein Lebensbild, Leipzig, 1864-1866, rééd. abr. 1912, trad. angl. abr. 1865, réimpr. 1968). Son petit-fils Carl (1849-1897) communiqua à Mahler, pour qu'il l'achevât, le manuscrit des Trois Pintos.