Hector Berlioz
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la musique ».
Compositeur français (La Côte-Saint-André, Isère, 1803-Paris 1869).
C'est à La Côte-Saint-André, où son père était médecin, qu'Hector Berlioz reçut sa première éducation musicale. Il apprit à jouer du flageolet, de la flûte et de la guitare. À seize ans, muni de quelques rudiments théoriques puisés dans les traités d'harmonie de Rameau et de Catel, ainsi que dans les Éléments de musique de d'Alembert, il écrivit un quintette pour flûte et quatuor. Bachelier, en 1821, il partit pour Paris afin d'y suivre les études de médecine, selon le vœu de son père. Mais il y fréquenta plus volontiers l'Opéra que l'amphithéâtre de la Pitié et il voua à Gluck une admiration passionnée. Dès 1823, il travailla la composition avec Lesueur et, à l'automne de la même année, entreprit d'écrire une Messe solennelle, qui devait être exécutée, à ses frais, à l'église Saint-Roch, en 1825. Si cette messe fut très remarquée, elle laissa son auteur endetté. Et Berlioz vécut pauvrement.
Vocation : musicien
À cette époque, le jeune homme découvrit Weber ; ce fut une nouvelle flambée d'enthousiasme. Éliminé au concours de Rome (1826), il vit ses parents s'opposer à sa vocation artistique. Sa mère le maudit, mais son père finit par céder. Berlioz s'inscrivit alors au Conservatoire, où il étudia la composition avec Lesueur, le contrepoint et la fugue avec Reicha. En 1827, il se présenta à nouveau, sans succès, au concours de Rome. Peu après, il fut subjugué par Shakespeare, dont on joua Hamlet et Roméo et Juliette à l'Odéon ; en même temps, il tomba amoureux, et amoureux fou, de l'actrice irlandaise qui interprétait les rôles d'Ophélie et de Juliette, Harriet Smithson. Bientôt, il reçut un nouveau choc avec le Faust de Goethe. Son destin musical était déjà tracé.
Une troisième fois, en 1828, Berlioz se présenta au concours de Rome et obtint le second grand prix avec Herminie. Il composa Huit Scènes de Faust. Après un nouvel échec au concours de Rome, pour lequel il écrivit la Mort de Cléopâtre (1829), l'année 1830 fut marquée par la Symphonie fantastique et par le premier grand prix de Rome avec la cantate la Dernière Nuit de Sardanapale. Le 5 décembre, dans la salle du Conservatoire, eut lieu la première audition de la symphonie. Liszt fut enthousiaste.
Une période agitée
Berlioz se croyait alors guéri de sa passion pour Harriet Smithson et se fiança avec une jeune pianiste, Camille Moke. En mars 1831, il arriva à Rome, à la Villa Médicis. Il ne s'y plut guère et, ayant appris que Camille Moke avait rompu ses fiançailles, possédé par un désir de vengeance, il voulut regagner Paris. Mais il s'arrêta à Nice, où il écrivit les ouvertures du Roi Lear et de Rob Roy. De retour à Rome, en juin, il composa Lélio ou le Retour à la vie, présenté comme une suite à la Symphonie fantastique. En novembre 1832, Berlioz, redevenu parisien, fit exécuter, sous la direction d'Habeneck, la Symphonie fantastique et Lélio ; ces œuvres remportèrent un grand succès. Harriet Smithson assistait au concert et, s'enflammant de nouveau, le compositeur lui déclara sa passion ; il devait l'épouser en octobre 1833.
À la demande de Paganini, le musicien composa une œuvre pour alto et orchestre, Harold en Italie, dont la première audition, avec Chrétien Urhan en soliste, fut donnée l'année suivante. Critique musical au Journal des débats à partir de 1835, il obtint, en 1837, la commande d'un Requiem, qui devait être joué aux Invalides, le 5 décembre. Cette partition fut très bien accueillie. Mais il n'en fut pas de même pour son opéra Benvenuto Cellini, qui, en 1838, ne fut représenté que quatre fois.
Toutefois, en décembre de cette même année, un concert au cours duquel Berlioz dirigea Harold en Italie et la Symphonie fantastique apporta au compositeur une revanche : Paganini proclama son génie et lui fit don d'une somme de vingt mille francs qui lui permit d'éponger ses dettes et d'entreprendre en janvier 1839 la symphonie dramatique Roméo et Juliette, créée avec succès en novembre. Wagner assista à cette première et ne cacha pas son enthousiasme. L'année suivante, pour le dixième anniversaire des Trois Glorieuses, le compositeur dirigea sa Symphonie funèbre et triomphale.
Au cours de cette période, la vie conjugale de Berlioz devenait insupportable ; le ménage se désagrégeait de jour en jour. Et, en 1841, le musicien s'éprit d'une cantatrice, Marie Recio.
Des triomphes à l'étranger
Commença alors l'ère des tournées de concerts à l'étranger, d'abord en Belgique, puis en Allemagne, où Marie Recio l'accompagna. Revenu à Paris, en 1843, Berlioz se sépara d'Harriet. En 1846, des concerts triomphaux à Prague et à Budapest le dédommagèrent des déceptions que lui avaient apportées les « festivals » qu'il avait organisés à grands frais à Paris. Il acheva la Damnation de Faust, qui fut créée sous sa direction en décembre, à l'Opéra-Comique ; ce fut un demi-échec. Criblé de dettes, le compositeur partit, en 1847, pour diriger des concerts en Russie ; il y remporta un très grand succès, à Saint-Pétersbourg comme à Moscou. En 1849, il écrivit son Te Deum. Liszt fit représenter Benvenuto Cellini à Weimar, en 1852, et, cette fois-ci, l'ouvrage remanié et abrégé fut fort bien accueilli. Mais la vie familiale de Berlioz demeurait difficile. En 1854, Harriet Smithson, malade depuis plusieurs années, paralysée, mourut. Le musicien épousa Marie Recio.
La première exécution de l'Enfance du Christ, en 1854, fut un triomphe. Le Te Deum fut joué à Saint-Eustache en 1855. Élu à l'Institut l'année suivante, Berlioz se tourna de nouveau vers l'opéra : en 1859, il acheva les Troyens et, en 1862, Béatrice et Bénédict, dont la première eut lieu à Baden-Baden, tandis que les trois derniers actes des Troyens ne furent représentés qu'en 1863, à Paris, au Théâtre lyrique, sous le titre les Troyens à Carthage. 1862 fut aussi l'année de la mort de Marie Recio, qui laissa le compositeur en proie au découragement et à la solitude. En 1864, il démissionna du Journal des débats. Trois ans plus tard, son fils Louis (né en 1834) mourut de la fièvre jaune à La Havane. Berlioz était lui-même malade. Pourtant, il effectua un nouveau voyage en Russie. La fin de l'année 1868 fut particulièrement sombre : en décembre, la maladie le cloua au lit. Il mourut le 8 mars 1869 et fut enterré au cimetière de Montmartre.
Le sens de l'universel
Hector Berlioz est une des grandes figures de la musique romantique européenne. Il fut mieux compris en Allemagne, en Bohême, en Hongrie et en Russie que dans son propre pays. Ses meilleurs défenseurs furent Paganini, Liszt et Schumann. Il est vrai que ses sources littéraires d'inspiration, puisées dans Shakespeare et Goethe, lui ont donné le sens de l'universel, dépassant le cadre étroit des frontières nationales. Mais, parmi ces sources, il y a aussi Virgile, et l'on ne peut nier, à côté du « fantastique » et des débordements de la passion, la clarté méditerranéenne d'Harold en Italie, de l'Enfance du Christ et des Troyens.
Berlioz est un passionné lucide. Il conçoit dans l'enthousiasme, puis exécute froidement. Ce romantique est exactement le contraire d'un improvisateur. Il faut que sa vision poétique soit rendue avec évidence, il faut que la projection dans la musique de son « moi » omniprésent soit parfaitement perceptible. Même le rêve, même le délire cèdent chez lui au besoin d'énoncer clairement et d'enchaîner logiquement. Dès la Symphonie fantastique (1830), il rejette le schéma traditionnel de la symphonie, pour lui substituer une progression dramatique en cinq épisodes (Rêveries et Passions ; Un bal ; Scène aux champs ; Marche au supplice ; Songe d'une nuit de sabbat), qui évolue de la tendresse la plus pure au délire et au sarcasme, unifiée par la présence d'un thème obsessionnel, l'« idée fixe ». Avec le concours d'un alto solo « combiné avec l'orchestre de manière à ne rien enlever de son action à la masse orchestrale », Harold en Italie (1834) met de nouveau en vedette un personnage mélodique (analogue à l'« idée fixe »), qui se mêle à des paysages et à des scènes tout en poursuivant sa méditation solitaire. Roméo et Juliette (1839) se libère totalement des contraintes de la structure symphonique, au bénéfice d'une approche poétique, mais toujours logique, qui cerne l'action dramatique de diverses manières, tantôt la survolant, tantôt la commentant, tantôt s'y incorporant pour la vivre intensément.
La Symphonie fantastique a pour sous-titre « Épisode de la vie d'une artiste ». Roméo et Juliette est une « symphonie dramatique ». La Damnation de Faust (1846) est une « légende dramatique » sans être pour autant destinée à la scène ; ici, la symphonie évolue vers l'opéra. Tout est drame chez Berlioz. Les thèmes sont des personnages ; l'orchestre est un décor, un lieu scénique. La Grande Messe des morts ou Requiem (1837) n'échappe pas à cette loi, et même la confirme avec éclat.
La modernité de Berlioz
Berlioz est essentiellement un musicien de rupture. Il y a dans son œuvre des moments où sa fougue créatrice anticipe étrangement sur les audaces de la musique du xxe siècle. Berlioz annexe des territoires encore vierges, ne s'embarrasse pas de contraintes, ne redoute pas la démesure. Peu lui importent les moyens, seul compte ce qu'il a à dire, et cette volonté d'aller jusqu'au bout de ce qu'il doit exprimer entraîne la découverte de moyens nouveaux qui élargissent le domaine du compositeur. Une orchestration « moderne », où le timbre, la couleur, la dynamique jouent un rôle prépondérant dans l'expression musicale, le sens du modal qui enrichit l'harmonie et affine la mélodie, une conception toute personnelle du contrepoint qui lui permet de superposer des éléments très différenciés, créant une sorte de simultanéité qui lui appartient en propre, le recours à la stéréophonie, telles sont quelques-unes des conquêtes de Berlioz, mais elles n'ont force d'évidence que parce qu'elles sont apparues dans des chefs-d'œuvre (Symphonie fantastique, Requiem, Harold en Italie, Roméo et Juliette, la Damnation de Faust, les Troyens).
On n'oubliera pas enfin que Berlioz fut un remarquable écrivain et un excellent critique musical. Ses passionnants Mémoires et ses livres sur la musique en témoignent.