roman historique
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».
Le roman historique naît au xixe siècle avec W. Scott. Il y a certes au xviie siècle des romans qui se prétendent tels (Mlle de Scudéry), mais l'histoire, bien fantaisiste, ne sert que de vague cadre à d'interminables intrigues amoureuses. On trouve aussi un courant « réaliste », avec des œuvres comme la Princesse de Clèves ou ces Mémoires apocryphes dont le public était friand. Cependant, tous ces livres ne définissent pas un véritable genre : celui-ci se constitue seulement vers 1820, suscitant un engouement qu'on a souvent cherché à expliquer.
L'omniprésence de l'histoire
G. Lukács a suggéré que les grands événements de la Révolution française et de l'époque napoléonienne ont donné à chacun le sentiment très fort de vivre dans l'histoire. Il évoque aussi l'éveil des nationalités, la référence des romantiques à un passé mythique, l'attachement de certains écrivains à une interprétation « progressiste » de l'histoire. Ces motifs contradictoires mais convergents permettent de mieux comprendre l'histoire du roman historique : une première étape euphorique où le personnage principal assume le destin d'une communauté (W. Scott), puis, après 1848, le refuge dans l'exotisme (Salammbô de Flaubert), avant la renaissance d'une inspiration plus populaire. L'histoire est partout ; on la trouvait déjà dans les Martyrs de Chateaubriand, mais à présent elle envahit la mode, l'ameublement, la peinture, la poésie, le drame avec Henri III et sa cour de Dumas ou Hernani de Hugo. C'est enfin et surtout l'âge d'or du roman historique avec Cinq-Mars de Vigny, la Chronique du règne de Charles IX de Mérimée, Notre-Dame de Paris de Hugo, et les Trois Mousquetaires de A. Dumas. L'histoire « sérieuse » elle-même semble suivre le mouvement et les récits historiographiques (chez A. Thierry et Michelet) empruntent parfois à la technique romanesque : un échange inattendu s'est produit entre les deux genres.
On pourrait également montrer qu'une bonne partie des romans, à partir de 1820, sont « historiques » en ce sens qu'ils veulent être des témoignages véridiques sur leur époque. Balzac met en scène la société de la Restauration, Stendhal donne pour sous-titre au Rouge et le Noir « Chronique de 1830 », et Zola, bien plus tard, fera l'« histoire naturelle et sociale d'une famille sous le second Empire » : il y a là un projet « scientifique » qui ne doit pas faire illusion, mais qui montre bien la fascination qu'exerce l'histoire sur les esprits du temps. Le roman retrouve le sens étymologique du terme, et devient une « enquête ». Et tous les grands cycles (y compris ceux de l'entre-deux-guerres : l'Âme enchantée de R. Rolland, les Thibault de R. Martin du Gard, les Hommes de bonne volonté de J. Romains, la Chronique des Pasquier de G. Duhamel) jouent sur cette illusion réaliste : le destin individuel d'un personnage acquiert plus de crédibilité lorsqu'il s'inscrit dans un vaste mouvement collectif. Le roman historique joue là sur deux tableaux et répond à des impératifs complexes : sa documentation doit être solide sans être voyante, tandis que l'intrigue proprement romanesque doit éviter l'anachronisme tout en parlant à un public moderne (ce sera la technique de M. Yourcenar dans l'Œuvre au noir ou dans les Mémoires d'Hadrien). D'où, bien sûr, des problèmes d'équilibre et de construction : comment restituer vraiment une psychologie médiévale ? Quelle place faire aux personnages qui ont réellement existé ? Quelle liberté prendre avec eux ? G. Lukács montre encore que, par la force des choses, le roman historique est écrit par un auteur moderne pour instruire ou divertir des lecteurs de son temps : le roman historique est un regard d'aujourd'hui porté sur hier et c'est ce double rapport à l'histoire qui fait son intérêt. On le voit, c'est un genre à part entière qui a ses lettres de noblesse. Aujourd'hui néanmoins, le roman historique s'adresse à un public très large avec des séries à succès illustrées par M. Druon (les Rois maudits), R. Merle, H. Montheilet et C. Jacq.
L'histoire au féminin
Cantonné dans un univers masculin (quand la réalité politique l'était aussi), le roman historique évolue dans l'entre-deux-guerres, qui voit changer le statut de la femme. Des romancières de l'histoire se font alors une place. S'adressant à un lectorat féminin, le genre modifie son échelle de valeurs pour mettre l'accent sur l'amour et l'émancipation féminine sur fond historique tourmenté, comme l'illustre le best-seller Autant en emporte le vent (1936) de la journaliste américaine M. Mitchell. La dimension historique se traduit par la peinture des milieux sudistes et la description de la guerre de Sécession et de ses conséquences économiques et sociales. Mais le récit repose fortement sur un destin de femme dominé par la quête amoureuse. Plus tard, un autre best-seller, Ambre de K. Winsor, exploitera la même veine. La Caroline chérie de Cecil Saint-Laurent s'inspire du même type de situation, quoique sans arrière-plan féministe. Ce genre gagne en France un public plus populaire dans les années 1960-1970 avec la Marianne de Juliette Benzoni et surtout la série Angélique, marquise des Anges de A. et S. Golon. Cependant, on trouve aussi des œuvres « soutenues », comme celles de J. Bourin (la Chambre des dames, 1979 ; la Dame de beauté, 1982) ou de F. Chandernagor (l'Allée du roi, 1981) qui se démarquent des romans de grande diffusion évoqués plus haut grâce à une qualité littéraire plus affirmée.