Philippines
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».
L'évolution de la littérature aux Philippines reflète les étapes de l'histoire de cet archipel et l'amalgame de ses cultures.
La littérature préhispanique et la littérature ethnique
La littérature préhispanique et ethnique contemporaine combine les influences indiennes, islamiques et le génie local. Antérieure à l'arrivée des Espagnols, elle se conserve vivante dans certains groupes ethniques, sous forme de poèmes épiques, de mythologies ou de généalogies (Biag ni Lamang des Ilocano, Lumawig des Igorot, Tuwaang des Manobo, Hudhud des Ifugao). Parlée ou chantée, cette littérature couvre aussi des genres divers comme les chansons d'amour, les berceuses, les devinettes, les proverbes. La première collection de contes populaires, écrite par Don Diego Lope de Povedano (1578) en ancien espagnol, reflète les activités de la vie quotidienne, les croyances et les rites, les relations des hommes entre eux et avec le monde surnaturel.
La littérature tagalog et espagnole pendant la colonisation espagnole (1565-1898)
Le tagalog (ou tagal) est le dialecte le plus évolué du groupe des langues indonésiennes du Nord. Son système d'agglutination s'apparente au vieux javanais et permet une infinité de combinaisons. Avant la conquête espagnole, le tagalog était noté par une écriture syllabique, proche de l'écriture « chame » de l'Annam. Langue « nationale » des Philippines, il couvre la région de Manille, les îles Marinduque et Mindoro, les provinces de Batangas, Cavite, Rizàl, Laguna, Bulacan, Bataan, Nueva Ercija et une partie de Tarlac. Le premier poème publié en tagalog le fut en 1610 par Tomas Pinpin dans son Libro pag-aaralan nang manga Tagalog ng nicang Castilla (Méthode d'espagnol pour tagalogs). Les Espagnols introduisirent le corrido, poème religieux qui mêle l'histoire et la légende, qu'adaptèrent en tagalog José de la Cruz (1746-1829) et Francisco Baltazar, dit « Balagtas » (1798-1826). Au xixe s. également se développe l'awit, poème de chevalerie, illustré aussi par Balagtas (La India elegante y el Negrito amante, Florante at Laura). Le principal genre théâtral est alors la comedia ou moro moro, à l'origine une danse de guerriers qui a pour thème la lutte entre chrétiens et musulmans. Le premier moro moro en tagalog (1637) a pour auteur Jerónimo de Perez. À partir de 1800, la zarzuela, ou comédie mélodramatique musicale, prend une place importante et se signale souvent par son contenu politique. Le plus grand « zarzuelista » est Severino Reyes (1861-1942), qui fonde la « Gran Compañía de Zarzuela tagala » et qui fait jouer des pièces comme Walang Sugat (Sain et Sauf) ou La venta de las Filipinas al Japón. Pendant la période révolutionnaire (1872-1898) se développe une vaste littérature de propagande. L'auteur majeur est alors José Rizal (1861-1896) avec deux romans d'inspiration politique et sociale, publiés l'un à Madrid (Noli me tangere, 1887), l'autre à Gand (El filibusterismo, 1891), un drame musical (Au bord du Pasig, 1880) et des poèmes (Dernier Adieu, 1896). Pedro A. Paterno est également un poète (Sampaguitas et poèmes variés, 1880) et un romancier (Ninay, 1885). Graciano López Jaena (1856-1896) fonde la revue La solidaridad, tandis que de nombreux journaux (El renacimiento, 1902-1910, et son supplément en tagal Muling Pagsilang) publient des nouvelles et des romans-feuilletons qui obtiennent très vite un grand succès (l'Esclave de la fortune, 1909, de Faustino Aguilar).
La littérature de la période américaine (1898-1946)
Une littérature antiaméricaine en espagnol et en tagalog voit le jour après l'occupation. Le poète José Corazón de Jesus (1896-1932) publie ainsi Mga Dahong Ginto (les Feuilles d'or, 1920) et Maruming Basahan (les Torchons sales, 1931) ; il introduit d'autre part le monologue dramatique comme forme littéraire et popularise l'éloquence en vers, le balagtasan. Hernández Amado (1903-1970) se révolte cependant contre une littérature conventionnelle dans le célèbre Isang Dipang Langit (À une encablure du ciel). Florentino Collantes (1896-1951), Claro M. Recto (Bajo los cocoteros, 1911) écrivent des poèmes nationalistes destinés à être lus à haute voix tandis que M. Fernando Guerrero (1873-1929) publie Crisaldias (1914). Au début du siècle le roman évolue vers une forme brève, la maikling katha, tandis que le conte populaire (dagli) connaît une faveur nouvelle : il a pour thèmes principaux l'amour, la jalousie, la vengeance. Le mouvement Panitikan cherche, pour sa part, son inspiration du côté des littératures française, anglaise et allemande.
La littérature contemporaine
Le roman contemporain est dominé par N. V. M. González (Children of the Ash Covered Loam, 1954) et Nick Joaquin (Tropical Gothic, 1972) : avec César Aquino (Assault in Dumaguete, 1976), ils traitent de la situation sociale du Philippin moyen, à travers une évocation de ses problèmes quotidiens. Ils se placent ainsi dans une tradition issue de Lope K. Santos (1879-1963), dont les romans en tagalog (Banaag at Sikat [Rayonnement et Resplendissement], 1906) avaient pour but d'« entretenir, apprendre et décrire » la vie philippine. Severino Montano (Speak My Gentle Children, 1971) et Virginia Moreno (Itim Asu [la Louve noire], 1972) comptent parmi les dramaturges les plus joués aujourd'hui aux Philippines. La poésie est illustrée par Virgilio Almario, Federico Espino Licsi, Larry Francia (Sari Manok at iba pang Tula [le « Sari Manok » et autres poèmes], 1976), Alfred Yuson (Icon Corner and Other Poems, 1978). L'essai politico-historique est pratiqué par Renato Constantino, Francisco Sionil José, Carlos Romulo, Carmen Guerrero Nakpil. Il faut noter enfin une abondante et authentique littérature populaire qui paraît sous forme de bandes dessinées.