Paul Valéry
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».
Écrivain français (Sète 1871 – Paris 1945).
Fils d'un fonctionnaire des douanes et de la fille d'un consul d'Italie, il écrit ses premiers vers tout en espérant entrer à l'École navale. Lecteur de Gautier, de Hugo, de Baudelaire, il s'intéresse au dessin et à la musique, se passionne pour l'architecture. Rêve est son premier poème publié, dans la Revue maritime, en 1889, année où il découvre Huysmans, Verlaine, les Goncourt et, surtout, « quelques-uns des secrets poèmes par qui s'impose la gloire solitaire de Mallarmé » (lettre de 1890 à Pierre Louÿs).
En 1892, il connaît une aventure sentimentale qui s'achève en crise spirituelle : il décide d'abandonner les séductions de la sensibilité pour les puissances de l'intelligence. Installé à Paris en 1894, il meuble sa petite chambre d'un tableau noir et d'une reproduction du célèbre décharné de Ligier Richier. Louÿs, qui a publié son Narcisse parle dans le premier numéro de la Conque, l'a introduit au sein des mardis de la rue de Rome. Mallarmé prend figure de père idéal, mais le drame du jeune homme est qu'il a rencontré « le personnage de l'art savant et le suprême état de l'ambition littéraire », alors même que la littérature lui apparaît comme un exercice précaire et dévoyé, incompatible avec « la poursuite d'une certaine rigueur et d'une entière sincérité de la pensée » (« Dernière Visite à Mallarmé »). Rêvant d'« un être qui eût les plus grands dons – pour n'en rien faire, s'étant assuré de les avoir », Valéry commence la Soirée avec Monsieur Teste (1896), où il brosse le portrait de l'intellect épuré, publie son Introduction à la méthode de Léonard de Vinci (1895), qui est surtout l'esquisse de sa propre méthode intellectuelle (farouchement distinguée de tout système), et entreprend de noter chaque matin les réflexions qui constitueront pendant cinquante et un ans ses 261 Cahiers.
Rédacteur au ministère de la Guerre, il produit un essai sur la Conquête allemande (1897), puis devient secrétaire particulier de l'administrateur de l'agence Havas (1900). C'est l'époque où il rencontre Degas, autre père spirituel dont les souvenirs nourriront Degas Danse Dessin (1936). Après l'émerveillement suscité par la nouveauté du Coup de dés mallarméen, la mort brutale du poète de Valvins lui fait « monter les larmes de l'esprit ». Désormais Valéry ne cessera de camper un Mallarmé plus proche d'une algèbre des formes et d'une symbolique mathématique que de « l'Impératif d'une poésie ». Dans un mouvement d'identification, il fait de lui le maître non d'une poésie, mais d'une poétique : « Mallarmé, le premier, ou presque, se voua à la fabrication de ce qu'on pourrait nommer les produits de synthèse en littérature par analogie avec la chimie, c'est-à-dire des ouvrages – ou plus exactement des éléments d'ouvrages construits directement à partir de la matière littéraire qui est langage – et par conséquent impliquant une idée et des définitions du langage et de ses parties. Idée atomique » (Cahiers, IX). C'est dans cet état d'esprit qu'il reçoit la requête de Gide et de Gallimard, qui lui demandent de réunir ses vers de jeunesse : il songe en réalité à écrire un bref « Adieu à la poésie », tandis que le premier classement de ses notes et le bilan désabusé qu'il fait de ses méditations abstraites le poussent d'une part vers une analyse des rêves fort éloignée de Freud (Études, 1909), d'autre part vers la dispersion esthétique et mondaine (il fréquente Ravel et Odilon Redon, voyage à Florence, s'intéresse à la construction du théâtre des Champs-Élysées).
C'est l'obsession de la guerre qui l'amène à « arranger, vernir, redorer » ses anciens poèmes et à en écrire de nouveaux. De la Jeune Parque (avril 1917), il dira : « Son obscurité me mit en lumière : ni l'une ni l'autre n'étaient l'effet de ma volonté », mais dès lors, il va lire à des amis quelques-unes des pièces qui composeront le recueil de Charmes (1922). Dès septembre 1919, des Fragments du Narcisse paraissent dans la Revue de Paris ; en juin 1920, le Cimetière marin est publié dans la N.R.F. ; en 1921 sortent le dialogue socratique Eupalinos ou l'Architecte et une « manière de ballet dont l'image et l'idée sont tour à tour les coryphées », l'Âme et la Danse. Une enquête de la revue Connaissance consacre Valéry comme le plus grand poète français vivant. En 1924, celui-ci prend, avec Larbaud et Fargue, la direction de la revue Commerce et inaugure la série de Variété (poursuivie en 1929, 1936, 1938, 1944), dont la table du dernier volume traduira l'éclectisme (Études littéraires, Études philosophiques, Essais quasi politiques, Théorie poétique et esthétique, Enseignement, Mémoires du poète). En 1931, il donne Regards sur le monde actuel, fait jouer Amphion à l'Opéra, sur une musique d'Arthur Honegger (en compagnie duquel il récidive avec Sémiramis, en 1934) et entreprend la publication de ses Œuvres complètes (douze tomes jusqu'en 1950).
Il faut dire qu'entre-temps Valéry a inauguré une carrière de conférencier et d'écrivain officiel : en 1925, le ministre de la Marine lui a offert une croisière sur le Provence et il a été élu à l'Académie française, au fauteuil d'Anatole France – dont, dans son discours de réception, il ne prononça pas le nom, autant par volonté de dérogation aux conventions que par dilection pour la difficulté et fidélité à la mémoire de Mallarmé (que France avait jadis critiqué). Directeur de l'Institut de coopération intellectuelle à la S.D.N. (1931), administrateur du Centre méditerranéen de Nice (1933), Valéry a également bénéficié de la création d'une chaire de poétique au Collège de France (1937). Pendant la guerre et l'Occupation, il publie plusieurs extraits des Cahiers (Mauvaises Pensées et autres, 1941-1942 ; Tel Quel, I, 1941 ; II, 1943) et fait, à la mort de Bergson, un courageux éloge du philosophe, stigmatisé comme juif par Vichy. En 1943, Valéry adhère au Front national des écrivains, expose des eaux-fortes accompagnées de Variations sur ma gravure. En 1944, sa Cantate du Narcisse, avec une musique de Germaine Tailleferre, est jouée au Conservatoire ; il achève l'Ange, bref poème en prose commencé en 1922. Mon Faust, tentation nihiliste dont la N.R.F. donne la primeur en février 1945, ne sera publié qu'en 1946, quelques mois après les obsèques nationales décidées par le général de Gaulle.