Pérou
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».
L'histoire des lettres péruviennes commence avec la conquête et deux notables indigènes, F. Huaman Poma de Ayala et J. de Santa Cruz Pachacuti Yamqui Salcamayhua ; le premier chef-d'œuvre, les célèbres Commentaires royaux de Garcilaso de la Vega, date de 1609. Plus tard, le polygraphe Pedro de Peralta Barnuevo (1663-1743) cultive le gongorisme ; la critique littéraire fait une entrée remarquable avec Juan Espinosa Medrano ; la poésie néoclassique est illustrée par Felipe Pardo y Aliaga et Manuel Ascensio Segura ; quant au roman, il fait son apparition en 1773 avec le Lazarillo voyageant aux quatre vents depuis Buenos Aires jusqu'à Lima du mystérieux Concolorcovo.
C'est avec le romantisme, après l'indépendance (1821), que la littérature péruvienne prend véritablement son essor. Ce courant regroupe dans la lignée de Mariano Melgar (1791-1814) de très nombreux poètes (Clemente Althaus, Manuel A. García, Carlos A. Salaverry, Luis B. Cisneros) : tous exploitent les thèmes généraux du romantisme universel. La plupart écrivent aussi en prose, mais le grand narrateur de cette période est Ricardo Palma, auteur des fameuses Traditions péruviennes. Au théâtre, on retrouve, avec F. Pardo y Aliaga et Salaverry, M. N. Corpancho et Constantino Carrasco.
Les courants réaliste et naturaliste sont marqués par l'importance de la note sociale et des thèmes indigénistes, exploités par le poète González Prada (1848-1918) et, après lui, par de nombreux écrivains qui prennent vigoureusement fait et cause pour les Indiens (Clorinda Matto de Turner, Mercedes Cabello de Carbonera).
Le modernisme connaît son meilleur représentant au Pérou, avec José Santos Chocano. La nouvelle esthétique ne fut cependant pas suivie avec le même enthousiasme – ni par d'aussi nombreux poètes – que dans les autres grands pays de l'Amérique latine. C'est à peine si l'on peut citer, et malgré la revue Modernismo (1900), les noms de José Lora y Lora ou de José Gálvez. Après eux, la poésie est d'abord marquée par une réaction antimoderniste et par un impressionnisme visible surtout chez José María Eguren, auteur de Simbólicas (1911). À la même époque se développe la nouvelle, genre qui fleurira désormais au Pérou, et dont les maîtres incontestés sont Abraham Valdelomar, fondateur de la revue iconoclaste Colónida, Ventura García Calderón, auteur de la Vengeance du Condor, et E. López Albujar (Contes andins, 1937).
C'est avec l'indigénisme que la littérature péruvienne trouve sa plus grande originalité, après la « réforme universitaire », mouvement révolutionnaire d'importance capitale pour la société et pour les lettres, qui coïncide avec l'apparition de l'A. P. R. A. (Alianza Popular Revolucionaria Americana), fondée en 1924 par R. Haya de la Torre. J. C. Mariátegui, avec sa revue Amauta (1926), est le chef de file et le théoricien de ce courant qui s'efforce de dénoncer le sous-développement du Pérou. César Vallejo sera le plus grand poète de son pays et l'un des tout premiers de l'Amérique latine. César Moro et Emilio Adolfo Westphalen fondent en 1938 la revue El uso de la palabra, organe du surréalisme péruvien.
La littérature péruvienne connaît alors une vitalité extraordinaire. Avec José Díez-Canseco (Estampes mulâtres) et José Ferrando (Panorama vers l'aube) apparaît le premier roman urbain, tandis que Rosa Arciniegas s'ouvre au cosmopolitisme. L'indigénisme nourrit les romans de Ciro Alegría et de José María Arguedas. Derrière ces deux figures majeures, F. Vegas Seminario (la Geste du caudillo) cultive le tableau de mœurs indigènes. La « génération de 1950 » s'attache cependant à promouvoir un roman « moderne », dont les premières manifestations sont Nahuin (1953), de E. Vargas Vicuña, et Naufragés et survivants (1954), de S. Salázar Bondy. On peut, dans cette génération, déceler trois courants principaux : d'abord un réalisme urbain fondé par E. Congrains Martín (Lima, heure zéro, 1954 ; Pas une mais beaucoup de morts, 1958) – le meilleur représentant de cette veine – étant sans conteste Julio Ramón Ribeyro avec son recueil de nouvelles Charognards sans plumes (1955), suivi, entre autres, par Luis Felipe Angell et Oswaldo Reinoso ; on note ensuite un courant néo-indigéniste, avec Carlos E. Zavaleta (le Christ de Villenas, 1955), Marcos E. Yauri (Pierre et neige, 1961), Arturo Hernández (la Forêt tragique, 1954) et Manuel Scorza ; enfin, un courant mineur, qui cultive le fantastique à la manière de Borges, mais d'intérêt local.
Ces écrivains ouvrent la voie du roman moderne à leurs successeurs, qui décriront une société en pleine mutation, causée par la crise de l'ordre oligarchique et caractérisée par un réformisme de type capitaliste. C'est ce que montrent J. M. Arguedas, et surtout, ses jeunes confrères, dont les principaux sont Mario Vargas Llosa et Alfredo Bryce Echenique : tous deux font la critique d'un monde déchu et la description d'une société naissante et s'intéressent activement aux problèmes de l'écriture moderne et au personnage du romancier confronté aux crises de son pays et du monde. Avec eux, on peut citer José Antonio Bravo, Harry Beleván, Gregorio Martínez et Edgardo Rivera.
Tout comme le roman, la poésie connaît un renouveau remarquable ; parmi les successeurs de Vallejo se distinguent Jorge Eduardo Eielson et, parmi les plus jeunes, Javier Heraud, Antonio Cisneros, Rodolfo Hinostroza, Juan Ojeda et Abelardo Sánchez León. Il ne faut cependant pas négliger la littérature d'idées (C. Lohman, A. Tamayo), ni le théâtre (Enrique Solari Swayne).