Norvège
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».
Des pierres runiques comme celle d'Eggjum (vers 700) ou des motifs historiés tels que ceux qui figurent sur le bateau-tombe d'Oseberg (ixe s.) attestent qu'un fond eddique, mythologique et héroïque était bien connu en Norvège ; si les Islandais eurent l'apanage de la poésie scaldique, ils connurent au xe s. des émules norvégiens de qualité, comme Thjódólfr Hvinverski, Thorbjörn Hornklofi ou Eyvind Skáldaspillir. Le Moyen Âge marque l'épanouissement d'une intéressante littérature hagiographique où domine saint Olav, et, plus tard, un vaste mouvement de traductions d'œuvres courtoises, qui prend son essor sous l'impulsion du roi Haakon IV Haakonsson (1217-1263). Parmi les ouvrages de ce temps, le Konungsskuggsjá (Miroir royal), attribué à l'archevêque de Nidaros, Einar Gunnarsson, reste un modèle du genre, tandis que les ballades populaires connaissent un succès qui ne se démentira jamais, et que le Draumkvaede (Poème de rêve) demeure un chef-d'œuvre de la littérature de vision.
Le rattachement de la Norvège au Danemark, au xive s., marque un tarissement littéraire qui oblitère également l'idiome national au bénéfice du danois. Il faut attendre la Réforme pour que se fassent jour des aspirations à l'originalité, traduites par un poème topographique (la Trompette du Nord, 1678-1698) de Petter Dass. Mais c'est encore en danois qu'écrit le grand écrivain d'origine norvégienne, établi à Copenhague, Ludvig Holberg (1684-1754), historien, géographe, philosophe, auteur de satires et de comédies qui en font le « Molière du Nord ». Progressivement, une conscience nationale, marquée par la création, en 1772, de la Société norvégienne (Norske Selskap), s'éveille à Copenhague, autour du poète satirique Johan Wessel (1742-1785). Deux grands poètes, d'idées opposées, marqueront cette renaissance : Henrik Wergeland, violent et prophétique (la Création, l'Homme et le Messie, 1830), revendiquant un « norvégianisme » parfois outré, et Johan Sebastian Welhaven, plus attaché à sauvegarder un certain classicisme hérité du Danemark (Poèmes, 1838). Simultanément, Peter Christen Asbjørnsen et Jørgen Moe, avec leurs recueils de ballades et de contes populaires, et le poète M. B. Landstad, dont les psaumes ornent encore la liturgie actuelle, contribuent à l'élaboration d'un norvégien littéraire, tandis que des philologues nourris aux veines populaires, comme Ivar Aasen et Aasmund Vinje, s'efforcent de recréer un norvégien authentique, puisé dans les textes anciens et les parlers dialectaux auxquels on donnera le nom de landsmål (aujourd'hui nynorsk : « néonorvégien ») par opposition au norvégien officiel ou riksmål (aujourd'hui bokmål). Ces deux langues sont pratiquées en Norvège, et si le bokmål demeure encore le moyen d'expression de la majorité des écrivains, le néonorvégien a marqué de son originalité l'œuvre d'auteurs célèbres tels que Tarjei Vesaas.
Vers le milieu du xixe s. se dessine en Norvège, comme dans les autres pays scandinaves, une nouvelle orientation littéraire, qui, sous diverses influences étrangères, allemande notamment, délaissera le romantisme au profit d'une écriture plus réaliste et imposera d'un coup, avec éclat, la Norvège sur la scène littéraire européenne avec Henrik Ibsen et Bjørnstjerne Bjørnson. L'impulsion avait été donnée par la sœur de Wergeland, Camilla Collett, auteur du premier grand roman psychologique norvégien, les Filles du préfet (1855), où elle défendait, première d'une tradition désormais longue, des vues courageusement féministes. Henrik Ibsen (1828-1906), poète autant que dramaturge, pose dans une série d'étonnants chefs-d'œuvre (Brand, 1866 ; Peer Gynt, 1867 ; les Revenants, 1881), dont l'actualité demeure toujours présente, les problèmes de l'homme moderne affronté à la société. De son côté, Bjørnstjerne Bjørnson (1832-1910) exalte aussi l'énergie dans ses romans paysans (Synnøve Solbakken, 1857), ses drames historiques ou contemporains, ses poèmes et ses tragédies (Au-delà des forces, 1883 et 1895), pour éveiller chez ses contemporains la conscience de leur héritage millénaire et en souligner la force. Les romanciers Jonas Lie et Alexander Kielland se penchent sur des problèmes d'actualité : relations du couple (le Pilote et sa femme, 1874) ou heurts entre nature et culture thème appelé à devenir une des constantes de l'inspiration norvégienne (Garman et Worse, 1880). Désormais le mouvement est lancé, ouvrant la voie aux romans psychologiques (les Gens d'Hellemyr, 1887-1898), d'Amalie Skram, à la poésie épique (le Troll des collines, 1895), d'Arne Garborg, et aux romans célébrant un individualisme fantasque (De la bohème de Kristiana, 1885), de Hans Jaeger, précurseur de Knut Hamsun.
À la fin du xixe s. et au début du xxe s., les tendances l'emportent sur les personnalités : le romantisme revient en force pour s'allier au symbolisme et s'intéresser aux mystères du psychisme humain, dans les œuvres de Gunnar Heiberg (le Balcon, 1894), des poètes Nils Collett Vogt, Vilhelm Krag et Sigbjørn Obstfelder, tandis que les traits originaux du peuple norvégien captivent des romanciers régionalistes comme Peter Egge (Dans les fjords, 1920), Johan Bojer et Gabriel Scott. Mais les maîtres de l'heure sont Hans E. Kinck, qui ne parvient pas, dans une œuvre contradictoire (la Houldre, 1892 ; le Bouvier, 1908), à concilier l'amour de la vie et une crainte maladive de la mort, et surtout Knut Hamsun, passionné de psychologie (la Faim, 1890), dont l'œuvre abondante et originale (les Fruits de la terre, 1917) prend sa source dans une inspiration individualiste (Vagabonds, 1927).
Sous la pression de l'évolution économique, qui accélère la prolétarisation des paysans et des pêcheurs, une critique serrée de la société, combinée à un néoréalisme populaire puisé chez Gorki, inspire à Kristofer Uppdal, à Johan Falkberget et à Oskar Braaten, des fresques rudes et réalistes, dominées par la vaste épopée des Gens de Juvik (1918-1923), d'Olav Duun, et par l'œuvre élevée et grave de la chrétienne Sigrid Undset, dont les romans féministes et médiévaux (Kristin Lavransdatter, 1920-1922) acquièrent une renommée internationale.
Après 1918, marxisme et freudisme vont acquérir droit de cité avec la revue Mot Dag, fondée par Erling Falk. C'est le point de départ d'une tendance littéraire (dite « prolétaire » en Suède) qui se révélera extrêmement féconde et aura pour objectif de méditer sur le monde actuel selon une vision inspirée de l'évolution politique et sociale. Mot Dag suscitera l'œuvre du poète Arnulf Øverland, du romancier féru de psychanalyse Sigurd Hoel (Un jour d'octobre, 1931) et du dramaturge ibsénien Helge Krog.
Autour des années 1930, sous la pression des événements et de la montée des périls, le goût de l'action inspire plus directement la romancière Cora Sandel, le poète et romancier Nordahl Grieg (les Jeunes Morts, 1932), humaniste et sympathisant communiste, ainsi qu'Aksel Sandemose. Une place à part revient à Tarjei Vesaas, apôtre et maître du néonorvégien, qui, à travers les destinées de son Telemark natal, et un amour profond de la nature (les Oiseaux, 1957), se fait le défenseur d'un patrimoine culturel, physique et affectif, face aux problèmes politiques et sociaux. À cela vient s'ajouter une recherche appliquée et souvent intéressante dans le domaine de l'écriture. En poésie, le modernisme, à l'écoute des expériences les plus audacieuses tentées par ailleurs en Europe, est représenté par Stein Mehren et surtout Rolf Jacobsen (Foule, 1935 ; Exercice respiratoire, 1975), qui donne une vision épique de l'univers à l'ère des machines. Autour de la revue Profil, d'autres poètes tels que Tor Obrestad, Jan Erik Vold et Einar Okland s'en prennent aux possibilités mêmes de la langue qu'ils veulent quotidienne et apte à traduire les angoisses existentielles et les préoccupations politiques du moment. Une place originale est celle du poète-paysan Olav H. Hauge, à la fois attaché à son pays et fortement orienté vers une culture européenne (Demande au vent, 1971).
La Norvège, productrice de pétrole, se trouve écartelée entre fidélité à un passé puissamment enraciné dans la culture populaire locale et naturelle, et le problème de son admission dans le camp de la technologie moderne, sinon de la technocratie. Les années 1970 ont tenu un discours politique radical à ce sujet, tandis que la décennie 1980, moins engagée, a donné une plus grande place à l'amour, à la mort, aux événements humains. Bjørg Vik, très en vogue, rédige une trilogie sur l'enfance et l'adolescence de la jeune Eslie Lund, née à Oslo. Cecilie Løveid a choisi l'art dramatique ; ses œuvres, comparées à celles de Botho Strauss, sont jouées dans le monde entier. Kjartan Fløgstad, dans le Septième Climat (1986), réalise une satire burlesque de la Norvège, mais surtout, dans À pile ou face (1998), dresse un tableau critique de l'évolution mondiale. Le prix de littérature du Conseil nordique a été attribué à Dag Solstad en 1992 pour Onzième Roman, livre dix-huit, tentative de traduction de la conscience contemporaine, mais on connaît surtout ses cris d'alarme (Pain et Armes, 1980), comme ceux de Knut Faldbakken (l'Été des insectes, 1972). Le souci de la langue marque plus généralement les années 1990, ce qui est significatif chez Jan Kjaerstad ou Jon Fosse. La présence des femmes s'accroît considérablement durant cette période, avec Herbjørg Wassmo ou Anne Karin Elstad. La publication en 1991 du Monde de Sophie, par Jostein Gaarder, ouvrage traduit en 44 langues et vendu à quinze millions d'exemplaires à travers le monde, a transformé significativement le rapport de l'étranger à la littérature norvégienne : curiosité, goût réel, les traductions se multiplient, permettant de redécouvrir les classiques, et de donner aux auteurs récents un élan inconnu jusqu'alors.